« Vous êtes juif? » ! la question primordiale des frères Kouachi à leur otage
Seul avec les frères Kouachi: le témoignage de l’otage de l’imprimerie
Il y a huit mois, au bout de leur cavale, les auteurs des attentats à Charlie Hebdo avaient retenu en otage cet imprimeur de Dammartin-en-Goële, près de Roissy. Après un long travail avec son psychologue, Michel Catalano est aujourd’hui capable de reconstituer ce qui s’est joué durant cette heure et demie. Il raconte.
Il est encore tôt à l’imprimerie Création tendance découverte (CTD), la petite entreprise familiale de Michel Catalano, en ce matin du 9 janvier. Dans la kitchenette, à l’étage, le patron discute avec son jeune graphiste, Lilian, sept ans de maison, tout en préparant du café. Ils attendent la visite d’un fournisseur pour 8h30, un habitué. Les deux hommes sortent les tasses quand la sonnerie retentit, à l’entrée.
« Il est en avance, s’étonne Michel Catalano. Ouvre, qu’il nous rejoigne. » Depuis le bureau voisin, Lilian tape le code déverrouillant la porte, puis revient boire son café. On ne passe pas par hasard dans cette zone d’activités en bordure de champs, située à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), près de l’aéroport de Roissy. Dans la rue, un seul portail ouvert à cette heure matinale, celui de CTD.
Comme personne ne monte, Michel Catalano s’avance vers la fenêtre. En bas, une voiture franchit le portail, celle de son chef d’atelier. Celui-ci fait demi-tour après avoir échangé quelques mots avec un inconnu. De l’individu, masqué par l’embrasure de la porte, Michel Catalano ne distingue rien, sinon le canon d’une arme et le tube d’un lance-roquettes. La veille, en roulant sur la nationale, il a croisé les cars de gendarmes dépêchés dans le secteur, où sont signalés les deux auteurs de la tuerie à Charlie Hebdo. Un peu plus tôt, on lui avait montré la photo choc où ils achèvent un policier à terre. Dans la seconde, il comprend. « Lilian, ils sont chez nous. Il faut appeler les gendarmes. »
Mais, déjà, des pas lourds résonnent dans la cage de l’escalier métallique en colimaçon. Le bruit du lance-roquettes cognant contre les barreaux ponctue leur ascension. A l’étage, pas d’issue, le patron le sait. « Coupe ton portable et cache-toi. »
C’est au premier étage de son imprimerie que Michel Catalano a été retenu.
Stéphane Remael pour L’Express
A 48 ans, Michel Catalano a une certaine idée des devoirs d’un chef d’entreprise. Avant d’emprunter pour monter sa propre affaire, il a grimpé les échelons, de représentant à directeur commercial. Il s’apprête à assumer, jusqu’au bout, ses responsabilités. Dans son gilet zippé au sigle de CTD, cet homme à l’abord chaleureux remonte l’enfilade des bureaux pour venir au-devant des terroristes. Calme et concentré, puisque sa décision est prise. Entre son employé et lui, un seul peut se dissimuler et avoir la vie sauve. Ce sera Lilian.
« Tuer un maximum de gendarmes et mourir en martyrs »
« Vous nous reconnaissez? » Le premier des frères Kouachi à surgir par l’escalier dans son gilet pare-balles, la main sur sa kalachnikov, est le plus jeune. Véhément, c’est lui qui donnera les ordres, prendra les initiatives. Il s’agit de Chérif, 32 ans, décrit dans des portraits publiés ultérieurement comme flambeur et irascible. Saïd, son aîné de deux ans, plus introverti, apparaît derrière lui.
L’imprimeur ne connaît pas leurs prénoms, alors il les distingue par la taille: le grand (Chérif, le meneur) et le petit avec un collier de barbe (Saïd). « On voulait en découdre dans les bois, finalement ça se terminera chez vous, poursuit le grand. On n’est pas venus pour négocier, mais pour tuer un maximum de gendarmes et mourir en martyrs. Vous avez la télé? Non? Alors la radio? »
Habituellement, Michel Catalano travaille avec Europe1 en fond sonore. En arrivant ce matin-là, son premier réflexe a été d’afficher le site sur sa tablette. Celle-ci trône sur son bureau, le son coupé. S’il l’avoue, il donne aux terroristes un moyen d’accès aux informations. S’il s’abstient, il court le risque d’être pris en flagrant délit de mensonge. Alors il répond à côté de la question: « J’ai une tablette. » Le grand ne relève pas et enchaîne: « Est-ce que vous êtes seul? » Michel Catalano regarde son interlocuteur dans les yeux, sans ciller: « Oui, je suis seul. »
Puis il propose de leur servir un café en désignant la machine destinée aux clients, juste à côté, près des présentoirs remplis de brochures. Son obsession, à ce stade où il pense ne pas en sortir vivant, consiste à gagner du temps pour permettre à Lilian de trouver une cache sûre. Le petit accepte l’invitation. Michel Catalano ouvre le sachet de capsules, en glisse une dans la fente. « Je vous montre comment préparer un expresso, dit-il, posé, les gestes précis. Pour après. » Il pense: après, quand j’aurai subi le même sort que les 12 victimes de Charlie Hebdo.
