Dieudonné, du rire à la nausée

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Poursuivi pour ses fraudes présumées, interdit dans de nombreuses villes, Dieudonné s’enfonce vers le côté obscur.
CHAPITRE 1. Où l’on découvre, dans une ancienne boucherie reconvertie en salle de sport, l’humoriste déchu s’en prenant aux « sionistes », à Manuel Valls et aux journalistes
Mi-juin 2018. Maintenant, ses spectacles, il les donne souvent en plein air, dans les champs. Mais ce soir-là, le prédicateur sera sur les planches. Le lieu de la grand-messe n’est pas encore rendu public, du moins officiellement. Pour ses aficionados, ce jeu de piste au parfum de clandestinité est la garantie du frisson, un bras d’honneur au « système », lui dirait une « quenelle ».
Quelques jours avant le spectacle, en réservant les billets, il était pourtant stipulé que l’endroit de la communion serait annoncé par SMS, deux heures avant. Coup d’oeil au téléphone. Rien. Il faut retourner sur le site pour découvrir que L’Émancipation se joue à Châtillon-sous-Bagneux, au sud-ouest de Paris, salle L’Ampoule. C’est à ce moment que l’on comprend qu’en réalité, le lieu est connu de l’équipe de Dieudonné depuis longtemps, contrairement à ce qu’elle veut faire croire. Voilà pour la mise en scène du frisson.
Tel le messie
Pour gagner la Liberté et son boulevard où va se produire le bonimenteur, nous empruntons les rues des Déportés et Guy-Môquet, du nom de ce jeune militant communiste de 17 ans, fusillé le 22 octobre 1941, en représailles à la mort de l’un des responsables des troupes d’occupation. La Seconde Guerre mondiale s’invite toujours dès lors que l’on parle de Dieudonné M’Bala M’Bala.
Arrivés à ladite adresse, surprise. Devant une barre HLM, on se trouve devant une salle de « pole dance » jouxtant une ancienne boucherie reconvertie en salle de sport. Sur le trottoir, des orties s’agitent. Une heure avant le début du show, deux gamins d’une vingtaine d’années, propres sur eux, roulent des mécaniques, tout fiers d’être arrivés les premiers. Ils pourraient être scouts à Versailles ou militants de la Manif pour tous. Le grand porte une barbe, un petit parapluie et grignote des cookies bio. Son camarade a des godillots de marche pour pèlerinage.
Des mastards sur le retour, tatoués, cheveux tirés en chignon, filtrent les entrées. Sur leurs tee-shirts noirs, l’inscription « Que la quenelle soit avec vous » en lettres dorées, façon Guerre des étoiles. Aux toilettes, on croise le régisseur de Dieudonné, Jacky Sigaux, venu se soulager. C’était lui, le narquois en pyjama de déporté juif, une étoile jaune à la poitrine, sur la scène du Zénith en décembre 2008. Il remettait « le prix de l’Infréquentabilité » au révisionniste Robert Faurisson. Selon lui, un geste « presque citoyen », « poétique » et « mal compris ».
Ce 14 juin 2018, ce n’est pas la foule des grands jours à Châtillon. Environ 130 personnes, des crânes rasés aux altermondialistes, prennent place dans un lieu sans âme flanqué d’une estrade. Puis, tel le messie, Dieudonné apparait, vêtu d’une longue tunique noire, carte de l’Afrique sur le coeur. Une bande-son crache du Manuel Valls. L’ancien Premier ministre avait diffusé en 2014 une circulaire aux préfets donnant des instructions pour interdire ces spectacles.
« La liberté, la limite, c’est Dieudonné », dit la voix. La salle pouffe. Dieudonné enchaîne : « C’est dingue autant de haine envers un clown. Peut-être parce que c’est un nègre ? » La salle exulte. Le saltimbanque continue, narre sa conversation nocturne avec Dieu, multiplie les saillies scatologiques : « Ma femme pète nuit et jour […]. Peut-être qu’avoir eu autant de gosses, ça lui a démonté la culasse. » C’est Guignol version pipi-caca, les spectateurs se gargarisent.
