Français juifs tentés par l’alya : quelle est vraiment l’ampleur du phénomène ?

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Depuis le 7 octobre, le nombre de familles françaises songeant à faire leur alya (émigration vers Israël) a augmenté de 430 %, selon le ministère israélien de l’Immigration. Ces demandes de renseignements ne se traduisent pas toutes par un déménagement.
par Alexandra Saviana
« Certains se sont sentis très impuissants et ont voulu partir en Israël pour aider d’une manière ou d’une autre. De mon côté, j’aurais aussi aimé partir, confie Claire*, une jeune femme de 31 ans. Comme je suis enceinte et avec déjà un enfant de 18 mois, je me suis dit que je serais plus un poids qu’autre chose, mais j’y ai pensé. » La réaction peut paraître contre-intuitive : depuis l’attaque menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre, de nombreux membres de la communauté juive française se sont renseignés pour faire leur alya – pour « monter » en Israël et s’y établir. Selon les chiffres fournis par le ministère israélien de l’Alya et de l’Intégration, le nombre de dossiers d’alya déposés en France a augmenté de 430 % depuis l’attaque, concernant 1 200 personnes contre 220 l’année précédente.
Ce regain d’intérêt pour l’émigration vers Israël – pourtant en baisse depuis le début de l’année 2023 – est loin des chiffres des années précédentes : en 2015, par exemple, 7 900 personnes ont quitté l’Hexagone pour aller y vivre. Mais il illustre la place centrale qu’occupe Israël dans l’imaginaire de la communauté juive. Malgré la guerre et l’instabilité, en dépit du coût de la vie, aussi, le pays reste pour les Français juifs un refuge. « Comme l’antisémitisme augmente progressivement depuis des années dans le monde, c’est forcément une question que l’on se pose : y a-t-il un avenir pour les juifs en France ? Israël reste le seul pays où dire ‘sale juif’ désigne simplement un juif qui ne se lave pas », estime Claire.

Comme dans le cas de Claire, cette réflexion ne se traduit toutefois pas toujours dans les actes. « Le chiffre de 430 % relate une augmentation des personnes qui s’intéressent au processus de l’alya. Il ne signifie pas forcément que toutes vont arriver au bout, précise Emmanuel Sion, directeur de l’Agence juive en France, organisme public chargé de l’émigration vers Israël. Le parcours dépend vraiment des profils : une famille va souvent mettre plus de temps à se décider qu’un étudiant, par exemple, parce qu’elle aura plus d’attaches. » De fait, le nombre de personnes ayant effectivement réalisé leur émigration depuis deux mois se compte en dizaines et non en milliers.

Selon l’historien et essayiste Marc Knobel, 42 « olims » (« immigrants ») français ont été recensés en octobre et 55 en novembre. « Il est encore tôt pour tirer des conclusions sur une tendance, surtout pour un processus comme l’émigration, qui prend souvent plusieurs mois. Le millier avancé par les organismes comme l’Agence juive ne sont que des ouvertures de dossiers, c’est-à-dire des demandes de renseignements, des discussions. Il m’est arrivé moi-même de déposer un dossier, puis d’abandonner », souligne Marc Knobel, qui reprend : « Nous avons cependant suffisamment de recul pour les vingt dernières années : de 2000 à 2022, 68 437 Français sont montés en Israël. C’est un chiffre énorme, pour une communauté d’environ 550 000 personnes. »

Les raisons de ces départs sont multiples. L’angoisse provoquée par les actes antisémites en est une. Après une évolution en dents de scie dans les années 2000, les chiffres de l’alya connaissent une brusque inflexion en 2013, passant à 3 263 personnes, juste après le massacre à l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse perpétré par Mohamed Merah. Ce nombre double dès l’année suivante à 7 200 personnes, avant d’atteindre un pic à 7 500 en 2015, année des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo, du Bataclan et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. « Entre 2014 et 2015, on parlait d’une ‘alya de choc’, clairement liée à la peur des attentats et de l’antisémitisme », explique Itzhak Dahan, docteur en sociologie et auteur de l’étude « Alya des juifs de France en Israël (1968-2014) ».

La peur d’une montée de l’antisémitisme en France à la suite de l’attaque du 7 octobre peut ainsi expliquer en partie le regain d’intérêt pour l’alya, alors que plus de 1 500 actes antisémites ont été recensés en France un mois après le début de la guerre Israël-Hamas. A la mi-novembre, L’Express relatait ainsi que nombre de Français juifs avaient été contraints de changer leurs habitudes face à cette augmentation, ces dernières allant du changement de nom sur les réseaux sociaux à la disparition des signes religieux dans la rue. « Là encore, ça ne date pas d’hier, remarque Marc Knobel. Dès 2005, Joseph Haïm Sitruk [alors grand rabbin de France] avait conseillé aux gens de faire attention et d’éviter d’arborer les signes religieux comme la kippa à l’extérieur. »

