« Israël vise désormais la chute du régime iranien »

ENTRETIEN. Au-delà des infrastructures militaires et énergétiques, Israël a également ciblé des personnalités du régime iranien grâce à l’excellence de son renseignement, selon Olivier Mas, ex-membre de la DGSE.
Propos recueillis par Clément Machecourt
C’était il y a bientôt un an. Le 31 juillet 2024, le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, était tué ainsi qu’un de ses gardes du corps alors qu’il résidait dans un appartement à Téhéran. Un assassinat rendu possible par le renseignement, de l’observation d’images satellite à des sources humaines, au cœur même du régime des mollahs. Le même scénario semble se répéter dans les frappes massives qu’Israël inflige à l’Iran depuis le vendredi 13 juin et le lancement de l’opération « Rising Lion » (« Lion dressé »). Au total, en trois jours, l’armée israélienne affirme que son aviation aurait frappé 170 cibles et 720 infrastructures militaires.
Outre des aéroports, des sites militaires et des infrastructures énergétiques, les avions israéliens ont frappé des lieux de pouvoir, mais également des personnalités du régime. Dès la nuit de jeudi à vendredi, plusieurs haut gradés de l’armée iranienne et des gardiens de la Révolution ont été tués. D’abord le général Mohammad Bagheri, chef d’état-major des formes armées iraniennes depuis 2016. Il avait joué un rôle majeur dans le développement du programme balistique iranien.
Gholam Ali Rashid était le chef de Khatam al-Anbiya, le commandement d’urgence. Chef des gardiens de la Révolution depuis 2019 et figure dure du régime, Hossein Salami a, lui aussi, été tué dans les premières heures de l’attaque. Trois autres chefs des Pasdaran, respectivement à la tête des forces aérospatiales, de la force d’élite Al-Qods et du service de renseignement des gardiens, sont aussi morts. Des scientifiques membres du programme nucléaire ont également été visés. Mais ce ciblage s’accompagne de nombreuses victimes civiles, avec au moins 244 morts et un millier de blessés.
Cette décapitation en règle de la chaîne de commandement ressemble à celle réalisée quelques mois plus tôt contre le Hezbollah au Liban. Pour Olivier Mas, ancien membre de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les agences de renseignement israéliennes profitent à fond de leur avance technologique, notamment dans l’intelligence artificielle.
Le Point : Ces derniers mois, on a l’impression d’observer une montée en puissance d’Israël en matière de renseignement et de ciblage, que viendrait confirmer cette opération « Rising Lion ». Est-ce le cas ?
Olivier Mas : C’est effectivement remarquable. Israël mène une campagne très précise contre les installations nucléaires iraniennes, mais pas uniquement. On observe des assassinats ciblés de scientifiques et de responsables des gardiens de la Révolution. Cela démontre un niveau de renseignement extrêmement précis, car pour réaliser du ciblage, il faut savoir exactement où se trouvent les personnes à l’instant T. Cette précision, on l’a vue à l’œuvre contre le Hamas, le Hezbollah, et maintenant l’Iran. C’est comme si Israël lisait dans un livre ouvert.
Cette précision du renseignement change-t-elle dans la façon de mener des frappes aériennes ?
Oui, c’est surprenant car on a toujours dit que les campagnes aériennes seules étaient insuffisantes. Mais là, ce n’est pas du bombardement semi-aveugle comme les Américains à Bagdad. On vise les individus et le système avec une précision inédite. Le vecteur aérien redevient déterminant grâce à ce renseignement époustouflant de précision dans lequel j’ai l’impression que l’IA joue un rôle prépondérant.
Quel rôle l’IA pourrait-elle jouer ?
Elle permet d’accélérer les processus et de raccourcir les boucles décisionnelles. L’IA peut par exemple identifier le moment optimal où plusieurs cibles sont simultanément accessibles. Quand on vise des individus qui sont en mouvement constant, c’est particulièrement utile. Pour les structures fixes comme les installations, c’est différent, mais pour les cibles humaines, l’IA aide à gérer cette complexité.À LIRE
Mais le renseignement humain est toujours omniprésent, non ?
C’est toujours un mélange. La machine décisionnelle est alimentée par différentes sources de renseignement. Les sources techniques sont importantes, mais pour piéger les ordinateurs et identifier les bonnes cibles, il faut aussi du renseignement humain sur place. Quand quelqu’un entre dans un bâtiment sans son téléphone, il échappe aux moyens techniques. D’où l’importance d’avoir des « yeux et des oreilles » sur place.
C’est la panique totale. On le voit avec le Hezbollah, qui est complètement éteint et n’a pas riposté alors que l’Iran a été frappé comme jamais. L’alliance chiite ne fonctionne pas.
Comment les services israéliens peuvent-ils recruter des sources humaines en Iran ?
C’est probablement un mélange d’argent et d’idéologie antirégime. Ils peuvent s’appuyer sur des gens qui ont eu des proches emprisonnés ou torturés. Il n’y a probablement pas beaucoup de pro-israéliens en Iran, mais il y a des opposants au régime qui, combiné à l’argent, peuvent être recrutés.
À l’inverse, les renseignements iraniens semblent incapables de contrer les actions israéliennes…
L’Iran est complètement à la ramasse. C’est la conséquence d’avoir raté la révolution numérique avec un écart criant. Les services israéliens sont à fond sur l’accélérateur, car ils sont engagés dans une guerre pour leur survie. Ils prennent des risques et progressent beaucoup plus vite que les autres.
Les services secrets israéliens sont-ils aujourd’hui les plus performants au monde ?
Les Américains restent très puissants, mais Israël est le seul État occidental directement engagé dans une guerre, ce qui explique cette mobilisation totale de leurs moyens. C’est ce qui crée peut-être cet effet de loupe qui rend leurs capacités si impressionnantes.
Quel impact psychologique ces frappes ciblées ont-elles sur les dirigeants iraniens ?
C’est la panique totale. On le voit avec le Hezbollah, qui est complètement éteint et n’a pas riposté alors que l’Iran a été frappé comme jamais. L’alliance chiite ne fonctionne pas. Il y a même des rumeurs selon lesquelles l’adjoint du guide suprême aurait contacté les Russes pour préparer une éventuelle fuite, comme l’avait fait Bachar el-Assad avant que son régime ne vacille.
Les Israéliens vont continuer car on n’est plus dans l’ordre du message. Ils cherchent une efficacité maximale et, ayant développé ces capacités, ils vont en profiter. La lutte contre le nucléaire sert aussi de prétexte pour inclure d’autres objectifs, comme l’élimination des chefs des gardiens de la Révolution. Je pense qu’ils visent désormais la chute du régime.

Source
Le Point