Affaire Sarah Halimi et plainte en Israël : « On a délaissé la raison »

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Les avocats de la sœur de Sarah Halimi vont déposer une plainte en Israël contre son meurtrier. Au mépris de tous les principes fondamentaux du droit ?

Par Valentine Arama
« Non au déni de justice. » C’est par ces mots que Me Gilles-William Goldnadel a conclu son message posté mercredi soir sur Twitter, dans lequel il annonçait son intention de saisir la justice israélienne d’une plainte à l’encontre de Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi, au nom de la sœur de cette dernière, Esther Lekover. Une annonce qui intervient une semaine après que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la famille de la victime et fermé la porte à la tenue d’un procès. L’arrêt de la plus haute juridiction française, rendu mercredi 14 avril, était venu confirmer la décision de la chambre de l’instruction, qui, fin 2019, avait déclaré Kobili Traoré pénalement irresponsable de son crime sur la base de trois expertises, selon lesquelles il était atteint au moment des faits d’une « bouffée délirante aiguë » sur fond de consommation de cannabis.
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, Sarah Halimi, une femme juive de 65 ans, était rouée de coups à son domicile parisien puis défenestrée par Kobili Traoré, son voisin, alors âgé de 27 ans, aux cris de « Allah akbar » et « J’ai tué le Sheitan ». Le caractère antisémite du crime, lui, avait bien été retenu par la chambre de l’instruction. Un point qui n’a pas été remis en cause par la Cour de cassation, dont Me Goldnadel juge la décision « aberrante ». « Je ne comprends toujours pas aujourd’hui comment on peut avoir un motif conscient antisémite si le discernement est aboli, ça échappe à mon entendement », clame-t-il au Point. C’est la raison pour laquelle, avec son confrère Me Francis Szpiner, également avocat de la sœur de Sarah Halimi, ils ont décidé de déposer une plainte en Israël, dans l’espoir qu’un procès puisse un jour s’y tenir.
« La procédure israélienne, dans ses articles 13 et 14, prévoit expressément la compétence de la justice lorsqu’un crime est commis contre un Juif hors du territoire israélien. Les parties civiles peuvent porter plainte si elles sont de nationalité israélienne et si elles résident en Israël, ce qui est le cas de notre cliente, la sœur de Mme Halimi, qui est de nationalité israélienne et qui réside près de Jérusalem », avance Me Goldnadel. « Pour que la justice israélienne soit compétente, il ne faut pas que le criminel putatif ait été jugé définitivement par la justice du lieu du crime. Ce qui est très exactement le cas de M. Traoré, qui n’a pas été jugé innocent », explique l’avocat.
Un premier point largement contestable, dans la mesure où Kobili Traoré, bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’un procès aux assises, a bien été imputé de la responsabilité du meurtre de Sarah Halimi par la chambre de l’instruction. Si les magistrats ont considéré qu’il y avait des charges suffisantes pour reconnaître qu’il était bien coupable du crime – qu’il reconnaît par ailleurs –, ils ont toutefois déclaré Kobili Traoré pénalement irresponsable, estimant, eu égard aux expertises psychiatriques, que son discernement était aboli au moment des faits.
« Deux principes fondamentaux de l’État de droit sont en jeu, explique de son côté Me Thomas Bidnic, avocat de Kobili Traoré. Le premier, selon lequel on ne juge pas les fous ; le deuxième, celui du non bis in idem, qui veut qu’on ne juge pas deux fois les mêmes faits. Et le procès a bien eu lieu en France. Il s’est déroulé en décembre 2019 devant la chambre de l’instruction, n’en déplaise aux parties civiles. »
L’avocat, qui se dit « consterné » d’apprendre que les parties civiles ont décidé de déposer une plainte en Israël, ne nie pas l’existence de préjugés antisémites, mais rappelle que ces derniers ne se sont manifestés qu’« après le déclenchement de la bouffée délirante aiguë ». « Autrement dit, on peut être fou et antisémite. La question est de savoir s’il y a eu une décision d’agir de sa part et, en l’occurrence, il n’y en a pas eu. Pour être jugé coupable d’un crime, il faut avoir voulu le commettre ; or Kobili Traoré n’a jamais eu cette volonté et la prise de cannabis n’y change rien », souligne Me Bidnic.
Un point sur lequel Paul Bensussan, un des experts psychiatres qui ont examiné Kobili Traoré, est longuement revenu cette semaine dans une interview accordée à Marianne. L’expert, qui avait conclu à l’abolition du discernement de Traoré, a ainsi déclaré : « Le crime était celui d’un fou, mais son crime était antisémite car dans son délire, il assimilait les Juifs au démon. » Une analyse que réfute Me Goldnadel. L’avocat refuse en effet de s’en remettre totalement à la psychiatrie dans ce genre d’affaire : « C’est quasiment philosophique, mais je ne considère pas la psychiatrie comme une science exacte. » « Le caractère antisémite a bien été reconnu mais je me perds en conjectures pour savoir comment un homme dont le discernement a été aboli peut en même temps avoir tué sa victime pour des raisons antisémites… », martèle Me Goldnadel.
