
Mohamed L qui a égorgé Alban Gervaise devant une école catholique à Marseille : échappe à la justice
Meurtre d’Alban Gervaise à Marseille : son épouse se pourvoit en cassation contre la décision de justice déclarant le meurtrier irresponsable
L’épouse du médecin militaire, poignardé à mort devant une école catholique à Marseille en mai 2022, espère faire évoluer la loi sur l’irresponsabilité pénale.
Le combat se poursuit pour l’épouse d’Alban Gervaise, un médecin militaire de 40 ans poignardé à mort devant une école catholique à Marseille en mai 2022. Christelle Gervaise a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rendu le 25 juin déclarant Mohamed L., le meurtrier de son mari, pénalement irresponsable, a appris Le Figaro.
Les trois expertises psychiatriques réalisées au cours de l’instruction avaient conclu à une abolition du discernement du meurtrier au moment des faits. Atteint d’un possible début de schizophrénie et consommateur de cannabis, Mohamed L. aurait, selon les experts, eu une «bouffée délirante aiguë» lors du passage à l’acte.
Mohamed L. ne sera donc pas jugé par une cour d’assises, échappant ainsi à la prison, mais restera hospitalisé sous contrainte pour une durée inconnue à ce jour. Au grand dam de Christelle Gervaise, la justice n’a pas prononcé de mesure d’éloignement hors de Marseille…
A l’issue de l’information judiciaire, il existe des charges suffisantes à l’encontre de M. L. d’avoir commis les faits de meurtre au préjudice d’Alban Gervaise […] Toutefois, il convient de relever que toutes les expertises et contre-expertises ont confirmé qu’il était atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. En l’espèce, un trouble psychotique aigu, également appelé bouffée délirante aiguë […] En conséquence de quoi, il y a lieu de le déclarer pénalement irresponsable des faits qui lui sont reprochés […]. Dans la mesure où les troubles mentaux dont souffre M. L. nécessitent des soins, compromettent la sûreté des personnes et portent atteinte gravement à l’ordre public, une mesure d’hospitalisation complète dans un établissement psychiatrique doit être ordonnée ».
Installateur de cuisine de 27 ans au casier judiciaire vierge, décrit par son patron comme un « bon employé », garçon « intelligent et réservé », selon ses proches, M. L. ne comparaîtra jamais devant une cour d’assises. De même ne retournera-t-il pas en prison. Il n’aura pas à s’expliquer sur les raisons qui l’ont conduit à poignarder mortellement Alban Gervaise, il y a un peu plus de trois ans devant le groupe scolaire Sévigné, dans le 13e arrondissement de Marseille.
Pas de responsabilité pénale, et donc pas de procès possible : ainsi en a jugé la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 25 juin.
Une première tentative d’agression
10 mai 2022. Au volant de son véhicule stationné devant l’école de ses enfants, le Dr Gervaise, médecin militaire de 40 ans, brillant agrégé de radiologie, attend la sortie de ses deux fils, âgés de 3 et 7 ans. Il vient de récupérer à la crèche sa fille de 18 mois, sanglée à l’arrière dans son siège-auto. M. L., qui rôde depuis plusieurs heures aux abords de l’établissement scolaire, surgit alors côté passager et porte plusieurs coups de couteau suisse au médecin. Parvenant dans un premier temps à s’extraire du véhicule, le Dr Gervaise est rattrapé après une course d’une vingtaine de mètres. Son agresseur le pousse dans un buisson et lui plante sa lame en plein cœur. Grièvement blessé, le père de famille succombera à ses blessures le 24 juin, après avoir subi trois arrêts cardiaques, développé un syndrome de détresse respiratoire aiguë et enduré plusieurs interventions de chirurgie lourde.
Plusieurs témoins présents sur la scène de crime, dont les policiers qui l’interpellent, alors qu’il a été maîtrisé et maintenu au sol par deux courageux badauds, ont entendu l’auteur crier : « Laissez-moi le finir, c’est le diable, au nom de Dieu il le mérite, je lui ai mis trente coups de couteau ! » ; « Lâchez-moi, il faut que je le tue ! » ; « C’est le diable, il le mérite, il le mérite ! ». « Dieu a annoncé l’appel, il l’a mérité, des voix m’ont dit de le faire », déclare encore M. L. dans le véhicule de police qui le conduit à l’hôpital. « Il a insulté ma race ! », avait-il hurlé lors de son passage à l’acte, les mains pleines de sang.
