Riss : « “Charlie Hebdo”doit survivre à Daech »

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Après avoir reçu de nouvelles menaces de mort, l’hebdomadaire dépose plainte. Son directeur s’exprime aussi sur le procès Merah et la vie depuis janvier 2015.
La dernière une de l’hebdomadaire satirique qui présente un Tariq Ramadan au sexe hypertrophié, proclamant «Je suis le 6e pilier de l’islam!», place à nouveau le journal au cœur d’une polémique. À la suite de menaces de mort diffusées sur les réseaux sociaux, l’hebdomadaire satirique a annoncé lundi un dépôt de plainte. Riss, son directeur, se veut debout envers et contre tout. «Depuis janvier 2015, nous avons l’obligation de durer», estime-t-il.
Le dessinateur vient de publier, aux Éditions Les Échappés, un grand format sur Charlie Hebdo,1992-2017 et s’apprête à sortir, jeudi 9 novembre, un hors-série de 48 pages sur le procès Merah, qu’il a suivi de bout en bout.
LE FIGARO. – Charlie Hebdo fait l’objet de menaces de mort, à la suite de la une sur Tariq Ramadan, le prédicateur musulman. Est-ce, désormais, le prix à payer pour votre liberté d’expression?
RISS. -Ce n’est pas la première fois, depuis janvier 2015, que nous recevons de nombreuses menaces de mort. Mais il semble que pour cette couverture, leur nombre soit plus élevé que d’habitude. Depuis janvier 2015, la parole s’est libérée et l’appel au meurtre s’est banalisé, en particulier sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, la violence terroriste peut frapper n’importe qui, et pas seulement Charlie Hebdo. Le «prix à payer», s’il doit y en avoir un, est désormais pour tout le monde.
«Le 7 janvier, j’étais dans la salle de rédaction, et ce que j’ai vécu – jusqu’au bruit, au ressenti ou aux odeurs – ne peut se raconter dans le détail, sauf à deux ou trois personnes»
Riis
Vous avez passé cinq semaines au palais de justice de Paris à croquer le procès d’Abdelkader Merah. Pourquoi vous être mis, vous, au cœur d’un tel événement?
Je suis journaliste avant tout, et j’y ai assisté en tant que dessinateur. Ce procès, même s’il parlait beaucoup de celui qui n’était pas là, Mohammed Merah, avait une intensité palpable. Il a permis de comprendre des mécanismes de la construction de l’extrémisme religieux. L’affaire Merah, c’est le début de quelque chose, l’explication d’un type d’attentat inédit en France.
J’ai passé des semaines à écouter cette famille expliquer que l’Amérique et Israël tuaient leurs frères arabes, et qu’il fallait les venger. Ou que l’on devenait un élu de Dieu si on passait par la case prison. Assis à l’étage, en face du prétoire, j’ai dessiné, rempli des grandes pages, qui formeront un hors-série de planches commentées.
Ce procès, c’était une forme de mise en abîme pour vous…
En quelque sorte. S’il y a un procès en 2018 impliquant le réseau à l’origine des attentats de janvier 2015, je serai forcément appelé en tant que témoin. Le procès Merah m’aura préparé à cette confrontation qui, je le sais d’avance, sera très difficile.
Depuis 2015, vous êtes entouré de gardes du corps. Comment vit-on ainsi?
On fait avec. Aucun de nous, dans l’équipe, ne pourra plus jamais avancer sans avoir cette journée à l’esprit. Elle plane au-dessus de nos têtes, tout le monde y pense, sans jamais en parler.
Vu de l’extérieur, le 7 janvier a une unité de lieu et de temps. Mais pour ceux qui étaient à l’intérieur des locaux de Charlie Hebdo, le temps et l’expérience n’ont pas été les mêmes. Chacun d’entre nous a vécu quelque chose de différent, selon l’endroit où il se trouvait. Pourtant, chacun s’est vu au centre du drame. J’étais dans la salle de rédaction, et ce que j’ai vécu – jusqu’au bruit, au ressenti ou aux odeurs – ne peut se raconter dans le détail, sauf à deux ou trois personnes. Luz a écrit un livre sur son expérience. Moi, je n’ai pas les mots pour, et, de toute façon, je ne sais pas si mon récit serait compris des autres.
«Quinze ans après le premier numéro de Charlie, nous sommes confrontés à l’obligation de durer. Nous avons le devoir de continuer, tout en ayant les mêmes soucis que tous les autres journaux papier»
Riis
Vous employez les mêmes mots que les rescapés de la Shoah, après-guerre.
C’est du même ordre. Certaines choses relèvent d’une langue inconnue du commun des mortels. Pourquoi parler, au final? Je me le demande moi-même. Tout ce que je sais c’est que je ne veux pas être enfermé dans un statut de victime, d’autant que tout le monde se perçoit comme tel. L’avocat Dupond-Moretti a même été jusqu’à affirmer que la mère de Mohamed Merah «était aussi la mère d’un mort»…
Quel est l’avenir de Charlie Hebdo?
En janvier 2015, les gens ont compris que nous pourrions disparaître. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que c’est toujours le cas. Après le drame, nous nous sommes retrouvés investis d’une mission, à notre corps défendant. Nous essayons d’y répondre en nous centrant sur ce que nous aimons faire, le dessin d’humour. Nous avons toujours été pessimistes, de toute façon!
Mais quinze ans après le premier numéro de Charlie, nous sommes confrontés à l’obligation de durer. Nous avons le devoir de continuer, tout en ayant les mêmes soucis que tous les autres journaux papier. En 1992, il y avait 36.000 points de vente pour la presse, il n’en reste plus que 20.000. Pour nous, la gratuité sur Internet va de soi: nous ne pouvons pas être que mercantiles, et la seconde génération de lecteurs lit largement sur le Web. Il faudra toutefois trouver un juste équilibre entre le payant et le gratuit.
«Le renouveau de la gauche française, si renouveau un jour il y a, devra concerner toutes les familles de la gauche, y compris les plus radicales»
Riis
On avait vu 4 millions de Français dans la rue, en janvier 2015, clamant qu’ils étaient Charlie. Aujourd’hui, qui sont vos soutiens?
L’existence même du journal conforte ceux qui nous avaient soutenus et nous conforte, nous, dans notre détermination à continuer à le faire. Il y a un intérêt réciproque, entre les lecteurs, les citoyens et les membres du journal, à voir exister Charlie Hebdo, bientôt trois ans après l’attaque. Il faut tenir: Charlie Hebdo doit survivre à Daech.
Les récentes manifestations des «islamo-gauchistes» vous inquiètent-elles?
Les «islamo-gauchistes» font partie du paysage politique depuis déjà longtemps. Ils ne nous surprennent plus, et répondent à des schémas idéologiques tellement démagogiques qu’ils en perdent toute crédibilité. Comme la gauche conventionnelle incarnée par le PS, les «islamo-gauchistes» sont eux aussi en pleine décrépitude. La crise que traverse la gauche française frappe aussi cette partie de la gauche. Les gauches dites «radicales» ou «alternatives» sont elles aussi en train de toucher le fond. Le renouveau de la gauche française, si renouveau un jour il y a, devra concerner toutes les familles de la gauche, y compris les plus radicales.
Source :
http://premium.lefigaro.fr/actualite-france/2017/11/06/01016-20171106ARTFIG00266-riss-8220charlie-hebdo8221doit-survivre-a-daech.php

