L’organisation musulmane UOIF est-elle infréquentable?

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L’organisation issue des Frères musulmans a renoncé à inviter à Lille trois personnalités connues pour leurs positions radicales. Mais uniquement sous la pression du ministère de l’Intérieur. Pas de quoi apaiser les relations compliquées entre l’UOIF et les pouvoirs publics.
Est-il acceptable de dire que le « châtiment » de l’homosexualité est « la peine de mort »? Que la coalition internationale contre l’Etat islamique est « mécréante »? Que les juifs « ont une capacité incroyable à détruire les nations, y compris chrétiennes, de l’intérieur » et qu’ils « possèdent les médias et les salles de cinéma »? Ou encore que seule la musique religieuse doit être écoutée? Les trois personnes, à l’origine de ces propos – le Syrien Mohamed Rateb Al-Nabulsi, le député marocain Abouzaïd Al-Mokri et le Saoudien Abdallah Salah Sana’an – ont été déprogrammés de la « Réunion annuelle des musulmans du Nord » (RAMN), organisée ce dimanche par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Une association issue de la mouvance islamiste des Frères musulmans.
Mardi, dans un communiqué au ton ferme, le ministère de l’Intérieur avait promis « une totale vigilance ». « Tout propos tombant sous le coup de la loi donnera lieu à des poursuites immédiates et fera l’objet des sanctions appropriées. Chacun doit se tenir au strict respect des principes de droit et des principes républicains. L’Etat y veillera », avait assuré Bernard Cazeneuve.
« L’esprit haineux des détracteurs de l’UOIF »
Pas la peine. Les trois invités sulfureux étaient déprogrammés dans la foulée, « dans un souci d’apaisement », par l’UOIF. Laquelle, dans un communiqué, évoque une « polémique irresponsable ». Car c’est à la police de « faire son travail si elle estime qu’untel ou untel pose problème à la République », selon son président Amar Lasfar. Et de dénoncer l’ « esprit haineux », non des intervenants invités, mais des « détracteurs de l’UOIF ».
« Reste un problème central », estime pourtant la secrétaire nationale du Parti radical de gauche (PRG), Laurence Marchand-Taillade, à l’origine de la mobilisation. « A Lille, comme la veille au colloque annuel de l’UOIF à Paris, sera présent Tariq Ramadan qui est ‘ni Charlie ni Paris’. Il développe une haine de la France chez les jeunes musulmans en disant qu’elle est islamophobe », dénonce la responsable politique qui appelle à une manifestation dimanche dans la capitale nordiste. « Il ne devrait pas pouvoir prendre la parole. » Elle-même demande une « surveillance accrue des 250 mosquées affiliées à l’UOIF ».
« Je vais jouer un rôle de contradicteur »
Les rapports entre l’UOIF et les responsables politiques ont toujours été complexes. En 2003, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui a fait de l’UOIF l’un des principaux acteurs de la représentation musulmane de France, se rend au congrès annuel de l’organisation. Il s’y fait copieusement siffler après avoir défendu l’interdiction du port du voile sur les photos d’identité. En 2012, les autorités françaisesrefusent d’accorder leur visa à six prédicateurs, considérés comme radicaux, pour le même congrès de l’UOIF. Parmi eux, la vedette d’Al-Jazeera Youssouf al-Qardaoui. En 2013, c’est au tour de Martine Aubry de refuser de se rendre au RAMN lillois, « choquée » de voir figurer, parmi les invités, le cheikh Salah Sultan, président du Haut Conseil islamique d’Egypte, membre du Conseil européen de la fatwa et de la recherche, qui avait appelé les jeunes à « pratiquer des sports de combat en vue de libérer la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem ». Amar Lasfar se dit alors « blessé » par le boycott de la maire (PS) de Lille.

Face aux nombreux dérapages de ses invités, l’UOIF est-elle fréquentable? « Je me suis posé la question », confie à L’Express Bernard Godard, ancien « monsieur islam » du ministère de l’Intérieur, qui a décidé de participer au colloque annuel de l’organisation ce samedi. Un événement auquel contribueront de nombreuses personnalités extérieures de l’UOIF comme Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris ou Anouar Kbibech, le président du CFCM.
« Je vais jouer un rôle de contradicteur en disant que c’est la victimisation des musulmans qui casse le lien social. Modestement, je vais leur dire qu’il faut qu’ils arrêtent le communautarisme, l’identitarisme musulman… », glisse Bernard Godard. Un propos qui risque de faire grincer des dents sur place. « L’UOIF est invitée à la table de la République. On peut participer à ce colloque et ne pas être d’accord avec eux », se justifie-t-il. Signe d’un certain malaise, l’auteur de La question musulmane en France (Fayard) reconnaît toutefois qu’il a pris soin de vérifier qu’il ne s’exprimerait pas à la même tribune que Tariq Ramadan qui doit intervenir plus tard dans la journée. « S’il l’est, je me désisterais… »
« Ne pas se couper d’un certain nombre de fidèles »
L’architecte de la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) rappelle qu’en 2003, alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, « on aurait pu faire quelque chose sans l’UOIF ». « Mais on se serait coupé d’un certain nombre de fidèles… » Entre volonté d’avoir un islam représentatif de toutes les sensibilités et la complaisance envers certaines idées radicales, la marge de manoeuvre du politique est parfois étroite.
« Dans le cadre d’une tentative compliquée de construction d’un islam de France, l’UOIF est un acteur incontournable. Ça ne veut pas dire que j’adhère à leurs idées », abonde Pierre Mathiot, nouveau délégué ministériel au parcours d’excellence auprès de Najat Vallaud-Belkacem. L’UOIF l’avait annoncé, à tort, comme l’un des participants du RAMN. Pas question pour lui d’associer la ministre de l’Education nationale à un rassemblement aussi sulfureux.
Une réaction « encourageante » de l’Etat
Mais Pierre Mathiot a déjà contribué plusieurs fois à cet événement, les années précédentes, en tant que professeur de sciences politiques. « J’en suis ressorti satisfait, je n’avais pas été censuré. » « Je participe à condition de savoir avec qui et sur quoi. Il m’est donc déjà arrivé de participer mais aussi de ne pas participer. » Aurait-il accepté, s’il n’engageait pas la parole de la ministre, de débattre avec Mohamed Rateb Al-Nabulsi, Abouzaïd Al-Mokri ou Abdallah Salah Sana’an? « La question ne s’est pas posée », botte-t-il en touche. « Mais il y a une hypocrisie là-dedans. Si ces personnes posent problème, le gouvernement devrait leur refuser l’entrée sur le territoire national » ajoute-t-il, tout en semblant trouver un début d’explication: « Le RAMN, c’est 8 000, 10 000, 12 000 personnes… Il y a du monde. Politiquement, ce n’est pas évident d’interdire. »
« Je ne suis pas pour les censures anticipées mais pour une vigilance accrue des services de l’Etat », abonde Mohamed Louizi, auteur dePourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (éd. Michalon), un ancien de l’UOIF à l’origine de la polémique, via son blog, sur la radicalité des invités du RAMN. Selon lui, la participation du sociologue Raphaël Liogier ou de l’islamologue éclairé Ghaleb Bencheikh, mise en avant par l’UOIF, permet à l’organisation de « brouiller les cartes » volontairement. Mais le communiqué de mardi du ministère de l’Intérieur représente une « première encourageante ». « Pour la première fois, l’UOIF est associé à l’extrémisme. En 2012, quand les visas avaient été refusés, il n’y avait pas eu de communiqué des pouvoirs publics. »
source :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/l-organisation-musulmane-uoif-est-elle-infrequentable_1760218.html

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