Ces mosquées en Suisse où l’on prêche l’intolérance

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Saïda Keller-Messahli publie à Zurich un livre-enquête, La Suisse, plaque tournante islamiste: un regard dans les coulisses des mosquées, véritable dénonciation de l’infiltration extrémiste des lieux de culte musulman de notre pays. Découverte avec l’auteur du résultat inquiétant de ses années de recherche.
est un petit livre. Il se glisse facilement dans la poche d’une veste ou dans un sac à main. C’est un petit livre, mais sa lecture, en ces temps si troublés, donne un coup de projecteur sur une réalité opaque et méconnue, celle des mosquées en Suisse.
Calmement, méthodiquement, son auteur, la Zurichoise Saïda Keller-Messahli, la désormais bien connue présidente et fondatrice du Forum pour un islam progressiste, avance en quelques chapitres simples le résultat de ses années de recherche: une carte inquiétante et extrêmement bien documentée de la présence en Suisse d’influences et d’éléments d’infiltration de mouvements à tendance clairement salafiste. Selon la définition communément admise, et sans entrer dans tous les détails, le salafisme est un mouvement de l’islam sunnite prônant un retour aux valeurs et façon de vivre en vigueur à l’époque du prophète Mohammed et de ses disciples, qui peut aller jusqu’à propager les thèses d’un islam radical extrême et du salafisme à tendance guerrière.
Polyglotte, Saïda Keller-Messahli, 60 ans, a plongé durant de longs mois dans l’univers des associations culturelles musulmanes de Suisse, remontant tous les fils, y compris financiers, liant l’un ou l’autre personnage ou institution à des éléments notoirement salafistes. Elle démontre au final comment, derrière des organisations comme le bien connu Conseil central islamique du Suisse converti Nicolas Blancho, l’organisation Dyianet, rayonnant depuis la Turquie dans toute l’Europe et à la tête, via son groupement Milli Görüs, de près de 20 mosquées en Suisse, la plateforme albanophone hareke.de ou même la radio Pendimi (le remords, en français), pouvaient se cacher de très peu recommandables personnages aux intentions plus que troubles.
Pour la chercheuse, elle-même musulmane, cofondatrice avec l’avocate germano-turque Seyran Ates et d’autres tenants d’une lecture actuelle des textes de l’islam de la mosquée libérale Ibn Rushd-Goethe à Berlin, il y a aujourd’hui urgence à agir. Elle estime qu’une prise de responsabilités politique et institutionnelle est plus que jamais nécessaire. Interview.
Saïda Keller-Messahli, comment avez-vous réuni tous les éléments vous amenant, dans votre livre, à regarder «dans les coulisses des mosquées» de Suisse?
Nous avons fondé le Forum pour un islam progressiste en 2004. Pour moi, c’était important de donner la possibilité aux personnes de confession ou vivant dans des familles de tradition musulmane en Suisse de trouver un lieu leur permettant de rencontrer d’autres personnes capables d’affronter sans tabou tous les éléments susceptibles de leur poser problème dans leur vie quotidienne. Ainsi nous avons par exemple souhaité thématiser l’interdit traditionnellement imposé aux femmes musulmanes de se marier avec un homme d’une autre confession. Nous plaidions déjà pour une tolérance et, bien sûr, une lecture des textes adaptée au contexte dans lequel nous vivons. Nous suivons en cela d’ailleurs un passage très clair du Coran…
De fil en aiguille, et parce que je maîtrise l’arabe, j’ai commencé à répondre à des journalistes ou à des chercheurs qui me demandaient de trouver pour eux des renseignements sur tel ou tel courant, telle ou telle personne. En quelques années, grâce aussi aux cours que je donne, notamment pour le centre de formation des agents de détention à Fribourg, j’ai fini par accumuler une telle masse d’informations que j’ai décidé d’y mettre de l’ordre et de poursuivre plus profondément mes recherches. Au fond, je n’avais pas vraiment eu de projet de livre avant, mais la matière est venue à moi. Et ce que j’ai découvert était tellement inquiétant que je ne pouvais plus, à ce stade, ne rien faire. Je pense que quand on sait, on a la responsabilité de s’exprimer. Pour moi, il en va de notre liberté, de la sauvegarde de notre manière de vivre, vraiment. Ce qui se passe est terriblement grave et c’est très important à mes yeux que les responsables de notre pays s’en rendent compte. Il en va aussi de l’avenir des 85% de musulmans de notre pays qui ne fréquentent pas les mosquées, mais qui se taisent, malheureusement.