Un témoin, parente d’élève, racontera avoir aperçu l’intéressé – formellement identifié sur une planche photographique » – aux abords de l’école, quelques jours avant le drame, errant de trottoir en trottoir, invectivant passants et automobilistes avec agressivité. Une heure avant le crime, une première tentative d’agression avait eu lieu devant une autre école, ce que ne relève pas l’arrêt.
Usage régulier de stupéfiants
Aucune aspérité, dans la biographie du suspect : « employé modèle », « collègue de travail apprécié », « ni bagarreur, ni impulsif, toujours gentil », à en croire ses parents et la seule petite amie qu’on lui connaît. Né à Brignoles en 1998 dans une famille d’origine maghrébine, deuxième enfant d’une fratrie de six, M. L. était reparti vivre en Algérie à l’âge de 11 ans, avant de revenir en France neuf ans plus tard. Pratiquant la religion musulmane, il n’a jamais présenté le moindre signe de radicalisation, ce que confirment la perquisition opérée dans son studio et l’analyse des données de son ordinateur.
Jamais condamné, il aurait pu l’être, toutefois, pour son usage régulier de stupéfiants. « Sa consommation de toxiques constitue un véritable obstacle à une stabilité professionnelle. Alors qu’il était parvenu à trouver un emploi stable, M. L. a perdu pied et s’est enlisé en raison de son addiction, qu’il ne contrôlait plus », note l’enquêteur de personnalité. Le jour des faits, le meurtrier présumé est « positif » au THC (cannabis).
Quinze jours plus tôt, il a cessé de travailler, déclarant à ses proches se sentir « fatigué », avant de quitter brutalement le domicile familial et de se livrer à des automutilations. Mutique durant sa garde à vue – mesure contre laquelle le médecin qui l’a examiné n’a révélé aucune contre-indication –, M. L. vit très mal cet isolement, se montrant très agité, se tapant la tête contre les murs de sa geôle. Refusant de se rhabiller après la fouille réglementaire, au dépôt du palais de justice de Marseille où il est conduit, l’agresseur, qui a déchiré ses vêtements, comparaît entravé, vêtu d’une combinaison de papier devant le juge qui lui notifie sa mise en examen.
Placé sous mandat de dépôt, sa détention se passe mal, émaillée de plusieurs incidents et d’agressions sur des surveillants, qui lui valent un séjour au quartier disciplinaire. Trois mois après son incarcération, M. L. est admis en soins psychiatriques : à l’Unité pour malades difficiles (UMD) de Montfavet, d’abord, puis à l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) rattachée au centre pénitentiaire des Baumettes, deux ans plus tard.
Pas moins de trois collèges d’experts-psychiatres vont être désignés pour examiner l’intéressé. Tous concluent à l’existence de troubles psychiques ou neuropsychiques ayant aboli le discernement et entravé le contrôle des actes du meurtrier, au moment des faits. Faisant application de l’article 122-1 du Code pénal et de l’article 706-22 du code de procédure pénale, le juge d’instruction, conformément aux réquisitions du procureur, saisit alors la cour d’appel « aux fins de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».
Risque de récidive
« Trouble psychotique aigu » ; « bouffée délirante avec idées résultant d’un mécanisme imaginatif et hallucinatoire à thématique mystique de complot et de persécution » ; « emprise d’une force à laquelle il n’a pu résister » ; « persistance de symptômes résiduels de type repli autistique » ; « épisode délirant de grande intensité […] ayant participé à l’émergence d’un vécu de persécution »… Le tableau clinique dressé par les experts est sombre. À l’un d’eux, M. L. raconte s’être senti « habité par un esprit maléfique », « poursuivi par des animaux et surveillé par la population ».
À un autre, il évoque « un pacte avec le diable l’engageant à tuer quelqu’un avant le coucher du soleil ». Devant un troisième, il semble pris de remords : « Ça me met malade de savoir que j’ai tué ». Tous les psychiatres pointent sa dangerosité potentielle et un risque de récidive élevé, le sujet présentant toujours « les stigmates d’un état dangereux », pour lui-même et les autres. Autant dire que leur pronostic est réservé : « Statistiquement, un tiers des bouffées délirantes aiguës restent sans lendemain, un tiers récidive, le dernier tiers évoluant rapidement vers une schizophrénie », prédit l’un d’eux.
