La contestation de l’État juif par les « élites israéliennes »…

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par Pierre Lurçat
La polémique actuelle autour de l’adoption par la Knesset de la Loi fondamentale “Israël État-nation du peuple juif” ne peut être comprise sans la replacer dans le contexte de l’intervention grandissante de la Cour suprême dans la vie publique au cours des trois dernières décennies, et de la contestation du caractère juif de l’État par les membres des élites israéliennes post-sionistes. Le présent article, extrait de mon nouveau livre (Israël, le rêve inachevé, à paraître aux Editions de Paris / Max Chaleil), expose le contexte historique de cette controverse.

La récente polémique déclenchée par le vote à la Knesset de la Loi fondamentale définissant Israël comme “l’État-nation du peuple Juif” est une conséquence directe de l’affaiblissement de la notion d’État juif par la Cour suprême. Cette notion était en effet inscrite dans la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël de 1948, qui mentionnait explicitement le “droit naturel du peuple juif d’être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre État souverain”. L’idée que le nouvel État d’Israël était l’État-nation du peuple Juif était considérée comme une évidence incontestable par ses fondateurs, et elle a été acceptée par la communauté des nations, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947.

Comment cette évidence a-t-elle été progressivement remise en question, au point que l’adoption par le parlement israélien de la Loi fondamentale sur l’État juif est aujourd’hui largement dénoncée comme “polémique” ou anti-démocratique ? La réponse à cette question est étroitement liée à l’interventionnisme judiciaire de la Cour suprême, depuis le début des années 1990. C’est en effet cette dernière qui a ébranlé le large consensus qui existait en Israël en 1948, lors de la proclamation d’Indépendance, signée par des représentants de tous les partis, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique. En faisant du caractère juif de l’État un sujet polémique et en opposant “État juif” et “État démocratique” – deux réalités qui avaient coexisté sans problème majeur pendant quatre décennies – la Cour suprême a ouvert la boîte de Pandore.

Dans l’esprit des pères fondateurs du sionisme politique et des premiers dirigeants de l’État d’Israël – au premier rang desquels David Ben Gourion – le caractère juif de l’État n’était en effet nullement contradictoire avec son caractère démocratique. C’est dans cet esprit qu’il a élaboré le fragile équilibre sur lequel ont reposé l’État et ses institutions après 1948. Ben Gourion a fait preuve à cet égard d’une volonté de compromis inhabituelle, qu’il justifie ainsi dans ses écrits : “Sauver la nation et préserver son indépendance et sa sécurité prime sur tout idéal religieux ou antireligieux. Il est nécessaire, dans cette période où nous posons les fondations de l’État, que des hommes obéissant à des préoccupations et à des principes différents travaillent ensemble… Nous devons tous faire montre d’un sage esprit de compromis sur tous les problèmes économiques, religieux, politiques et constitutionnels qui peuvent supporter d’être différés”(1).

En totale contradiction avec cet esprit de compromis, qui a permis aux différentes composantes de la nation israélienne de coexister pendant les premières décennies de l’État, le juge Aharon Barak a adopté une démarche partisane et défendu des positions radicales sur le sujet crucial de l’identité de l’État d’Israël. Sous couvert de concilier les valeurs juives et démocratiques de l’État d’Israël, Barak a en effet mené un véritable combat contre tout particularisme juif de l’État. Au nom d’une conception bien particulière des “valeurs universelles” (“les valeurs de l’État d’Israël en tant qu’État juif sont les valeurs universelles communes aux membres d’une société démocratique” (2)), la Cour suprême a pris toute une série de décisions marquantes, dont le point commun était de réduire à néant le caractère juif et sioniste de l’État.

Ces décisions ont tout d’abord concerné principalement des questions religieuses, comme les conversions non orthodoxes (effectuées par les mouvements juifs réformés et « conservative »), ou bien le respect du shabbat sur la voie publique. Sur toutes ces questions, le juge Barak a fait preuve d’un esprit antireligieux militant, qui a suscité, en réaction, d’immenses manifestations contre la Cour suprême, organisées par le public juif orthodoxe au milieu des années 1990. Mais il s’est avéré par la suite que la doctrine Barak n’était pas dirigée uniquement contre le judaïsme orthodoxe, mais tout autant contre les valeurs fondamentales du sionisme politique.

