Au procès en appel de Georges Bensoussan, une atmosphère kafkaïenne

By  |  1 Comment

Par Martine Gozlan
Relaxé voici un an de toute accusation d’incitation à la haine, l’historien de l’antisémitisme Georges Bensoussan est poursuivi en appel par le CCIF, la Ligue des droits de l’homme, le MRAP ainsi que le parquet. Le procès s’est déroulé ce jeudi 29 mars dans une atmosphère étrange. Compte-rendu d’audience.
Au premier étage du Palais de justice de Paris, la salle d’audience est minuscule : 15 places. Plus d’une centaine de personnes se pressent pourtant devant la porte, une heure avant l’audience. Les visages sont las et tristes après une semaine sanglante, entre le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame, les trois autres victimes de l’islamisme et le meurtre antisémite de Mireille Knoll, 85 ans. Plusieurs silhouettes féminines voilées, l’une quasi intégralement, se détachent. Une affluence attendue : le procès en appel de Georges Bensoussan est emblématique.
Lavé de toute accusation par le tribunal de grande instance de Paris le 7 mars 2017, pour des propos tenus le 10 octobre 2015 dans l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut sur France Culture, l’historien de la Shoah, auteur de plusieurs livres sur l’antisémitisme dans les pays arabes et coordinateur de la célèbre enquête sur « Les territoires perdus de la République » est poursuivi en appel par les inusables procéduriers du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), de la Ligue des droits de l’homme (LDH), du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). Mais aussi par le parquet, c’est-à-dire le ministère public. C’est ce dernier aspect qui revêt le caractère le plus douloureux pour l’homme assis sur le banc des prévenus, respecté par ses pairs, « Français par toutes les fibres de son être » comme Georges Bensoussan le répétera au terme de six heures d’une audience éprouvante.
D’un côté, les parties civiles. Le CCIF et son conseil, un avocat qui restera curieusement hilare sans qu’on en sache la cause pendant l’intégralité des débats. Un certain « comité de soutien O sans papiers » (sic) dont on ne comprendra pas plus la présence que la plaidoirie confuse de son porte-voix, un Américano-Français invoquant le droit d’outre-Atlantique. La cour hésitait entre l’exaspération et le sommeil : on se serait cru aux Plaideurs de Racine ou devant une caricature signée Daumier. La LDH était représentée par Me Michel Tubiana, qui en fut naguère le président. Il n’est pas inutile de rappeler que la Ligue a été créée en 1898 pour défendre le capitaine Dreyfus. Ce détail, pour qui s’en souvient, accentuait encore le côté orwellien des débats. Comme si les défenseurs historiques du droit avaient basculé dans le camp des accusateurs.
« Je suis essentialisé comme raciste pour une phrase sortie du contexte »
De l’autre côté, les soutiens de Georges Bensoussan. L’écrivain Philippe Val, l’avocate Noëlle Lenoir qui fut juge au Conseil constitutionnel et ministre des Affaires européennes, l’historien belge Joël Kotek. Enfin, l’avocat Michel Laval qui démontera brillamment, point par point, « l’imposture judiciaire » à laquelle se livre le CCIF.
Après l’exposé des faits, Georges Bensoussan revient, une fois de plus, sur son itinéraire et sur les causes d’un acharnement qui, depuis deux ans et demi, affectent sa vie, son honneur et ses recherches. « Je suis essentialisé comme raciste pour une phrase sortie du contexte et cela s’appelle de la manipulation, explique-t-il notamment. Dans les réquisitions, je suis considéré à l’égal d’un Xavier Vallat, l’homme du Statut des juifs sous Vichy… On reprend l’argumentaire de l’histoire juive de la persécution pour le retourner contre un historien juif… ». Tout est là, en effet. On flotte, au Palais, dans un brouillard de concepts inversés. Comme dans « Le meilleur des mondes », l’innocence et la lucidité deviennent le crime et la délation. Il importe peu que le sociologue Smaïn Laacher, professeur à l’université de Strasbourg, cité par Georges Bensoussan durant l’émission incriminée, ait retiré toute plainte et que le malentendu ait été réglé amicalement entre les deux hommes, comme le rappellera Me Laval. Smaïn Laacher, qui avait évoqué, dans la culture familiale arabe « un antisémitisme déposé dans la langue et sur la langue », n’a jamais été poursuivi et c’est heureux.
Mais, souligne Bensoussan, « le propos de l’un, parce qu’il est juif, est considéré comme un propos raciste et le propos de l’autre, non juif, comme un propos anodin. On a voulu fabriquer un raciste. » Devant cette volonté de faire taire les lanceurs d’alerte, il insiste : « Si on continue à assimiler à duracisme tout constat et tout débat, on peut renoncer une fois pour toutes à la France des Lumières. » Il salue celles et ceux, issus du monde arabe et musulman, sur lesquels le piège se referme aussi : Mohamed Louizi, par exemple (que Marianne a appelé récemment à soutenir contre les mêmes procéduriers de l’islamisme) ou le philosophe Sofiane Zitouni, qui a dévoilé l’antisémitisme revendiqué dans des classes des écoles confessionnelles musulmanes. Nommer reste le cœur de l’action pour la raison, résume en substance l’historien, se référant aux paroles d’Emmanuel Macron la veille sur la nécessité de désigner le mal pour combattre l’antisémitisme.