happywheels

2 Commentaires

  1. b. duchene dit :

    Je veux vous aider à survivre et à vivre. Dites moi comment…

    Je suis au canada…

  2. Gilles-Michel De Hann dit :

    Edouard Philippe a déclaré ce mardi qu’il souhaitait « des poursuites », « afin que des sanctions puissent être prononcées » à l’encontre des auteurs de menaces anonymes sur Twitter contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo.

    « Je souhaite, dès lors qu’une menace de cette gravité est proférée, quel que soit le média sur lequel elle est proférée, que des poursuites puissent être diligentées afin que des sanctions puissent être prononcées », a déclaré le Premier ministre devant l’Assemblée nationale lors des questions au gouvernement.

    M. Philippe était interpellé par le patron des députés de La République en marche Richard Ferrand, à propos des menaces de mort diffusées sur les réseaux sociaux visant Charlie Hebdo, à cause d’un dessin représentant l’islamologue Tariq Ramadan, visé par deux plaintes pour viol.

    « Twitter n’est pas en dehors de la République », a souligné M. Philippe en fustigeant « cet anonymat souvent dérisoire et souvent abject derrière lequel se cache un certain nombre d’individus pour proférer des menaces ».

    « On ne peut pas dans notre pays impunément mettre en cause la liberté de pensée, de s’exprimer et même de caricaturer », a insisté le Premier ministre en réitérant la nécessité de « protéger tous ceux qui au nom de cette liberté de caricaturer seraient menacés ».

    « Je dois vous dire que des dispositions extrêmement précises ont été prises sous l’autorité du ministre de l’Intérieur pour protéger les lieux et bien entendu les personnes qui concourent au journal », a ajouté M. Philippe, sans vouloir détailler le dispositif.

    « Ces mesures sont prises depuis longtemps et elles ne cesseront pas tant que nous mesurerons une menace aussi élevée », a-t-il précisé.

    Lundi, le parquet de Paris a ouvert une enquête, confiée à la BRDP (brigade de répression de la délinquance contre la personne) de la police judiciaire, pour « menaces de mort matérialisées par un écrit » et « apologie publique d’un acte de terrorisme ».

    L’hebdomadaire satirique, dont une partie de la rédaction a été abattue lors des attentats jihadistes de janvier 2015, a déposé plainte lundi après-midi.

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