La décision la plus marquante à cet égard a été celle de la Cour suprême dans l’affaire Kaadan. Il s’agissait d’une famille arabe qui avait voulu acheter une parcelle de terrain dans le village juif de Katzir, créé par l’Agence juive sur des terres domaniales appartenant à l’État. Dans cette affaire, le juge Barak a pris le contre-pied de la politique traditionnelle d’implantation juive en Israël, qui remonte aux débuts du sionisme, bien avant la création de l’État. L’arrêt de la Cour suprême, rédigé par Barak, affirmait ainsi que « l’État n’est pas en droit d’allouer des terres domaniales à l’Agence juive en vue d’y construire un village sur une base discriminatoire entre Juifs et Arabes ». En d’autres termes, la Cour suprême prétendait disqualifier toute l’entreprise de peuplement juif menée par l’Agence juive depuis les débuts du sionisme politique, au nom de sa conception de l’égalité.

C’est dans ce contexte de remise en cause progressive des fondements du sionisme par la Cour suprême – et plus largement, par une partie des élites israéliennes dont elle est représentative – qu’il faut comprendre la récente polémique autour de la Loi fondamentale sur l’État-nation. En réalité, celle-ci n’ajoute rien de nouveau à la Déclaration d’Indépendance. L’opposition virulente qu’elle a suscité s’explique surtout par l’effritement progressif du consensus sioniste, mis à mal par l’assaut de l’idéologie post-moderne et post-sioniste qui a triomphé à l’époque des accords d’Oslo, au début des années 1990. Cette période a été marquée par une véritable “révolution culturelle” (3) – concomitante à la “révolution constitutionnelle” que nous avons décrite plus haut – qui a vu les notions fondamentales du sionisme politique remises en cause par une large partie des élites intellectuelles de l’État d’Israël, dans le monde universitaire, celui de l’art et de la culture, les médias, etc.

Un de ceux qui a le mieux exprimé cette révolution culturelle a été l’écrivain David Grossman, qui écrivait dans un article publié en septembre 1993, intitulé “Imaginons la paix” (4) : “Ce qui est demandé aujourd’hui aux Juifs vivant en Israël, ce n’est pas seulement de renoncer à des territoires géographiques. Nous devons aussi réaliser un “redéploiement” – voire un retrait total – de régions totales de notre âme… Comme la “pureté des armes”… Comme être un “peuple spécial”… Renoncer au pouvoir en tant que valeur. A l’armée elle-même en tant que valeur…” Ce que nous dit Grossman – et ce qu’ont exprimé à l’époque des dizaines d’autres intellectuels partageant la même idéologie – c’est qu’il était prêt à renoncer à tous les éléments essentiels de l’ethos sioniste (ou “régions de notre âme”), pour transformer l’État juif en État de tous ses citoyens, c’est-à-dire en État occidental dans lequel les Juifs n’auraient plus aucune prérogative nationale.

C’est au nom de la même idéologie radicale que d’autres intellectuels ont prétendu abroger la Loi du Retour, fondement de l’immigration juive en Israël et pilier de l’existence nationale dans l’esprit de David Ben Gourion, son principal artisan, qui la considérait comme “la quintessence de notre État”. Mais la révolution culturelle entreprise à l’époque des accords d’Oslo a échoué. Elle a doublement échoué : une première fois, dans le feu et le sang du terrorisme palestinien, qui a anéanti les espoirs chimériques de mettre fin au conflit par des concessions territoriales. Et une seconde fois, lorsque les Israéliens ont rejeté par les urnes, à une large majorité, l’idéologie post-sioniste qui avait brièvement triomphé lors de la révolution culturelle menée par les opposants de l’État juif.

Les citoyens israéliens ont en effet exprimé, à de nombreuses reprises, leur attachement aux valeurs fondamentales du sionisme politique et à la notion d’État juif, décriée par une partie des élites intellectuelles. Le “retrait total des régions de notre âme” promu par David Grossman n’a pas eu lieu, parce que les Israéliens ont refusé, dans leur immense majorité, cette entreprise d’auto-liquidation nationale. Ils ont signifié qu’ils étaient attachés à la Loi du Retour et aux notions de ‘pureté des armes’ et de ‘peuple spécial’ tournées en ridicule par Grossman, et que leur âme juive vibrait encore. Ils ont signifié leur attachement indéfectible aux valeurs juives traditionnelles, à l’armée d’Israël (où le taux d’engagement dans les unités combattantes n’a pas faibli, malgré l’idéologie pacifiste) et à “l’espoir vieux de deux mille ans d’être un peuple libre sur sa terre”, selon les mots de l’hymne national.
Pierre Lurçat