Puis, le polémiste rentre dans le vif de ses névroses, le complotisme : « On n’a pas le droit de dire la vérité. On est en France. C’est condamné ! J’en connais qui ont tout perdu à dire la vérité. Je dis la vérité sur scène mais toujours sous couvert de l’humour, jamais sérieusement. Tout ce qu’on nous raconte dans la société française, c’est faux, de la salle de travail au cimetière. Nous sommes entièrement sous le contrôle du mensonge de la perversion. »
Shoot anti-juif
Vient l’heure du couplet pressophobe. « Si un journaliste s’est glissé dans la salle… » commence Dieudonné. Sifflets de joie. « Salope ! » poursuit le polémiste. Le public applaudit. A présent, au tour de la justice, comme si chaque parcelle constitutive de la démocratie occidentale (lui parle de « sorcellerie républicaine ») devait être clouée au pilori, un passage obligé dans la démonstration victimaire : « La justice est une putain qui bosse pour une poignée de proxénètes de la finance. Il n’y a que dans une secte que l’on puisse interdire une secte. Allez-y, vous pouvez me fusiller mais je continuerai à raconter des blagues de Toto. »
Mais ce qui fait glousser d’aise la salle, ce qui la porte et la fait vibrer, ce sont les refrains antisémites. A l’école, « on laisse la vérité à Fernand Nathan ». Dieudonné s’empresse de ne pas développer, tout en sous-entendus, en jeux de piste, à mettre en perspective avec ses déclarations antérieures. Ainsi, lors d’une interview à la télévision iranienne en février 2011, assis à côté d’un portrait géant de l’ayatollah Khomeini, guide de la révolution islamique de 1979, avait-il annoncé la couleur : « Je me bats contre le sionisme au travers de mon travail. Le sionisme en France, ça commence dans les manuels scolaires » avec Fernand Nathan car « cet homme est un sioniste […]. Moi, j’ai choisi l’humour parce que la matière première d’un humoriste, c’est la bêtise humaine, c’est le mensonge, et, au final, c’est le sionisme. Parce qu’il n’y a pas plus bête, plus menteur que le sionisme. » Fermez le ban.
A Châtillon, l’antisémitisme monte en gamme. Piano piano au début, puis mezzo forte avec ce sketch parodiant une audience où le juge devient l’accusé et le mis en examen, petit dealer à l’accent maghrébin, le juge. Si l’inversion des rôles et le talent de Dieudonné pour copier les accents prêtent à sourire, l’apostrophe de l’avocat relève clairement de l’infraction antisémite. Le conseil s’appelle… Wiesenthal, du nom du survivant de Mauthausen, devenu, après la guerre, un chasseur de nazis. La caillera-juge invective alors Wiesenthal : « Et tu vas pas me raconter l’histoire de ta grand-mère ! » avant d’assimiler les juifs à une « association de malfaiteurs ». Et voilà comment, lors du show de Châtillon, chaque spectateur reçoit son shoot anti-juif selon son niveau d’érudition, de sorte que les inconditionnels de Maurras ou de Brasillach peuvent décoder les allusions historiques tandis que les moins aguerris en ont également pour leur argent.
Fortissimo avec ce nouveau refrain, un couple de prolos venus quémander un dépassement de crédit autorisé à la banque. Il est reçu par un salarié qui travaille, devinez quoi, pour un patron juif, Kluneman. Le guichetier explique qu' »il arrive un moment faut se changer les rognons » et propose de leur accorder un crédit en échange d’un don de rein pour… le banquier juif de 75 ans. S’ensuivent des allusions aux agressions sexuelles supposées de DSK et du journaliste Frédéric Haziza, les juifs gagnant au passage une nouvelle « qualité », celle de prédateurs sexuels. Quand on hait, on ne compte pas. Enfin, le guichetier propose à la dame de devenir mère porteuse : Kuneman ne peut avoir d’enfant car « sa femme est un mannequin de 16 ans et 25 kilos, incapable de chier une pistache ».
Il est 22 heures. La salle a pris son pied. Ovationné, le gourou salue et fait une annonce : puisque, fin avril, il a été expulsé du théâtre de la Main d’Or, son repaire parisien du XIe arrondissement depuis 1999, Châtillon sera désormais son nouveau pied-à-terre. A la fin de la messe, il faut toujours fixer un prochain rendez-vous aux fidèles.
CHAPITRE 2. Comment, de bouffon, Dieudonné s’est voulu homme politique de proximité avant de devenir un gourou de l’antisionisme
Ils se sont côtoyés dans les années 1990. Ils ont roulé leur bosse, écrit, tourné un sketch : un critique littéraire hautain et maniéré – Edouard Baer – y fumait la pipe. Il interviewait un patron de boîtes de nuit un peu trop intéressé par l’argent – Dieudonné – en costume traditionnel africain.
Mais, aujourd’hui, plus de vingt ans après cette saynète, le comédien, animateur sur France Inter, glisse avec dépit : « Je ne veux pas parler de Dieudonné, c’est effrayant. Ça me fait tellement de peine. » De fait, il semble affecté quand on lui pose des questions sur son ancien collègue : « La moitié de ma famille est d’origine juive et, quand nous travaillions ensemble, je ne sentais pas cet antisémitisme. Ça a plus à voir avec la psychanalyse ou le néonazisme. C’est une honte de le qualifier d’humoriste. Comme si on disait le peintre Adolf Hitler, l’acteur Ronald Reagan ou le coiffeur Donald Trump. Toute l’intelligence de Dieudonné est de faire croire qu’il s’agit d’humour. »
A Châtillon, 130 fans étaient venus non pas applaudir mais littéralement recueillir la parole du maître, celui qui, dans la scène avec Baer justement, se présentait déjà comme « le guide qui apporte la lumière ». L’Evangile selon Saint Dieudonné.
Que ce soit dans ce sketch des années 1990 ou à l’Ampoule en 2018, il parle de lui à la troisième personne, se présente en Sauveur. A 52 ans, il se prend pour l’artiste maudit persécuté par le pouvoir et les puissants. De « la mégalomanie pathologique », selon le cinéaste Romain Goupil. Le politologue Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, complète : « Par de progressifs glissements, il est devenu le bouffon mégalomane et paranoïaque que l’on connaît, doublé d’un opprimé imaginaire et d’une victime fictive » (1). Modeste, Dieudonné n’hésite pas à dire : « Je n’ai pas d’exemple de ce que je vis. Peut-être Molière en d’autres temps » . Comme en écho, Jean-Marie Le Pen se fait son défenseur, le 7 février 2014 sur iTélé : « Il ne faut pas poursuivre Aristophane, La Fontaine et Molière. »
« C’est un détail, comme dirait Jean-Marie »
Retour en arrière. Toujours dans les années 1990, du temps de Touche pas à mon pote, Elie et Dieudonné, le duo comique mettant en scène un juif et un Noir, était produit par l’Inconnu Pascal Légitimus.
Fils d’une mère bretonne, sociologue qui a travaillé trente ans dans l’audiovisuel, et d’un père camerounais, expert-comptable – décédé en 2010 -, Dieudonné assurait la gestion financière du binôme qui, fâché pour des raisons d’argent justement, se sépare en 1997, l’année où il se lance en politique.
Il se présente aux législatives, dans la 2e circonscription d’Eure-et-Loire, affronte la FN Marie-France Stirbois (il recueillera 7,7 % des suffrages). A l’époque, il côtoie Noël Mamère, Daniel Cohn-Bendit et Guy Bedos. Puis il se porte candidat à la présidentielle de 2002, mais ne parvient pas à réunir les 500 signatures. En 2006, il se rapproche du FN et Jean-Marie Le Pen devient le parrain de sa fille.
En 2009, il conduit la liste du parti antisioniste pour les européennes en Ile-de-France (1,3 % au premier tour). En 2012, quinze ans après avoir affronté au même endroit le FN, il retourne à Dreux pour les législatives sous les couleurs du Parti antisioniste (1,14 %).
Car aujourd’hui et depuis quelques années maintenant, pour Dieudonné, les « puissants », ce sont les juifs. Toute sa religion sur la question tient en quatre phrases prononcées lors d’une interview pour la chaîne 2 de la télévision syrienne en 2006 : « Bien sûr, les juifs ont souffert mais pas plus que beaucoup d’autres dans l’Histoire. » Il ajoute : « Ils ont commercialisé cette souffrance », puis « ils ont organisé toutes les guerres de la planète », et, enfin, « la majorité des marchands d’esclaves vers les Antilles étaient des juifs ».
Dans une vidéo récente mise en ligne sur son site, il éructe : « Israël a gagné l’Eurovision. Mais n’est pas dans l’Europe normalement. Enfin, bon. C’est pas grave. C’est un détail, comme dirait Jean-Marie. Enfin, lui n’a pas le droit de dire que c’est un détail. »
Chacune de ses déclarations fonctionne en poupées russes et n’existe que par rapport aux autres. Ainsi cette sortie sur l’Eurovision est-elle à mettre en parallèle avec celle de son comparse Alain Soral, l’essayiste d’extrême-droite, à la télévision syrienne en 2006 : « Israël fait partie de l’Eurovision donc pratiquement de l’Europe. » Dieudonné comme Soral feignent d’ignorer que parmi les pays de l’Eurovision et non-membres de l’Union européenne, figurent notamment : le Maroc, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Australie, mais aussi la Norvège et la Moldavie. Mais peu importe la vérité, Israël est coupable, forcément coupable.
Son succès, c’est la « rencontre entre un artiste diabolisé et un public diabolisé », estime-t-il dans un reportage diffusé sur le site d’Alain Soral, fustigeant au passage la « grande bourgeoisie humoristique » qui a « oublié » sa « fonction première : « sortir des vérités au risque de déplaire ».
Victime encore, et petits arrangements avec la réalité. Quand Manuel Valls le qualifie de « prédicateur de la haine », Dieudonné le traite en retour de « négrophobe catalan » et estime que « depuis que Valls n’est plus là, il y a moins d’attentats ». Mais il oublie un peu vite ceux commis contre les militaires au Carrousel du Louvre en février 2017, sur les Champs-Elysées en avril 2017 (assassinat du policier Xavier Jugelé). Ou encore les attaques à la voiture-bélier contre des militaires à Levallois-Perret, le 9 août 2017, celles du 23 mars 2018 à Carcassonne et Trèbes (le lieutenant-colonel Beltrame s’était sacrifié en prenant la place d’un otage) et l’attaque au couteau de l’Opéra le 12 mai dernier. Des « détails », sûrement.
Pour Pierre-André Taguieff, « la nouvelle judéophobie a hérité de deux principaux thèmes : le juif dominateur et le juif conspirateur international. Ce sont des idées-forces que l’on retrouve chez Dieudonné et chez Soral, qui les mettent à la sauce de l’antisionisme. Ce qui ne fonctionne pas dans ce discours judéophobe vient de ce que le sionisme est un nationalisme, qu’il est historiquement le mouvement de libération nationale du peuple juif. Dès lors, comment concilier la dénonciation de l’internationalisme ou du cosmopolitisme juif avec la dénonciation du nationalisme juif, du sionisme ? Parler de ‘sionisme mondial’, cela ne veut rien dire ». Selon le politologue, le succès de l’ancien humoriste est « un symptôme social », en même temps qu’un « révélateur de la signification antijuive de l’antisionisme ambiant, ou banal. Il témoigne d’une demande sociale de contestation du statu quo, d’une révolte contre un ordre politique bloqué, voire d’une détestation du « système ». Pour lui, le succès de Dieudonné, « comme celui de Poujade naguère, s’explique principalement par l’appel du vide ».
CHAPITRE 3. Où, lors d’un dîner avec Edouard Baer et Romain Goupil, Dieudonné décide de s’inspirer du phénomène Coluche pour faire grandir sa notoriété
« Vous devriez demander à Goupil de vous raconter le dîner avec Dieudonné », nous avait suggéré Edouard Baer. Dont acte.
C’était un soir à la fin des années 1990. Bien en amont de la présidentielle de 2002. Edouard Baer est alors copain avec Dieudonné. Quand ce dernier apprend que Baer connaît bien Romain Goupil, il s’en étrangle presque et insiste pour rencontrer l’un des hommes clefs de la campagne de Coluche en 1981. Le clown à la salopette avait appelé « tous les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus » à voter pour lui « pour leur foutre au cul ».Dieudonné rêve d’un remake et se voit déjà en haut de l’affiche électorale.
Baer et Goupil récupèrent l’humoriste à la fin d’un spectacle et partent s’en jeter un derrière la cravate à la Closerie des Lilas, une brasserie ultra select du quartier Montparnasse, à Paris. « Au début, c’était très sympa, chaleureux, gentil, peinard. Edouard blague, je déconne, se souvient le réalisateur de Mourir à 30 ans. On commence à parler vers minuit. Puis, à 2 heures du matin, la Closerie ferme. Mais Dieudonné y est chez lui, tout le monde le connaît. Tellement chez lui qu’ils nous laissent seuls avec un serveur, lumières éteintes, sauf de notre côté. C’était irréel. »
La discussion se poursuit. Dieudonné veut savoir comment, en 1981, la bande de Coluche avait conçu la campagne électorale comme une belle occasion de faire un coup. « Et là je pige que nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes. Il ne comprenait pas que l’on ne se présente pas comme ça à la présidentielle, que ce n’est pas une affaire marketing. Lui voulait le faire pour la pub, en profiter pour ses spectacles, avoir des affiches. C’était, d’après lui, une bonne combine. Je n’étais pas face à un antiraciste qui voulait faire triompher ses idées, non, il voulait démultiplier sa notoriété. Il n’avait pas d’idées, pas d’analyses, pas de connaissances historiques. Alors qu’avec Coluche, nous voulions que les gens s’inscrivent sur les listes électorales. C’était ça notre objectif ! » raconte Romain Goupil.