Pendant que le grand entame la conversation, le petit s’engage dans le couloir et pousse les portes, l’une après l’autre. Michel Catalano le guette du coin de l’oeil, tétanisé à l’idée que son employé soit découvert, et en perd le fil de la discussion. Pourquoi donc le terroriste lui parle-t-il du philosophe Michel Onfray? Il n’a pas le temps de réfléchir que, déjà, Saïd revient et repose la question: « Vous êtes seul? » Le voilà reparti, inspectant les derniers bureaux. Puis la question, encore, cette fois plus pressante. « Est-ce que vous êtes vraiment tout seul? » demande-t-il en pointant sa kalachnikov. Michel Catalano confirme: « Oui, je suis tout seul. » Mentir sans ciller, une nouvelle fois.
Le chef d’entreprise montre la fenêtre à travers laquelle les frères Kouachi guettaient l’arrivée des gendarmes.
Stéphane Remael pour L’Express
Après un silence, l’ordre tombe de la bouche du grand: « Rentrez dans votre bureau, appelez la police. » Les frères Kouachi veulent leur baroud d’honneur; l’imprimerie, un fortin recouvert de bardage métallique, va le leur offrir. Michel Catalano s’approche du téléphone, compose le 17. Une femme décroche, il branche le haut-parleur. « Je suis Michel Catalano, gérant de l’imprimerie CTD à Dammartin-en-Goële. Je suis retenu par les terroristes dans mon entreprise. »
Un binôme de combattants entraînés
Chérif se tient devant lui, le petit reste en retrait, sur le seuil. En permanence, un frère couvre l’autre. Ils forment un binôme, une technique de combattants entraînés. « Ils sont combien? » demande la voix féminine. Le petit lève sa main, écarte les doigts trois fois, mutique, pour signifier la réponse à donner. A nouveau, Michel Catalano joue son destin sur un mot. S’il obtempère et répond « beaucoup », il leurre les forces de l’ordre, dont pourrait venir son salut. Il ne peut pas non plus désobéir en disant la vérité, « deux », alors il lâche: « Plusieurs. » Son interlocutrice s’agace, sans prendre la mesure de la situation:
« – Ils sont en face de vous et vous êtes incapable de me dire combien ils sont?
– Je ne sais pas. Plusieurs. »
Saïd conforte Michel Catalano d’un mouvement de la main, les doigts joints. Restons-en là, laisse-t-il entendre. Dans les yeux du petit, l’imprimeur ne lit pas de menace, jamais. « Un regard très doux », a dit de lui une journaliste rescapée de Charlie Hebdo. Saïd, qui a averti plusieurs fois son cadet, durant la fusillade dans la rédaction: « On ne tue pas les femmes ! » Avant de quitter la pièce, Michel Catalano ramasse la tablette branchée sur Europe1, qu’il glisse, discrètement, sous son bureau.
Les frères s’attablent près de la machine à café, devant la baie vitrée offrant la vue sur le portail et la rue. Michel Catalano s’assied avec eux. En exposition, un panneau affiche ces pin-up en petite tenue qui décoraient les Jeep des Américains pendant la Seconde Guerre mondiale. L’entreprise les reproduit sur des adhésifs pour les collectionneurs fans du Débarquement. Quand le grand aperçoit les dessins, la tension monte brutalement.
« Il ne faut pas avoir des choses comme ça, c’est blasphème, il faut lire le Coran », intime-t-il à l’imprimeur. Au regard exalté de l’homme, à ses pupilles grossies par la colère, Michel Catalano sait la situation explosive. D’origine modeste, l’entrepreneur a grandi en banlieue, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis); il y entraîne des jeunes au hockey sur gazon et là, il reconnaît les signes indiquant que toute discussion serait vaine. Alors il se tait.