À la demande des parties civiles, une ultime contre-expertise est lancée, aboutissant aux mêmes conclusions : l’abolition du discernement du meurtrier, qui se trouvait, lors de son passage à l’acte, « aux prises avec des symptômes délirants, mystiques et persécutoires, de mécanismes hallucinatoires, et ce depuis plusieurs mois. Ce qui l’a amené à augmenter sa consommation de substances, conduisant vraisemblablement à majorer ses symptômes psychotiques » devenus « de plus en plus envahissants, jusqu’à entraîner une rupture totale avec la réalité » et « des troubles majeurs du jugement ».
Prémices d’une entrée dans la psychose accélérée par une addiction au cannabis toujours plus envahissante : le mécanisme, infernal, est assez bien décrit mais les experts, comme l’arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale du 25 juin, passent vite sur une autre disposition du Code pénal : l’article 122-1-1, création de la loi du 24 janvier 2022 « relative à la responsabilité pénale ». Que dit ce texte, entré en vigueur après l’affaire Sarah Halimi, cette femme de confession juive de 65 ans assassinée et défenestrée en 2017 par son voisin, consommateur régulier de cannabis, lui aussi déclaré irresponsable après que deux experts sur trois eurent conclu à une « bouffée délirante aiguë » ayant aboli son discernement ? Ce nouvel article énonce que l’irresponsabilité pénale ne s’applique pas « si la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou d’en faciliter la commission ».
Les consommations de substances psychoactives ont, certes, aggravé les symptômes mais n’en sont pas à l’origine (un expert)
M. L. a-t-il augmenté sa dose quotidienne de résine de cannabis pour, en quelque sorte, se donner du courage et mener à bien son funeste projet ? Les juges écartent cette hypothèse d’un trait de plume. « Selon les experts, la persistance de symptômes dans le temps, en garde à vue, en prison puis à l’hôpital, témoigne de l’existence d’une maladie psychotique sévère, les consommations de substances psychoactives ne pouvant expliquer les faits à elles seules. Elles ont certes aggravé les symptômes mais n’en sont pas à l’origine ». Et la chambre de l’instruction de conclure, sur la base des expertises, toujours : « Le passage à l’acte est à mettre [avant tout] sur le compte d’une angoisse de mort massive ». L’hypothèse d’une simulation de la folie, évoquée du bout des lèvres par le psychologue désigné durant l’instruction ? Écartée également. « Les [autres] experts ont indiqué de manière argumentée et concordante qu’ils n’avaient trouvé aucun argument en faveur d’une simulation du mis en examen de son trouble », dit la cour.
Conclusion : M. L. n’est pas accessible à une sanction pénale. « En présence d’un dérangement mental patent, il présente une dangerosité psychiatrique caractérisée justifiant une mesure d’internement en milieu spécialisé ». S’il lui est interdit d’entrer en contact avec la famille de sa victime, « il ne paraît pas nécessaire [à la cour] de lui interdire de se rendre dans le département des Bouches-du-Rhône », comme l’avaient demandé les parties civiles.
La ressemblance de cette affaire avec celle qui avait coûté la vie à Sarah Halimi, cinq ans plus tôt, est troublante. La décision de la cour d’appel d’Aix s’inspire d’ailleurs très largement de l’arrêt de la Cour de cassation (chambre criminelle) qui, le 14 avril 2021, avait confirmé l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, le meurtrier de la malheureuse sexagénaire. La juridiction suprême avait jugé qu’« une personne qui a commis un acte sous l’emprise d’une bouffée délirante abolissant son discernement ne peut pas être jugée pénalement, même lorsque son état mental a été causé par la consommation régulière de produits stupéfiants ». Pourquoi ? Car « la loi ne prévoit pas de distinction selon l’origine du trouble psychique ». Or, « lorsque la loi ne distingue pas, les juges ne doivent pas distinguer » mais se contenter d’appliquer la loi de manière uniforme, exige le droit. Sauf que depuis, la loi a changé et « distingue » tout de même un peu, lorsque des drogues ont été consommées…
Démence
Le principe selon lequel une personne en état de « folie » ou de « démence » ne saurait être jugée ne date pas d’hier. Il a été consacré il y a plus de 2000 ans dans le droit romain. « Un enfant ou un furieux qui ont tué un homme ne sont pas tenus par la loi ; l’un est défendu par l’innocence de ses intentions ; l’autre par le malheur de son sort », énonce déjà le droit romain (Digeste de Justinien, 48, 8, 12. Modestin). « On ne peut intenter d’accusation contre des insensés, car, n’ayant pas l’usage de la raison, ils ne sont pas capables de la malice qui fait le caractère du crime », théorise au XVIIIe siècle le jurisconsulte Robert-Joseph Pothier. René Garraud, l’un des plus grands juristes de la première moitié du XXe siècle, soutient dans son Précis de droit criminel que « l’inculpé, dès lors que son état mental le met dans l’impuissance de se défendre, ne peut être accusé ».