Notes
(1) David Ben Gourion, in Hazon ve-Derekh, cité par Avraham Avi-Hai, Ben Gourion bâtisseur d’État, p. 120.
(2) A. Barak, “The constitutional Revolution : Protected Human Rights”, Mishpat Umimshal, cité dans La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’Edition 2016 p. 131.
(3) J’emprunte cette idée et d’autres au livre très riche de Yoram Hazony, L’État juif. Sionisme, post-sionisme et destins d’Israël, éditions de l’éclat 2007.
(4) Cité par Y. Hazony, op. cit. p.113.
Source :
http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/08/la-contestation-de-l-etat-juif-par-les-elites-israeliennes-par-pierre-lurcat.html

happywheels

8 Commentaires

  1. Jako Lévy dit :

    comment encore croire en un Etat Juif, quand une instance juridique dite « cour suprême…de volaille… » se permet cetteinsulte envers les milliers de juifs tués par ces untermenschen du Hamassis de criminels

    «  » »Cour suprême: l’État doit autoriser les proches du Hamas à se soigner en Israël
    Par TIMES OF ISRAEL STAFF
    Les ONG saluent la décision, mais critiquent la « politique d’accès restrictif » d’Israël ; un député de droite dénonce « le manque de responsabilité des juges » »

    xxx

    ça ne finira donc jamais ces comportements de larbins, de fayots, de dhimmis,de shtetlards, jamais!

    • Soiffir dit :

      D’ou L’intérêt de cette loi de survie dit d’état nation juive !!! Elle va contribuer à affaiblir cette cour néfaste de ramassis de gochos se proclamant « élite israélienne »

  2. Jako Lévy dit :

    dissolution de cette institution de traitres a Israel et au Peuple Juif !!!!!!!!

    «  » » »27 août
    Extrait:
    La Cour suprême israélienne a ordonné à l’Etat d’autoriser cinq habitantes de la bande de Gaza atteintes de cancer à se rendre à Jérusalem après que leur sortie de l’enclave palestinienne a été refusée sous prétexte de parenté avec des membres du Hamas.Depuis janvier 2017, l’Etat d’Israël peut interdire aux habitants de la bande de Gaza ayant des parents au premier degré faisant partie du mouvement islamiste Hamas l’entrée en Israël, même pour des soins médicaux. Dans son arrêt, la Cour suprême a jugé qu’aucune des femmes ne constituait une menace sécuritaire et que leur refuser l’entrée en Israël était « illégale ».

    xxxxx

    monstrueuse décision et insulte ignoble a la mémoire de nos soeurs et frères en religion tombés sous les coups des meurtriers de Gaza et ailleurs en Judée Samarie

    ………et ce roitelet haché et mité qui ne veut pas dégager…..ça résoudrait bien des problèmes!
    déjà en « invitant » les palestiriens a y aller , et de préférences accompagnés des traitres arabes musulmans d’ Israel

  3. Lior dit :

    Merci à Pierre pour ce texte. Je crois que le Sionisme est indissociable de la notion d’idéalisme: Israel est notre Eretz et nous devons tout donner pour lui.

  4. Hector dit :

    Elite israélienne = la gauche caviar française.

    Incapable et désintéressée de ses citoyens israéliens juifs qui sont pauvres et discriminés par leurs concitoyens ;pour elle, ses concitoyens ne sont d’aucun intérêt: qu’importe s’il ne dispose pas de logement stable, de métier, s’ils ont des cadis vides; la Tsedaka est amplement suffisante. les appertements israéliens ne sont cocçus que pour les personnes riches: totalement absurde.

    En revanche, elle ouvre les droits aux « palestiniens » subventionnés par le monde entier.

  5. vrcngtrx dit :

    ça fait vraiment de la peine qu’un si petit territoire durement récupéré soit autant menacé par ses voisins jaloux, lâché par des pourris de pays occidentaux, et maintenant trahi par les siens !

    • Hector dit :

      Oui, la trahison ne vient que des siens…

      Israel a aussi des citoyens qui commencent ici et là à se bouger dans sa société, ils font face à des lois différentes mai ils ont en fait des combats quasi similaires aux citoyens français: combattre les abus des élites qui délirent sur leurs dos.
      J’espère que prochainement, les bases démocratiques de plusieurs pays pourront se soutenir et reconnaitre dans leurs combats similaires. ( mais pas pour la lutte finale)

      • vrcngtrx dit :

        quand elle met en péril ses propres citoyens c’est la loi divine qui prime, pas celle des hommes et encore moins celle des pourritures

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