De la collection Goering aux Offices : restitution d’une sculpture de Della Robbia spoliée par les nazis

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Le 21 février à Berlin, le ministre des Biens culturels italiens a remis à son homologue allemand une sculpture d’Andrea della Robbia spoliée par les nazis. L’œuvre avait été récupérée par les Alliés après la guerre et envoyée par erreur en Italie.
Comment se fait-il que personne ne se soit rendu compte de cette erreur pendant toutes ces années ? Telle est la question que l’on pourrait se poser en découvrant l’histoire de la restitution d’une statue d’Andrea della Robbia (1435-1525) aux ayants droit en Allemagne. Le 21 février à Berlin, Dario Fanceschini, ministre italien des Biens culturels, a remis à Monika Grütters, son homologue allemande, la Marie Madeleine attribuée au céramiste florentin du XVe siècle. La déléguée du gouvernement fédéral pour la Culture a pu ainsi rendre l’œuvre aux ayants droit.
Avant la Seconde Guerre mondiale, cette Marie Madeleine appartenait à la galerie d’art Kunsthaus Drey à Munich, tenue par Siegfried Drey et Ludwig Stern. En 1935, lors des lois antisémites de Nuremberg, les deux galeristes juifs ont été contraints de liquider leur affaire et de disperser aux enchères leur collection, comprenant la sculpture d’Andrea della Robia. Bien qu’on ignore qui étaient les acheteurs, l’œuvre s’est retrouvée en 1941 dans la collection d’Hermann Goering, le numéro deux du Reich, après l’avoir obtenue d’un comte italien.
Issu de l’aristocratie, Hermann Goering a profité de la spoliation des juifs pour constituer sa collection d’œuvres d’art nazies, la deuxième plus vaste après celle d’Hitler, qui possédait plus de 5000 pièces en 1945. En complétant son ensemble d’œuvres par des cadeaux, de nombreux pillages et des achats, comme ici avec la Marie Madeleine, Hermann Goering comptait construire un musée qui aurait présenté des œuvres « qu’il jugeait caractéristiques de l’identité allemande et qu’il considérait comme un trophée revenant au vainqueur », décrit la conservatrice Isabelle Richefort dans Le Catalogue Goering (2015). La spoliation d’œuvres d’art, pratiquée et encouragée par le IIIe Reich, au-delà d’enrichir les collections des nazis, permettait également d’alimenter une guerre culturelle contre les juifs.

À la fin de la guerre, les Américains ont découvert la sculpture du XVe siècle au domicile de Goering. Après le transfert de l’oeuvre au Central Collecting Point (CCP) de Munich, un gigantesque entrepôt mis en place par les Alliés pour centraliser et cataloguer toutes les œuvres d’art volées par les nazis (similaire à ceux montrés dans le film Monuments Men de George Clooney), celle-ci a été répertoriée comme étant une « Sainte Vierge tenant un calice et un livre » et attribuée correctement à Andrea della Robbia. La sculpture représente en réalité une Marie Madeleine myrrhophore en ronde-bosse. En effet, la figure féminine porte un flacon de myrrhe dans sa main, attribut le plus fréquent du personnage biblique. Il symbolise à la fois le parfum qu’utilise Marie Madeleine pour séduire, celui qu’elle emploie pour l’onction du Christ à Béthanie et la myrrhe qu’elle apporte lors de la découverte du sépulcre vide du Christ après la Résurrection.
Beaucoup d’œuvres d’art enregistrées comme provenant de la collection d’Hermann Goering et conservées au CCP de Munich n’ont pu être restituées en 1945. Après avoir vraisemblablement supposé que la sculpture avait été pillée en Italie, les Alliés l’ont envoyée « par erreur » au gouvernement italien en 1954, faute de pouvoir identifier son propriétaire. Cet envoi s’intégrait dans le cadre de l’accord entre les chefs de gouvernements des deux pays, Konrad Adenauer et Alcide De Gasperi, qui stipulait notamment le retour des œuvres d’art entrées illégalement en Allemagne pendant la guerre. Depuis ce jour, la Marie Madeleine était conservée à la Galerie des Offices, à Florence.
Ces dernières années, un Help Desk a ouvert à Berlin grâce à la German Lost Art Foundation, qui a pour mission de retracer l’origine des œuvres d’art et de les rendre aux ayants droit des collectionneurs spoliés. C’est grâce à ce centre d’assistance, financé par le gouvernement et dirigé par l’historienne de l’art Susanne Meyer-Abich, que la Marie Madeleine d’Andrea della Robbia a pu être rendu aux ayants droit. Quelques semaines après le 75e anniversaire de la libération des camps d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, cette restitution rappelle qu’il reste encore aujourd’hui de nombreuses œuvres dans les musées qui attendent — parfois sans le savoir — d’être rendues à leur propriétaire.

Agathe Hakoun
Source :
https://www.connaissancedesarts.com/peinture-et-sculpture/de-la-collection-goering-aux-offices-restitution-dune-sculpture-de-della-robbia-spoliee-par-les-nazis-11134137/

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