Vous dénoncez ce que vous appelez le «double visage» de certaines institutions islamiques installées en Suisse. Comment expliquez-vous une telle situation?
Les choses se sont faites de manière progressive. Il y a d’un côté une très forte tendance du wahhabisme et de ses tenants, nommément les monarchies du golfe Persique, à se penser comme les «propriétaires» de la seule et unique interprétation possible de l’islam. Leur intolérance face à d’autres traditions culturelles et religieuses favorise leur volonté d’expansion, tout comme leur capacité financière phénoménale. La Ligue islamique mondiale, fondée dans les années 60, est un exemple de cette ambition de domination wahhabite. Tout comme leur implication financièrement très importante dans l’implantation de nombreuses mosquées et écoles coraniques en Europe.
D’un autre côté, et plus particulièrement, la participation active des pays du Golfe à la reconstruction, y compris morale et religieuse, de pays comme la Bosnie, l’Albanie, le Kosovo ou la Macédoine après les guerres des années 90 joue un grand rôle dans la situation vécue en Suisse actuellement.
Grâce à ces investissements et ces bases jetées un peu partout, le wahhabisme et donc la pensée salafiste se sont ainsi peu à peu intégrés jusque dans les moindres recoins, y compris institutionnels, de sociétés qui n’avaient absolument rien de commun avec cette interprétation rigoriste des textes islamiques. Cette mouvance a bien évidemment «contaminé» la diaspora dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, mais également la Suisse. Sous couvert de tolérance, de dialogue ou d’ouverture, de plus en plus de mosquées en Suisse invitent librement des prédicateurs extrémistes, salafistes, ou même faisant l’apologie du djihad comme cela fut le cas à la mosquée An’Nour de Winterthour. Je cite de nombreux exemples dans mon livre, soit d’imams actifs chez nous, mais la plupart du temps formés en Arabie saoudite ou en Egypte, qui professent publiquement des positions extrémistes, soit de prédicateurs problématiques invités officiellement dans des lieux de culte suisses.
Vous plaidez donc pour plus de surveillance des mosquées dans notre pays?
La surveillance ne suffirait pas à mon sens. Voyez, par exemple, j’ai découvert que, dans certaines prisons de notre pays, ce ne sont pas quelques exemplaires, mais des centaines de brochures salafistes introduites dans les bibliothèques. Ou encore, sous couvert de faire découvrir l’islam, des associations comme We love Mohammed tiennent des stands un peu partout. Eh bien, en m’y intéressant, j’ai pu voir sous un de leurs stands des cartons entiers de ces brochures éditées en Arabie saoudite et traduites, souvent par des convertis en Europe, dans de nombreuses langues.
Si la surveillance ne suffit pas, quelles solutions pourraient être trouvées?
Nous plaidons pour une tolérance zéro en la matière. Les imams actifs ici devraient être formés ici. Au moins devraient-ils parler la langue de la société dans laquelle ils évoluent et ont pour tâche de guider leurs fidèles; surtout, il faut nous assurer qu’ils en partagent les valeurs ouvertes, respectueuses de l’autre et démocratiques et les défendent! Mais ce que je constate, ce que je vois dans les faits, ce sont des gens qui imposent leurs visions. Qui n’ont aucune tolérance, aucune ouverture. Ils veulent partout remplacer toute forme de tradition islamique propre à chaque culture par leur seule interprétation. Ils veulent stagner au Moyen Age. Et ces cours d’arabe et de Coran qu’ils dispensent aux enfants! Quelle horreur… Ils ne font que leur inculquer des sourates à apprendre par cœur, le voile pour les filles et la ségrégation des sexes le plus tôt possible. Et les «étudiants» ne réussissent qu’à ânonner des mots sans les comprendre, sans que personne ne leur ait jamais parlé de poésie arabe, pourtant si belle, ni de littérature ou des grands penseurs arabophones…
Personnellement, je retire de tout cela un immense sentiment de trahison. Nous avons fait confiance à ces personnes, nous leur avons ouvert les portes de notre pays et de nos institutions. Ils disent vouloir être nos partenaires dans le dialogue. Mais rien n’est vrai. Au contraire. J’ai plutôt l’impression que les choses empirent tant que cette minorité organisée en mosquées parle au nom de tous les musulmans.