« On était scié. En fait, il est bête, le mec »
Attablé face à ses deux convives ébahis, Dieudonné, visionnaire, explique le pouvoir d’Internet. A cette époque, rappelons-le, en France, le Web n’en est qu’à ses débuts. Selon lui, ce nouveau système permettra de diffuser autrement, sans passer par les réseaux traditionnels. Ce qu’il fait aujourd’hui avec ses vidéos.
A 4 heures du matin, Edouard Baer et Romain Goupil sortent de la Closerie. « On était sciés, rapporte le cinéaste. Puis, le pinard aidant, sur le trottoir, on se regarde et on se dit : whaou ! En fait, il est bête, le mec. Puis c’est devenu une blague. Après, souvent, je disais à Edouard : ‘T’as pas une autre cloche à me présenter pour une campagne présidentielle’ ? »
De son côté, Dieudonné nous explique ne pas se souvenir « précisément de ce repas-là ni de son objectif. Je ne me souviens pas d’avoir sollicité l’équipe de Coluche, mais c’est sûr que j’étais très demandeur concernant l’expérience de cet autre humoriste de talent ».
Depuis cette soirée, Romain Goupil n’a pas eu de nouvelles de l’apprenti candidat. Il suit de loin en loin son évolution et ses tonitruantes sorties, réfute le terme de « dérapages ». Selon lui, « il est devenu un opportuniste, chantre de l’anti-bien-pensance contre le politiquement correct, et il va de plus en plus loin dans l’anti-système. Il est comme ces prédicateurs américains qui trouvent les failles chez leurs concitoyens en difficulté. Lui a trouvé sa place avec les blagues antisémites car les gens se retrouvent confortés dans la saloperie. Il s’est servi de ce qu’il y a de plus bas et il se perd petit à petit ».
« Il est notre part d’immonde »
Pour l’ancien trotskyste, leader lycéen de Mai 68, le mot qui résume le mieux Dieudonné, c’est le ressentiment, « cette haine que l’on peut avoir contre les Parisiens, contre les enfants de ceux qui réussissent mieux que les nôtres, contre les petits marquis, contre les autres. Et pour ça, il est assez malin. Il flaire le cul des chiens. Il est comme ces personnes âgées qui vieillissent mal, deviennent acariâtres, obsessionnelles, méchantes, soulignant au stylo les erreurs dans les articles des journaux, séniles, complotistes. Or quand tu es complotiste, tu te crois plus intelligent que tout le monde : tu sais ce qu’ils – la finance, le lobby juif – veulent te cacher ».
Il est bientôt midi en cette fin juin, à la terrasse de ce petit rade du XIVe arrondissement. Daniel Cohn-Bendit arrive, lui aussi a un rendez-vous. Les deux hommes se tombent dans les bras, ici c’est leur QG. Leur arrive-t-il de parler du polémiste ? Réponse de Goupil, comme un coup de trique : « Non, jamais. C’est comme si tu me demandais si, avec Dany, nous parlons de Le Pen. Pour moi, Dieudonné a trouvé sa cohérence immonde si je paraphrasais Brecht et son ventre ‘toujours fécond, d’où a surgi la bête immonde’. C’est facile de dire que c’est l’autre. Mais Dieudonné sort de notre ventre, il est notre part d’immonde. »
CHAPITRE 4. Où les voyages de Dieudonné en Syrie, au Liban et en Iran l’entraînent de plus en plus loin dans l’antisémitisme et dans sa sympathie envers certains djihadistes
Comment un bouffon antiraciste a-t-il pu virer sa cutie ? Le grand public découvre le côté pile de l’ancien complice d’Elie Semoun un soir de décembre 2003. Dieudonné est invité à la télévision chez Marc-Olivier Fogiel, sur France 3. Devant un Jamel Debbouze hilare, il campe un juif orthodoxe, cagoulé, avec papillotes et chapeau noir. Il confesse s’être « converti » au « fondamentalisme sioniste pour des raisons purement professionnelles » avant de crier « Isra-heil », le bras droit levé. Tollé, la chaîne publique doit présenter des excuses.