Certaines personnes ont fait le choix d’émigrer pour vivre leur religion plus publiquement, dans un « milieu homogène », comme le décrivaient les chercheurs Jean-Marc Dreyfus et Marc Hecker dans une tribune à Libération en 2014. Le désir d’appartenance au projet national israélien est aussi une des raisons avancées. « Il y a une forte communauté traditionnelle juive en France, venue pour beaucoup d’Afrique du Nord dans les années 1970-1980 », ajoute Itzhak Dahan, qui avance une hypothèse : « Cette dernière démontre un fort attachement à l’Etat d’Israël et les événements du 7 octobre ont pu être un signal d’engagement, notamment aux côtés de l’armée. »
Le frémissement observé depuis le mois d’octobre s’inscrit cependant dans une dynamique clairement en baisse. Entre 2015 et 2016, le nombre de Français juifs émigrés est passé de 7 500 à 5 100. En septembre 2023, l’Agence juive comptait entre janvier et juillet 60 % de nouveaux immigrants français en moins par rapport à la même période l’année précédente. La baisse des actes antisémites dans l’Hexagone jusqu’en octobre et une situation politique délicate en Israël – des manifestations géantes ont eu lieu pour protester contre une réforme judiciaire du gouvernement de Benyamin Netanyahou, vue comme une atteinte à la séparation des pouvoirs – ont dissuadé beaucoup de Français de faire les démarches. En dépit des aides financières fournies par le gouvernement israélien aux immigrés, la situation économique a également joué. « La vie est très chère en Israël, remarque Marc Knobel. Cela a pu en dissuader certains, notamment des personnes âgées qui perçoivent une retraite française. Et ce même si le taux de change du shekel, la monnaie israélienne, a baissé ces derniers mois. » Selon les données publiées par l’OCDE au mois d’août, en 2022, le coût de la vie en Israël était en moyenne 38 % plus élevé que dans les autres pays de l’organisation.

« A cette barrière financière s’ajoute celle de la langue », poursuit l’historien. Même si un accompagnement à l’immigration est aussi mis en place par le gouvernement israélien, le passage d’un pays à l’autre n’est pas simple. Certaines alyas ne sont d’ailleurs pas définitives. Mais, souvent perçus comme un échec par les individus concernés, les retours en France sont difficiles à dénombrer. Aucune donnée officielle n’existe sur le sujet. « On estime néanmoins que de 10 à 12 % des Français juifs ayant fait leur alya seraient concernés », signale Itzhak Dahan.
* Le prénom a été modifié.
Source

L’Express

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5 Commentaires

  1. Paul06 dit :

    Le succès de l’ alyah nécessite qu’ elle ne soit pas motivée par l’ insécurité en France, mais par la conviction que la vie est accomplie en Israel et uniquement en Israel.

  2. Mirone dit :

    Les juifs de France idéalise souvent Israël, à peu près 50% reviennent en France dans les 2, 3 ans après leur alya.
    La langue qu’il faut maitriser, la mentalité différente, le coût de la vie élevé, moins d’aides de l’Etat sont autant de facteur qui font une yérida.
    Pour qui l’alya est en générale une réussite : Les personnes religieuses, les idéalistes, ceux qui connaissent déjà le pays avant de venir.

    • josué bencanaan dit :

      100 % d’accord, le juif Francais est trop francisé, il crois que tout lui est du !, si on fait son alya il faut voir Israel comme un idéal, et savoir repartir a zéro, ce qui fut mon cas, je suis revenu en France pour raison familiale; mais mon coeur reste en Israel et finirai mes jours la bas.
      Personnellement la mentalité en Israel est mieux qu’en France de mon point de vue; la vie est cher quand on a l’habitude de la France, mais on prend le plis rapidement question de motivation. Je reproche un peu a l’agence juive de ne pas donner d’information suffisante et de former les olim avant le depart.

  3. joseparis dit :

    Ce que dit Mirone est vrai. Ceux que je connais qui ont réussi leur alya sont des personnes très religieuse. Ils ont trouvé en Israël un accomplissement de leur judaïsme. Ils peuvent vivre comme ils l’entendent même s’ils rament en permanence pour vivre correctement. Sinon il faut avoir une fibre sioniste très développée. Les familles françaises qui reviennent sont généralement composés d’adolescents qui n’ont pas réussi à s’intégrer au système israélien. Le retour est vécu comme un échec très difficile à supporter. Ces familles ont beaucoup d’amertume sur la mentalité des israéliens, et la difficulté à maitriser l’hébreu.

  4. David dit :

    Le terrorisme dont le Hamas est le meilleur agent de propagande pour l’alyah .
    Même si certains reviennent ce n’est pas grave .
    Israël va améliorer les conditions d’installation .
    Ne pas oublier ces moments difficiles que passe notre minuscule pays ….ne pas trop lui demander .

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