Le placard dans lequel le jeune graphiste, Lilian, s’est caché pendant huit heures.
Stéphane Remael pour L’Express
Dans un long prêche, le terroriste se revendique d’Al-Qaeda au Yémen, s’en prend au gouvernement français, aux juifs. Et l’interroge: « Vous êtes juif? » Michel Catalano ne l’est pas, il pourrait répondre non. Mais ce serait renier ses valeurs, le respect porté à toutes les religions, lui qui n’est pourtant pas croyant. Il esquive: « Je suis français d’origine italienne. » La réponse satisfait le prédicateur: « On n’a rien contre les chrétiens. »
Un cri, « Allahou Akbar! », suivi de tirs en rafales
Au bruit de moteur d’un véhicule, dehors, Chérif s’interrompt et se poste à la fenêtre. Au-dessous d’eux, sur le parking, le fournisseur attendu ce matin-là descend de sa voiture. Le grand, perplexe, le regarde ouvrir la portière arrière, ramasser une liasse de documents, la glisser dans sa sacoche. « Il faut faire partir le monsieur », énonce Michel Catalano d’un ton ferme.
Et il ajoute, au bluff, parce que le terroriste a dit plus tôt qu’il ne tuait pas les femmes et les enfants: « Il est père de famille. » Chérif acquiesce: « Oui, on va faire ça. » L’imprimeur poursuit, imperturbable: « Ensuite, on va fermer le portail. » Il descend l’escalier, le terroriste lui emboîte le pas. Et si celui-ci le suivait pour abattre son visiteur? A cette idée, il frémit. La suite, toutefois, se déroule sans drame. Avant de remonter à l’étage, Chérif ordonne:
« – Laissez la porte d’entrée ouverte.
– En plein hiver? Mais le chauffage est allumé! » Le terroriste esquisse un sourire, un rictus plutôt: »
– Vous pensez que c’est important? »
L’entrepreneur réalise à quel point l’échange est surréaliste:
« – Vous avez raison, ce n’est pas important. »
9h15: une voiture de la gendarmerie locale apparaît dans le rectangle de la fenêtre. Michel Catalano voit le véhicule se ranger le long de la clôture, un gendarme et sa jeune collègue en descendre, armés de revolvers. « On va s’occuper d’eux », s’exclame le grand. Le petit bondit sur ses pieds, presse l’épaule de son frère: « On y va! » Chérif s’engage dans l’escalier le premier.
Dans l’esprit de l’imprimeur, cette sortie annonce le dénouement. Pour se mettre à couvert, il se réfugie à l’intérieur de son bureau, dans un cagibi. Il entend un cri, « Allahou Akbar! », suivi de tirs en rafales. Puis l’écho sourd du pas des terroristes gravissant l’escalier métallique. Ce même écho qui s’est gravé plus tôt dans son cerveau, quand ils ont fait irruption dans l’entreprise. Un bruit désormais synonyme, pour lui, de grand péril.
Puisque les frères reviennent, il en déduit que les gendarmes sont morts. En réalité, seule leur voiture a été criblée de balles, il ne l’apprendra que plus tard. De son abri, il voit les deux silhouettes passer dans le couloir. Saïd claironne: « Monsieur, vous êtes où? » Le ton n’est plus comminatoire. Ce pourrait être, presque, un appel à l’aide. « Ne vous inquiétez pas, je suis là », répond Michel Catalano, en s’extirpant de son réduit.
« Je vais mourir », lâche Chérif, les yeux révulsés
Les combattants ne sont plus aussi ardents. Le grand a été touché par un tir. Il est choqué. Le petit, un peu désemparé. « La balle est ressortie », dit-il à son frère, en palpant son cou, en sang. Michel Catalano, sur ses gardes, se tient à distance, avant de proposer: « Je suis secouriste, je peux vous soigner. » Pâle et crispé, le blessé respire fort. Des haut-le-coeur lui soulèvent la poitrine. « Installez-vous sur cette chaise, l’armoire à pharmacie se trouve en face, dans les toilettes », poursuit l’imprimeur.
Chérif pose sa kalachnikov au sol, contre le mur, et se laisse choir sur le siège. « Je vais mourir », lâche-t-il, les yeux révulsés. « Non, pas maintenant », l’encourage son frère, tout en contrôlant les faits et gestes du soigneur. Ce dernier pousse la porte des toilettes, la maintient ouverte avec le pied pour que Saïd le voie attraper du coton et un flacon de désinfectant.