En réalité, le virage de l’ancien humoriste s’est opéré quelques années avant. Pour le politologue Pierre-André Taguieff, son discours s’est « radicalisé après les attentats du 11 septembre 2001 ». Dans une interview à L’Echo des Savanes, en février 2002 (il est alors candidat à la présidence de la République), il déclare : « Ben Laden restera dans l’histoire. Sa notoriété est internationale et indiscutable. Pour moi, c’est le personnage le plus important de l’histoire contemporaine. Il a réussi à changer les rapports de force et la façon de se battre. Il est seul contre la plus grande puissance du monde. Donc, forcément, cela inspire le respect. » Il reviendra – un peu – sur ses propos, arguant ne s’être exprimé que sur le « personnage » : « Si j’avais à jouer un rôle au cinéma, je préférerais le rôle de Ben Laden plutôt que celui de Bush, qui n’a aucun charisme. »
« Ahmadinejad est un ami »
En 2006, il effectue un voyage en Syrie avec Alain Soral et Thierry Meyssan. Interviewé par la chaîne du gouvernement, il déclare : « Il y a peut-être dans l’esprit de certains le sentiment d’appartenir à une population supérieure aux autres, rassurés en cela pas une puissance financière et militaire importante. » Dieudonné, qui ne cache pas ses sympathies pro-russes et chinoises, raconte avoir rencontré un député du Hezbollah et avoir discuté avec lui « de l’aspect dégénéré de l’idéologie sioniste ». Un peu plus loin, il dira : « Sous le régime de Bachar el-Assad, il y a énormément de discussions, il y a une vraie qualité de dialogue et de débat. »
En décembre 2009, il se rend en Iran où il s’entretient pendant une heure avec le président Ahmadinejad, « un homme harcelé de manière permanente par le sionisme ». De lui, il nous dit aujourd’hui : « C’est un ami. Il s’est battu pour donner des moyens au cinéma iranien quand il était président. C’est un homme très intelligent, raffiné, subtil, modeste. Lui comme Hugo Chavez, que j’ai rencontré à Damas, sont des personnages qui m’ont marqué. »
Nouveau voyage, autre interview, en Iran toujours, en 2011. « Je me bats contre le sionisme en France au travers de mon travail, dans mon dernier spectacle, Mahmoud, en l’honneur de votre président, Mahmoud Ahmadinejad, qui est évidemment une voix pour les antisionistes du monde, une voix très importante », confesse-t-il.
D’humour, de rire, de second degré, il n’est ici pas question, Dieudonné s’exprime le plus sérieusement du monde. Et de continuer : « L’islam, c’est la recherche de la vérité. Le sionisme, c’est la recherche de la manipulation et du mensonge. C’est le vice, la perversion et le racisme. » Dieudonné loue « la liberté d’expression en Iran par rapport à la France en ce qui concerne le sionisme » et ne manque pas de saluer « l’ouverture d’esprit » du président, Ahmadinejad, « une voix dont vous [NDLR : les Iraniens] pouvez être fiers. Elle inspire et donne du courage ». Pour l’avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), David-Olivier Kaminski : « Tout ceci est la version soft du terrorisme. » En off, un magistrat anti-terroriste acquiesce.
« Je me sens Charlie Coulibaly »
Justement, dans un sketch à propos de Mohamed Merah, le djihadiste qui a assassiné sept personnes à Toulouse en mars 2012 (trois militaires, un professeur et trois élèves à l’école juive Ozar Hatorah), Dieudonné y va de son commentaire : « Cette affaire pue à plein nez », et lance « heureusement qu’ils n’ont pas trouvé un DVD de ma gueule à l’intérieur de l’appartement ».
Mais comment plaider l’humour quand, le 30 septembre 2017, il prend la plume pour écrire à Salah Abdeslam, le dernier membre encore en vie du commando des attentats du 13-Novembre, incarcéré à Fleury-Mérogis (l’administration pénitentiaire précisera que ce courrier n’a jamais été transmis à l’intéressé) : « Nous aimerions vous rencontrer. Nous ne voulons pas parler des actes qui vous sont reprochés. Ce qui nous intéresse est de comprendre votre état d’esprit et les raisons qui vous ont poussé à agir, écrit le fan d’Ahmadinejad. La violence est un mode d’expression qui surgit quand tous les autres ont échoué : l' »attentat » a pour but d’envoyer un message fort qu’on ne peut transmettre autrement. C’est en tout cas comme ça que nous le comprenons. En discutant avec vous, nous espérons mieux comprendre la profonde révolte qui vous habite et à laquelle la société reste sourde. »
Il poursuit : « J’ai moi-même été condamné pour apologie d’acte de ‘terrorisme’, au moment de ce qu’il est convenu d’appeler les attentats de Charlie Hebdo pour ne pas m’être senti assez ‘Charlie’ : on m’a reproché d’avoir écrit sur Internet : ‘Ce soir en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly' ».
