
La Russie abandonne-t-elle l’Iran ?
La Russie abandonne-t-elle l’Iran ? Un désaccord se creuse autour de la production du drone Shahed-136 par Moscou
La coopération militaire entre la Russie et l’Iran, longtemps perçue comme stratégique, traverse une zone de turbulences. Au cœur des tensions : la production et la modernisation du drone Shahed-136, appareil largement utilisé par Moscou dans la guerre en Ukraine.
En 2023, un contrat évalué à 1,75 milliard de dollars avait été signé pour permettre à la Russie de produire localement ces drones iraniens. Mais deux ans plus tard, la donne a changé. Près de 90 % de la fabrication est désormais assurée sur le sol russe, ce qui réduit considérablement le contrôle de Téhéran sur le produit final. Selon des sources de sécurité occidentales, cette évolution laisse à l’Iran un sentiment d’abandon et de déséquilibre dans la relation.
Une production localisée et modernisée
L’usine d’Alabuga, au centre du dispositif industriel, est devenue un pôle majeur de fabrication. Son directeur, Timur Shagivaleev, a décrit un site où la quasi-totalité des composants — aluminium, moteurs, microélectronique, fuselages en fibre de carbone ou de verre — est produite localement. L’infrastructure connaît une expansion rapide avec de nouveaux bâtiments, dortoirs et lignes de montage, permettant une cadence de production impressionnante : environ 5 550 drones par mois.
En 2022, chaque drone coûtait en moyenne 200 000 dollars à produire. En 2025, le coût unitaire est tombé à environ 70 000 dollars, grâce à l’industrialisation et aux améliorations apportées par la Russie. Les modèles actuels disposent de systèmes de communication optimisés, de batteries plus durables et d’ogives plus performantes.
Frustrations iraniennes
Pour l’Iran, qui a fourni à la Russie technologie, équipements et accès à l’usine, cette situation suscite des interrogations. Des responsables iraniens affirment que certaines contreparties promises, notamment financières et technologiques, n’ont pas été honorées. Les blocages affectant le transfert de technologies aéronautiques russes sont particulièrement mal perçus à Téhéran.
La guerre de 12 jours entre Israël et l’Iran, survenue en juin, a accentué les tensions. De nombreux observateurs iraniens s’attendaient à un soutien plus concret de Moscou que de simples déclarations diplomatiques. L’analyste Ali Akbar Dareini, du Centre iranien d’études stratégiques, évoque l’absence de livraisons d’armes supplémentaires, de partage d’informations sensibles ou d’appui opérationnel tangible.
Une alliance pragmatique et limitée
Des analystes occidentaux décrivent la relation russo-iranienne comme essentiellement transactionnelle. La Russie chercherait à conserver une autonomie complète sur sa production de drones afin de ne pas dépendre de futures négociations avec l’Iran. Cette posture illustre, selon eux, la tendance du Kremlin à agir uniquement en fonction de ses intérêts immédiats, même face à un partenaire clé.
Malgré ces tensions, certains observateurs estiment que l’Iran pourrait tirer profit de la situation à long terme. L’expansion de la production russe pourrait en effet permettre à Téhéran d’obtenir ultérieurement des drones améliorés ou d’accéder à de nouvelles technologies par rétro-ingénierie.
Perspectives et enjeux stratégiques
Le contrat initial prévoyait la construction de 6 000 drones d’ici septembre 2025, objectif atteint avec un an d’avance selon les services de renseignement ukrainiens. Cette rapidité, combinée à la baisse des coûts et à l’amélioration des performances, pourrait renforcer la capacité de la Russie à fournir des équipements militaires à l’Iran à l’avenir.
Parallèlement, certains équipements russes, comme le système de défense aérienne S-400, auraient déjà été livrés à Téhéran, confirmant que la coopération militaire n’est pas interrompue. Pour Dareini, malgré les tensions actuelles, l’Iran continuera de bénéficier de cette relation : qu’il s’agisse de matériel, de technologie ou de coopération économique, le pays obtiendrait ce qui est nécessaire à sa sécurité.
Cependant, la production autonome et massive des Shahed-136 par la Russie, couplée aux différends sur les contreparties, laisse entrevoir une relation plus complexe qu’annoncée. Entre coopération et compétition, Moscou et Téhéran avancent sur un fil étroit, chacun cherchant à maximiser ses gains sans trop concéder.
source Jforum.fr