« Les avocats de l’épouse et des enfants du Dr Alban Gervaise ne remettent pas en cause ce principe, pas plus qu’ils ne réclament à tout prix l’incarcération du meurtrier de leur époux et de leur père », précise d’emblée Me Stéphane Bonichot, l’avocat à qui la famille de la victime a demandé de former un pourvoi en cassation, contre l’arrêt déclarant l’irresponsabilité de M. L. « Ce que nous contestons, c’est l’impasse que cette décision fait sur un certain nombre de points déterminants », poursuit cet avocat. « Qu’est-ce qui permet aux experts d’affirmer que l’auteur n’a pas volontairement consommé des stupéfiants dans un temps très voisin de l’action, dans le dessein de commettre l’homicide, hypothèse envisagée par le texte entré en vigueur en 2022 ?
Pourquoi le motif religieux a-t-il été écarté si promptement ? Pourquoi les juges ont-ils refusé de tenir le mis en cause éloigné du département dans lequel vivent mes clients, terrorisés à l’idée de devoir le croiser un jour ? En quoi consistent les expertises psychiatriques, et sur quels éléments objectifs se fondent-elles, si ce n’est sur une série d’entretiens avec le suspect ? Surtout, pourquoi la loi ne prévoit-elle aucun encadrement dans le temps de l’hospitalisation d’office de celui qui a été déclaré irresponsable ? Que se passera-t-il si les médecins déclarent dans deux ans qu’il est rétabli ? Mes clients seront-ils seulement informés d’une éventuelle levée de son hospitalisation ? ».
Les questions se bousculent, dans la tête des parties civiles, qui comptent beaucoup sur le pourvoi qu’elles ont formé pour obtenir des réponses. « Je vois dans l’arrêt de la chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence un déséquilibre manifeste entre la gravité des faits, d’une part, le suivi psychiatrique et le peu d’informations communiquées à mes clients, d’autre part », déplore Me Bonichot, qui envisage également de saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). « La loi devrait prendre en compte les situations où l’auteur se rend lui-même irresponsable, que ce soit par la prise de drogue ou le refus de se soigner », considère-t-il. « De même, les victimes devraient être tenues informées du parcours de soins du meurtrier, dont la durée devrait être fixée au départ, et calquée sur une peine criminelle. Enfin, la loi devrait automatiquement prévoir l’éloignement du mis en cause vis-à-vis des parties civiles, en particulier quand il s’agit de la famille proche ».
« Je ne réclame pas la prison à tout prix pour cet individu, je ne suis animé par aucun désir de vengeance. Prison ou pas, mon mari est décédé et ça ne ramènera pas Alban. Ce qui m’importe, c’est de savoir ce que l’on fait de ce type de patients ; ce qui me préoccupe, c’est qu’il ne récidive pas », confie au Point Christelle Gervaise, l’épouse de la victime – elle-même médecin de formation. « Sur quels critères l’hospitalisation d’office du meurtrier de mon mari pourrait-elle être un jour levée ? J’ai posé plusieurs fois la question et n’ai obtenu aucune réponse.
De même, on ne sait pas me dire comment on pourrait le retrouver, s’il devait un jour être suivi en ambulatoire et faire l’impasse sur ses rendez-vous… ». Elle ajoute : « Mes enfants sont trop jeunes pour comprendre mais mon fils aîné m’a tout de même posé la question : quand va-t-il sortir ? Est-on sûr de ne jamais le croiser, ne serait-ce qu’à l’hôpital où nous sommes nous-mêmes pris en charge ? Je n’ai pas pu le rassurer là-dessus ». « Un procès devant une cour d’assises [qui peut toujours déclarer l’accusé irresponsable au moment du verdict] m’aurait sans doute permis de mieux comprendre certaines choses », regrette Christelle Gervaise. « Mon mari est mort il y a trois ans, j’ai maintenant un peu de recul pour pouvoir sensibiliser le public et les parlementaires, avec calme et humilité ».