Arthur Dénouveaux, président de l’association Life for Paris, rapporte que la missive a suscité chez les victimes du 13-Novembre « stupeur et incompréhension, nausée devant une telle tentative de récupération ».
L’un des conseils des parties civiles, Gérard Chemla, a indiqué qu’il s’agissait d’un « prétexte pour mettre à la charge de la société la responsabilité des attentats terroristes ». Le polémiste s’en est alors violemment pris à l’avocat : « Un cuistre menteur et arrogant », un « imposteur raciste » véhiculant une « pensée de haine ». Pour Gérard Chemla, « l’allusion communautariste à [ses] parents juifs » est claire. Toujours à propos de lui, le polémiste a ajouté, sans rire : « Il faut dire non aux avocats de la haine qui font trop de mal à la France et aux Français. »
CHAPITRE 5. Où ce sont finalement les présomptions de fraudes et les accusations de détournements financiers qui mènent Dieudonné M’Bala M’Bala devant les tribunaux
C’est l’histoire d’une trouvaille. Elle se résume ainsi : faire une Al Capone au polémiste. Exit l’antisémitisme, et si c’était l’argent qui faisait tomber Dieudonné ?
« Actuellement, les associations ont une vraie réflexion à mener pour savoir si elles doivent ou non poursuivre Dieudonné. Car le faire aujourd’hui, c’est en réalité lui donner une tribune. La parole raciste ou antisémite est insuffisamment condamnée, elle devrait faire partie du corpus du droit commun », analyse l’avocat de la Licra, David-Olivier Kaminski. Ce dernier a alors l’idée de cibler le nerf de la guerre.
Banco ! Après six ans d’enquête judiciaire, Dieudonné sera prochainement jugé en correctionnelle (la date de l’audience n’est pas encore connue) pour fraudes fiscales, blanchiment, escroquerie, abus de biens sociaux, organisation frauduleuse d’insolvabilité. Soit les mêmes chefs d’inculpation que ceux de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac… et le même juge d’instruction. C’est en effet Renaud Van Ruymbeke, doyen du pôle financier du tribunal de Paris, qui instruit l’affaire.
Mis en examen pour abus de biens sociaux et fraude fiscale
L’histoire a commencé en 2011 quand la Licra dépose une plainte avec constitution de partie civile, lasse de ne pas le voir s’acquitter des dommages et intérêts qu’il a été, à plusieurs reprises, condamné à lui verser. Puis tout s’enchaîne. Décembre 2012, l’organisme anti-blanchiment du ministère de l’Economie, Tracfin, signale au parquet de Chartres d’importants transferts d’espèces (414 713 euros) de Dieudonné à des proches au Cameroun entre 2009 et 2012. Un mois plus tard, perquisition à son domicile. Et là, surprise : découverte de 657 220 euros et 15 210 dollars en cash.
En juillet 2014, la roue a tourné. Dieudonné est mis en examen pour abus de biens sociaux en sa qualité de gérant de sa société de production, La Plume, fraude fiscale (à la TVA, à l’impôt sur la fortune, à l’impôt sur les sociétés, omission de passation d’écritures comptables), blanchiment de fraude fiscale visant la dissimulation d’espèces par des transferts à l’étranger à hauteur de 569 353 euros.
Et les petites affaires de Dieudonné s’additionnent. En septembre 2016, il est questionné par le juge Van Ruymbeke sur le financement, en juillet 2007, de l’achat d’une maison grâce à un virement de 169 000 euros provenant d’un compte « Merlin » (le prénom de son fils) ouvert en Belgique. Or ce compte était crédité d’un montant équivalent, provenant d’un autre compte ouvert au Luxembourg à son nom. Réponse de l’intéressé : « J’exerce mon droit au silence ». En réalité, le fameux compte « Merlin » a été crédité de plusieurs remises d’espèces en 2000 et 2001, avec une première opération d’un retrait de 950 000 francs, puis d’un crédit de même montant effectué quelques jours plus tard. S’en suivent trois versements, toujours en cash, de 250 000, 500 000 puis 333 000 francs en 2001.