« Je ne comprends pas qu’on refasse sans cesse le procès. Une bêtise répétée deux cents fois n’en devient pas pour autant une vérité. Certaines interrogations récurrentes me rappellent le sketch de Fernand Raynaud, “Les croissants”… On explique la même chose des milliers de fois et il y a toujours quelqu’un pour redire “il était antisémite, il a pris du cannabis”. Mais ça a été expliqué, la prise de cannabis n’est pas en lien avec une quelconque volonté criminelle. Les faits n’auraient pas été commis sans une bouffée délirante aiguë », rappelle de son côté Me Bidnic. « Quand on refuse par avance d’imaginer que le discernement peut avoir été aboli, c’est qu’on a déjà décidé de la culpabilité de l’intéressé, il n’y a rien de juridique ni de scientifique là-dedans. Les parties civiles et une partie de l’opinion ont formulé un dogme au sens religieux du terme, un postulat, c’est-à-dire une affirmation par nature irréfutable. On a totalement délaissé la raison », juge-t-il encore.
Mais Me Goldnadel va plus loin, estimant que si la décision de la Cour de cassation a été de cette nature, c’est avant tout le résultat d’une série de dysfonctionnements graves survenus dès l’instruction. « Il faut comprendre que cette décision que je considère être un déni de justice ne tombe pas du ciel, elle arrive au terme d’une instruction comme je n’en ai jamais vu. » Et l’avocat de dénoncer une instruction bâclée, voire entravée par la juge d’instruction. « À supposer même que la Cour de cassation ait appliqué le droit de manière pointue, la jurisprudence habituelle veut que lorsque les experts ne s’entendent pas entre eux, ce soit la compétence de la cour d’assises qui prime », assure Me Goldnadel, qui espère désormais qu’un débat contradictoire pourra se tenir en Israël.
Me Patrice Spinosi, avocat de Kobili Traoré devant la Cour de cassation, voit quant à lui les choses d’un autre œil. La semaine dernière, il déclarait au Point que la jurisprudence avait au contraire été parfaitement respectée et le droit, « tel qu’il est pensé », strictement appliqué. Si la loi venait à être changée – une proposition a d’ailleurs été faite en ce sens par plusieurs parlementaires tandis qu’Emmanuel Macron a déclaré au Figaro qu’il souhaitait un changement de la loi pour que la prise de stupéfiants « ne supprime pas la responsabilité pénale », – alors les choses pourraient être différemment interprétées dans le futur, mais pas dans cette affaire, la loi française n’étant pas rétroactive.
Qu’en est-il, alors, de la plainte qui devrait être déposée dans les jours à venir en Israël ? Kobili Traoré risquerait-il d’être inquiété ? Concrètement, les avocats vont finir de rédiger la plainte, la faire traduire en hébreu, la faire signer par Mme Lekover puis la déposer dans un commissariat de police territorialement compétent qui la transmettra ensuite au procureur. À lui de la recevoir ou non. « Dans le meilleur des cas, si la justice israélienne reconnaît Traoré comme coupable au terme d’un procès – et dans l’hypothèse où la France coopère avec Israël sur la base des commissions rogatoires –, il faudra demander l’exequatur à la France. Si le jugement est “exéquaturé” – la France n’extrade pas ses nationaux –, il faudrait que M. Traoré purge sa peine en France », estime Me Goldnadel, également avocat au barreau d’Israël.
« Je ne suis pas un spécialiste du système judiciaire israélien, mais il y a des principes fondamentaux, on ne juge les fous que dans les dictatures et Israël est un État de droit, il a un système judiciaire qui soutient largement la comparaison avec le nôtre et je n’imagine pas qu’il puisse se déclarer compétent alors qu’un autre État de droit, la France, a définitivement jugé l’affaire », observe Me Bidnic, qui parle en outre d’un « effet d’annonce contre-productif » au regard de l’impératif de lutte contre l’antisémitisme. Et l’avocat d’ajouter : « Ceux qui annoncent le dépôt de cette plainte satisfont les pires fantasmes des pires antisémites : Alain Soral doit se réjouir. C’est du cynisme à l’état pur. »
SOURCE
https://www.lepoint.fr/justice/affaire-sarah-halimi-et-plainte-en-israel-on-a-delaisse-la-raison-22-04-2021-2423399_2386.php

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3 Commentaires

  1. Paul06 dit :

    Les juges islamogauchistes n’ont pas de compte à rendre à l’indigne justice française. Ai je tort?

  2. Golaniwarrior dit :

    Je ne comprends pas comment on peut le juger en Israël. Il me manque un lien pour comprendre le truc.

    Est-ce qu’il y a des accords entre la France et Israël sur ce point? Car sinon, j’imagine que la France ne va pas se gêner pour nous envoyer paître.

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