Philippe Val, son premier témoin, confirme : « Le CCIF ne défend pas les Français musulmans… Au contraire, que vont devenir ceux qui ne se reconnaissent pas dans son discours ? Il faut que nos concitoyens aient des alliés et ne se retrouvent pas isolés quand ils dénoncent eux aussi l’antisémitisme. C’est une histoire de vie ou de mort pour la démocratie ! ».
Comme Jules Isaac face à l’antisémitisme chrétien d’hier
L’historien Joël Kotek, second témoin, se réfère, lui, à Jules Isaac qui a voulu comprendre autrefois dans quelle tradition culturelle s’inscrivait « l’enseignement du mépris » au cœur de l’antisémitisme chrétien. On était en d’autres temps mais la démarche vaut pour tous les temps, toutes les cultures. La démarche de l’historien d’hier, qui avait rencontré le pape Jean XXIII pour des échanges préalables à la modification de fond en comble de la vision chrétienne traditionnelle des juifs, est la même que celle de l’historien d’aujourd’hui « qui nomme non pour stigmatiser mais pour trouver une solution à un nouvel enseignement du mépris et de la haine », considère Joël Kotek.
L’avocate Noëlle Lenoir, troisième témoin, ancien juge constitutionnel, a le même ton grave et douloureux, emblématique des dépositions alors même que, sur le banc du CCIF, rictus et ricanements rythment physionomies et interventions. « J’exprime ma révolte et ma consternation, dit Noëlle Lenoir, de constater que dans la France du 21ème siècle, un intellectuel peut se trouver traduit devant une juridiction pénale pour avoir rapporté une observation sociologique, lors d’un débat parfaitement contradictoire à la radio l’opposant à un autre intellectuel. Ce procès est une étape de plus dans une stratégie d’intimidation s’adressant à tous ceux qui dénoncent la montée plus qu’alarmante d’une nouvelle forme d’antisémitisme en France et des crimes horribles commis en son nom. » Rappelant qu’à l’étranger « Georges Bensoussan est réputé comme un grand intellectuel et un honnête homme au sens du 17ème siècle », elle estime « qu’on cherche à lui nuire précisément à cause de cette aura » et pointe « une idéologie victimaire dangereuse qui pourrait nous être fatale. »
Alors que le CCIF demande la requalification des propos, l’avocate générale, dans son réquisitoire, ne suit pas les parties civiles sur la provocation à la haine mais les accompagne dans la demande de requalification en injure raciale. L’atmosphère s’alourdit d’une nouvelle couche d’absurdité.
« Je suis Français par toutes les fibres de mon âme »
C’est ce que relève d’emblée dans sa plaidoirie Me Michel Laval, le défenseur de Georges Bensoussan. On se souvient de sa première intervention, en janvier 2017 vers minuit, dans la même ambiance raréfiée. Cette fois, l’avocat dénonce « l’absolue déloyauté » des parties civiles qui ont communiqué sur la demande de requalification des propos quelques heures avant l’audience du 29 mars. « J’appartiens à un monde juridique où ce genre de manœuvre était inconcevable, martèle Me Laval. Je trouve déontologiquement désastreux et moralement inacceptable cette petite manœuvre par laquelle on tente d’obtenir ce que l’on voulait ardemment depuis le début : la condamnation de Georges Bensoussan. Nous ne sommes pas dans un débat juridique normal. Comment puis-je penser que des magistrats de votre compétence ne se posent pas la question des conditions de semi-obscurité dans lesquelles il s’inscrit ? J’ai toujours considéré que ce procès était anormal et dangereux… »
Puis vient la cerise empoisonnée sur le vénéneux entremets mitonné par le CCIF et consorts. Selon toutes les vérifications, lesquelles auraient dû être menées en amont, le Collectif contre l’Islamophobie en France a été déclaré trois fois irrecevable pour agir en justice. On nage donc dans « une belle imposture judiciaire », accuse Me Laval.
Une fois cette machination démontée, le défenseur de l’historien rappelle qu’avec « son œuvre et ses fonctions, Georges Bensoussan constituait la cible idéale et on vous l’a livrée ». Mais Me Laval évoque aussi, dans un parallèle entre son propre itinéraire et celui de son client, de la même génération, l’amour de la France tel qu’il était enseigné pareillement dans les écoles. Il cite le résistant Marc Bloch, fusillé par les nazis : « Ils ne comprendront jamais l’Histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims et ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération… » C’est ainsi, au bout de ces longues heures, que se précise, à travers les mots simples de l’avocat, emplis d’une révolte froide et d’une nostalgie terrible, l’enjeu réel de ce procès. Ce qui est en débat, c’est la France et sa vocation, sa transmission, sa fraternité en danger, sa liberté salie par le rictus de l’insulte. L’ultime prise de parole de Georges Bensoussan, au terme de l’audience, le souligne tragiquement : « Je suis Français par toutes les fibres de mon âme. Si je devais penser à quitter un jour ce pays, ce serait une défaite morale totale. »
Une étrange défaite, écrivait Marc Bloch. Il ne faut pas qu’elle se produise.
Source :
https://www.marianne.net/societe/au-proces-en-appel-de-georges-bensoussan-une-atmosphere-kafkaienne

happywheels

1 Comment

  1. Hector dit :

    Rien compris à cet article. Dommage

Publier un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *