
Raphaël Jerusalmy: «Les Américains n’ont pas agi pour se battre aux côtés d’Israël, mais pour défendre des intérêts mutuels»
Par Eliott Mamane
ENTRETIEN – Après les frappes américaines en Iran et l’annonce d’un cessez-le-feu par Donald Trump, l’ancien officier du renseignement militaire israélien fait le bilan de l’opération Rising Lion préparée de longue date par le Mossad et décrypte ses conséquences.
Raphaël Jerusalmy est ancien officier du renseignement militaire israélien. Il publie « Tribunes de guerre. 2023-2025 », avec les commentaires de Mohamed Sifaoui (David Reinharc, juin 2025).
LE FIGARO. – Les frappes menées par Israël et les États-Unis ce week-end sont de toute évidence le fruit d’une proche coopération entre les deux pays. Mais Donald Trump a ensuite demandé un cessez-le-feu et ne semble pas favorable à un changement de régime. Jusqu’où peut aller la collaboration entre les deux pays ? Sont-ils toujours sur la même ligne ?
Raphaël JERUSALMY. – Si Donald Trump a décidé de frapper ces cibles nucléaires iraniennes, c’est parce que son état-major et ses services de renseignements lui ont offert un triomphe militaire sur un plateau d’argent. La victoire était certaine : la CIA et le Mossad coopèrent depuis de longues années, au point de partager les mêmes images satellite. En parallèle, le Centcom (commandement américain en charge du Proche-Orient) entretient d’étroites relations avec Tsahal. En l’occurrence, Israël avait préparé le terrain en amont en sécurisant un couloir tactique, permettant à la cavalerie américaine d’opérer sans heurts. Ainsi, les Américains n’ont pas agi pour se battre aux côtés d’Israël, mais pour défendre des intérêts qui s’avèrent mutuels. De même, la France a envoyé des bateaux en mer Rouge car la stabilité du commerce est dans son intérêt économique.
L’opération Rising Lion menée par Israël contre l’Iran s’est révélée spectaculaire. Était-elle préparée de longue date ? Visait-elle à neutraliser le programme nucléaire iranien ou à faire tomber le régime ?
Cette opération était une réponse au programme nucléaire iranien dont la chronologie a été favorisée par l’affaiblissement de la stratégie iranienne au Proche-Orient et contre Israël. Elle se basait sur l’activation de proxys (Hamas, Hezbollah, houthistes du Yémen, milices chiites en Syrie et en Irak) au service de son expansionnisme salafiste et pour détruire Israël. Or, en ce moment, le Hamas a d’autres préoccupations, le Hezbollah est neutralisé, la Syrie hors-jeu et les milices chiites affaiblies. Il ne reste pour seul proxy que les houthistes du Yémen.
Le Mossad recueille du renseignement en Iran depuis au moins quinze ans et étudie le régime sous toutes ses formes – économique, politique, militaire. Il a infiltré physiquement la société iranienne grâce à des agents du Mossad, au recrutement par le Mossad d’Iraniens sur place et au déploiement de moyens d’écoute. En 2021, en outre, le chef du Mossad a changé : le précédent, Yossi Cohen, croyait surtout aux renseignements humains. Son successeur, David Barnea (toujours en place), a couplé ce savoir-faire humain à une utilisation intensive de l’intelligence artificielle. Par exemple, Israël sait grâce à ses espions comment se comporte l’ayatollah Khamenei et a déjà simulé des alertes pour observer comment il agirait et avec qui il serait en cas d’urgence. En donnant ces données à une intelligence artificielle, aidée par des profilers humains, il est possible de déterminer ce qu’il ferait dans divers scénarios.
En octobre 2024, les renseignements ont ainsi appris que la production de missiles balistiques a été multipliée par deux et que la force al-Qods des gardiens de la révolution préparait des attentats contre les intérêts israéliens à l’étranger. C’est à ce moment qu’Israël a réuni ses meilleurs cerveaux pour établir un plan d’arrêt de la machine de guerre iranienne. Ils ont déterminé, au début de l’année 2025, comment une frappe initiale pourrait ouvrir des corridors tactiques à l’armée de l’air jusqu’à Téhéran et comment l’élimination de hauts gradés et des scientifiques les plus importants pourrait affaiblir le programme nucléaire iranien avant même une attaque de Fordo. C’est précisément au déploiement de ce plan que l’on assiste aujourd’hui.
Au-delà de l’affaiblissement du programme nucléaire iranien, croyez-vous en la possibilité d’un soulèvement de la population ?
C’est un rêve. Peut-être une utopie. Mais tout est en place pour soutenir le peuple iranien s’il souhaite prendre son destin en mains. Il est aisé de recruter des Iraniens sur place : les minorités ethniques (Baloutches, Kurdes, Arabes, Azéris…) sont brimées, la jeunesse estudiantine souffre de la tyrannie islamiste, les femmes sont victimes de la ségrégation sexuelle… L’offensive actuelle qui a été menée a été couplée à la potentialité d’un soulèvement populaire : Israël dispose de centaines d’agents en Iran qui sont à même de recruter des milliers de personnes. Nos couvertures sont suffisamment crédibles pour justifier des déplacements internationaux, ayant par exemple permis au Mossad ou à la CIA de former certains de ces agents à la gestion d’un éventuel soulèvement, avant d’être rapatriés en Iran. Les Israéliens et les Américains sont infiltrés dans diverses strates de la société iranienne et ont de quoi réduire au rang de la simple anecdote l’opération des bipeurs du Hezbollah.
Mais il reste vrai que malgré cette immense opposition au régime, celui-ci conserve des islamistes qui lui sont fidèles. Il y a donc un risque de guerre civile où les sympathisants du régime auraient le soutien de la police et des gardiens de la révolution face à une opposition moins armée – d’où l’importance des moyens israéliens sur place.
La possibilité d’un changement de régime sous l’impulsion d’un État étranger est très critiquée en Europe…
En Europe, on craint que cette option aboutisse au chaos, que les choses soient pires. Mais qu’est-ce qui serait pire que les mollahs ? Nous aimerions voir un régime libéral prendre la suite des mollahs en Iran. Mais s’il devait leur succéder un dictateur sans ambition nucléaire, admettons que la moitié du travail serait déjà faite. L’Europe tend à oublier le devoir moral et humanitaire, pour les démocraties, de débarrasser les peuples des monstruosités qui les gouvernent. Quand on voit l’impotence des Européens face aux manifestants réprimés par Loukachenko ou l’arrestation de l’élite intellectuelle turque par Erdogan, on comprend qu’elle néglige que le droit international a été mis en place pour aider les démocraties à combattre les tyrans, et non à protéger ces derniers.
Source
Le Figaro
« Ce qu’ils ont fait dépasse l’imagination»: l’incroyable infiltration du Mossad en Iran ».
Le Figaro