Par ailleurs, le compte suisse (à Lausanne) du polémiste, qui a partiellement financé l’achat d’un bateau de 68 000 euros, avait pour titulaire un M. Diagne. Ce dernier a déclaré aux magistrats instructeurs qu’il lui avait été demandé, en 2013, de verser l’argent des recettes des spectacles au fils de Dieudonné, Merlin, sur un compte à Singapour.
Partir vivre au Cameroun
Egalement entendue par le juge en juin 2017, Bonnie, 26 ans, la fille de Dieudonné, a raconté comment elle tenait la caisse de la Main d’Or. Les paiements par carte bancaire n’étaient pas autorisés. Selon elle, son père pouvait se produire sur scène jusqu’à cinq fois par jour certains dimanches, « de ce fait, on était plus sur des espèces car cela allait beaucoup plus vite […]. On allait dans la rue, on demandait aux gens de faire l’appoint pour ne pas perdre de temps ». L’ancienne productrice de Dieudonné, Christelle Camus, a elle expliqué « qu’une billetterie non officielle avait été mise en place » pour la tournée en province de 2013.
D’un revers de main pourtant, Dieudonné, présumé innocent, balaie sa prochaine comparution et, outrecuidant, nous lance : « Mandela a fait vingt-sept ans de prison ».
Justice toujours. Le 25 août dernier, Dieudonné a été arrêté pour conduite sans permis et placé en garde à vue pendant huit heures. Dans une vidéo mise en ligne sur son site trois jours plus tard, il explique être détenteur d’un permis camerounais et crie à l’injustice car celui-ci n’est pas reconnu en France. Selon ses termes, « les permis africains sont considérés, ici, comme des permis de singe ». Pour la vérité, on repassera. En effet, les Camerounais peuvent conduire en France lors de leurs séjours pour loisirs. Seuls les résidents doivent le faire valider auprès des autorités.
Aujourd’hui, le Franco-Camerounais se pose en chef de tribu, sorte de gourou écolo, et veut partir vivre au Cameroun, parmi les arbres. Récemment, il a lancé un appel en ligne à ses fans : il leur propose d’acquérir sur place des pied-à-terre. Un voyage est prévu en janvier prochain. Les abonnés de son site sont invités à s’inscrire, mais nous, deux mois et demi après avoir fait part de notre désir de rejoindre la forêt, nous n’avons eu aucune nouvelle. Alors, une idée saugrenue nous traverse l’esprit : et si l’appel de la forêt était plus prosaïquement dicté par un désir de fuir les poursuites pour fraude fiscale en France ? Vous n’y pensez pas ! C’est vraiment trop gros pour être vrai.
(1) La nouvelle judéophobie (éd. Mille et une nuits), page 38
Source :
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/dieudonne-du-rire-a-la-nausee_2033680.html

happywheels

3 Commentaires

  1. Franccomtois dit :

    Il y en a qui sont internées pour moins que cela.Ses pseudos spectacle ne sont qu´un tremplin pour diffuser la haine rien de plus.

    H.S
    Islam en France : El Karoui préconise l’apprentissage de la langue arabe dans les écoles.
    Parmi ces solutions : l’apprentissage de la langue arabe dans les écoles de l’Éducation nationale pour éviter que ce soit la prérogative des salafistes.

    Franchement ils nous emmerdent,c´est leur doctrine muzz qui nous pourris la vie.Á Rome fait comme les Romains,pratique ta Religion quelqu´elle soit mais dans la sphere privée et si tu veux pratiquer ta langue ok mais ne l´impose pas tu ne serais plus chez toi,donc considéré comme un envahisseur(qu´ils sont quand même un peu).
    Imaginons les migrants polonais,Italiens,espagnols,portuguais,grecs etc,etc……ayant voulu nous imposer leur langue CHAOS en FRANCE.
    Les Vietnamiens,Cambodgiens et Laotiens ne nous ont jamais emmerdé et se sont parfaitement adaptés á la culture occidentale tout en nous faisant partager la leur dans la paix et la sérénité.Entre le nouvel an chinois et l´aid y a pas photo on distingue bien le niveau de civilisation entre ces personnes.Aucun bol de riz sauce soja ne nous a été imposé dans les cantines scolaire n´est-ce pas?

  2. jp dit :

    arrêtez je vous en prie pas de pub s il vous plait merci.

  3. roni dit :

    ce gros tas de merde vomit son caca

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