Annoncer ses intentions, se montrer prévisible: il a adopté ces règles, à l’instinct. Le grand lui offre son cou, il se penche pour nettoyer la plaie. La balle a seulement éraflé la peau, cependant le sang continue à couler. Il faudrait confectionner un bandage, mais les ciseaux pour couper le sparadrap sont dans la pièce du fond et au fond, il y a Lilian… Faute de mieux, il colle un pansement. Un travail propre.
Puis il tente sa chance auprès de l’aîné: « Je peux partir? » Le cadet s’agite sur sa chaise: « Non, il ne part pas, il reste là, le pansement tombe! » Michel Catalano réfléchit vite, avec une efficience rare: « Je vais le refaire, avec une bande élastique. Je vais chercher des ciseaux dans le bureau de ma femme. » Il entre dans la pièce, toujours sous la surveillance du petit. Ressort avec les ciseaux, reprend le désinfectant. Cette fois, il pose une compresse sur l’entaille, puis entoure le cou du blessé avec la bande. Et réitère: « Je peux partir? »
Chérif et Saïd Kouachi, abbatus par les forces de l’ordre, la 9 janvier 2015.
Service de police/AFP
Le grand proteste à nouveau: « C’est trop serré! » Michel Catalano, impassible, cisaille son ouvrage et recommence l’opération. Puis, d’un ton plus résolu: « Je peux partir maintenant? » L’aîné, droit dans les yeux: « Allez-y. » Un pas, puis l’autre. Michel Catalano marche vers l’escalier, sans précipitation. Terrible dilemme: doit-il révéler la présence de Lilian et réclamer sa libération, au risque de déclencher la fureur des frères? Il y renonce.
La fragile confiance gagnée au bout d’une heure et demie, à force de pondération et de marques de respect, n’y résisterait pas. Alors il continue, sans se retourner. Dans son dos, le bruit d’une crosse de kalachnikov raclant le sol, comme une arme qu’on ramasse. « Je me suis trompé sur leurs intentions, se dit l’imprimeur, jamais ils n’ont imaginé m’épargner. » Il descend les marches. Et si le petit se précipitait derrière moi pour affronter le GIGN arrivé en renfort, se demande-t-il encore. Mais Saïd, de là-haut, dit seulement: « Fermez la porte. »
A 10 heures environ, Michel Catalano se retrouve dehors. Il a misé sur la part d’humanité des terroristes, et il est vivant. Oui, mais Lilian reste pris au piège. « Je l’ai abandonné », s’accuse le patron, tandis que l’attente se prolonge. A 17 heures, les terroristes ouvrent la porte du bâtiment et s’élancent en tirant. Quelques mètres plus loin, ils sont abattus. Dans la foulée, les gendarmes délivrent Lilian. Le jeune homme a passé plus de huit heures recroquevillé dans un placard, sous l’évier de la kitchenette. Pour l’imprimeur de Dammartin-en-Goële, une autre vie commence. Celle d’ex-otage des frères Kouachi.
source :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/seul-avec-les-freres-kouachi-le-temoignage-de-l-otage-de-l-imprimerie_1716005.html
Témoignage émouvant d’un immigré devenu français de coeur.
L’Italie est un pays de la vieille Europe.
Celle qui a des racines gréco-romaine et judéo-chrétienne.
Vous etes juif ?, question primordiale, posé pas seulement par les terroristes.
Discrimination au logement, travail, cela annonce beau jours.
Je ne comprends pas. Nous sommes en 2015 – et toujours ces relents d’antisémitisme…
C’est encore pire qu’avant, et ce n’est que le debut, avant ils etaient crane rasé et doc martins, maintenant la diversité, si cher aux coeurs des socialistes et ecolo, encouragé par une classe politique depassé voir peu etre payé par le Qatar ou l’arabie saoudite.
En 30 ans j’ai vue l’antisémitisme et le racisme anti francais explosé.
il a eu un sang froid cest apres qu il a du avoir le contre choc
au debut cest comme dans un mauvais film.
Il a vraiment bien assuré dans ses réactions, il a fait ce qu’il fallait. Lui et son employé s’en sortent indemnes et il n’a pas aidé les terroristes plus que ce à quoi il était contraint.
qu’ils brulent tous ces salafistes et djihadistes de merde …