Comment se fait-il que de telles théories puissent avoir du succès auprès de personnes pour la plupart parfaitement bien intégrées dans notre pays?
La religion est devenue une sorte de moteur identitaire extrêmement puissant. Comme un label auquel des jeunes en manque de repères peuvent facilement s’identifier. Etre ou devenir musulman se résume souvent à cette image unique d’une personne suivant à la lettre des préceptes d’un autre âge. Très vite, cette identification les amène à s’enfermer dans une sorte de carcan rigide à l’extrême. Cette logique identitaire contribue à les séparer du reste de la société. Tout comme l’idéologie prônée qui ne parle que de séparation, entre les sexes, entre les purs et les impurs, entre les musulmans et les autres, etc., les isole de leur entourage premier. Evidemment, l’histoire récente, en particulier le colonialisme, et le chaos créé par les guerres menées en Afghanistan, mais surtout en Irak et en Syrie, ne font qu’attiser la haine et la violence. J’ai voulu amener dans mon livre également cette perspective historique qui permettra peut-être au lecteur d’aborder la question avec un peu de recul.
Cet aspect identitaire est peut-être important, mais suffit-il à décider un jeune à s’engager pour aller combattre en Syrie par exemple?
En observant la situation en Tunisie, mon pays d’origine qui malheureusement possède le plus haut taux de djihadistes par habitant du monde, je peux affirmer, comme de nombreuses personnes le dénoncent actuellement sur place, qu’un véritable système de recrutement, impliquant le parti islamiste arrivé au pouvoir après la révolution de 2011, avait été mis en place. Moyennant finances, des recruteurs quadrillaient les quartiers pauvres et embarquaient jeunes hommes et jeunes filles, parfois contre rétribution, parfois en leur promettant un avenir meilleur. Les jeunes filles ont été mariées ou «offertes» à des combattants, beaucoup de garçons sont morts. Aujourd’hui, la population commence à se réveiller. Vous savez, une mère à qui on a pris son fils va cesser d’être diplomatique…
Pour revenir à la situation dans notre pays, il est certain que les personnes qui sont parties d’ici pour combattre en Syrie ou ailleurs n’ont pas été recrutées uniquement via de la propagande trouvée sur Internet ou entendue dans une mosquée. Il faut encore une vraie rencontre avec un recruteur. Mais les mosquées restent des lieux pratiques pour ces gens qui recherchent des jeunes déjà «sensibilisés» par un certain discours et à la recherche d’un «sens» de la vie.
Votre amie Seyran Ates à Berlin a demandé une protection policière, vous-même avez déjà reçu des menaces. Qu’est-ce qui vous fait continuer?
Je reçois aussi beaucoup d’encouragements. Beaucoup de gens que je croise, beaucoup de musulmans me remercient de parler ainsi, de dénoncer, de dire que l’islam organisé ne parle pas pour nous. Je le fais aussi pour eux, bien sûr, même si je préférerais qu’ils ne se taisent pas autant. Et puis, je ne suis pas seule. Avec beaucoup d’autres, nous, musulmans laïques, nous sommes réunis autour d’une déclaration commune concernant notre vision d’un islam ouvert, humaniste, tolérant et adapté au contexte dans lequel nous vivons*. Et nous avons lancé une initiative au niveau européen, accessible sur le site www.stopextremism.eu, visant à obliger les gouvernements à agir. Nous avons commencé la récolte de signatures et elle va bon train. En attendant, nous continuons, chacun, à avancer…
* http://saekulare-muslime.org/freiburger-deklaration

Islamistische Drehscheibe Schweiz. Ein Blick hinter die Kulissen der Moscheen, Saïda Keller-Messahli, préface d’Ali Toprak, Editions NZZ Libro.

Source :
http://www.illustre.ch/magazine/ces-mosquees-en-suisse-ou-lon-preche-lintolerance

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