Romain Caillet : “Ils haïssent la France”

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Par Charlotte d’Ornellas
Rencontre. Qui sont ces djihadistes, que veulent-ils et pourquoi sont-ils partis ? Le livre intitulé Le combat vous a été prescrit, une histoire du jihad en France (Stock) revient sur l’histoire de ceux qui s’apprêtent à revenir.
Des “loups solitaires” aux “radicalisations express”, même le vocabulaire est choisi pour tenter de minimiser le développement d’une idéologie qui séduit de futurs soldats depuis près de trois décennies en France. À l’aide de leurs sources policières et judiciaires, des confidences du renseignement ou de celles des djihadistes eux-mêmes, Romain Caillet et Pierre Puchot livrent dans leur ouvrage une enquête fouillée et courageuse, qui aide à comprendre comment la France a laissé grandir en son sein ceux qui ne rêvent que de la détruire.
Votre nom est polémique, on vous accuse d’être musulman intégriste… Qu’en est-il exactement et comment travaillez-vous ?
J’ai toujours travaillé à partir des contacts que j’avais dans cette mouvance djihadiste, la connaissance de son idéologie, de son fonctionnement, de son histoire mais également à partir de mes propres souvenirs.
Il y a quelques années, j’ai été de plus en plus demandé sur les plateaux de télévision avant de devenir consultant pour BFMTV. Une occasion en or pour un journaliste qui ne m’aimait pas trop. Il a exhumé des extraits d’audition qui ne sont pas faux mais incomplets. Je pense notamment à une phrase. Nous sommes alors en 2008, et je dis que je ne veux pas que les jeunes partent faire le djihad sans connaissance religieuse. J’ai prononcé cette phrase lors d’une garde-à-vue d’anti-terrorisme, mais il y avait une suite que le journaliste s’est gardé de révéler. J’ajoute « d’autant plus que les gens qui dirigent ces groupes sont des gens dangereux ». Ce qui change tout.
Il a ensuite été carrément malhonnête en laissant entendre que je condamnais les djihadistes uniquement devant la police. Sauf qu’il s’est basé, pour affirmer cela, sur des écoutes… Je ne savais donc pas, par définition, que la police m’écoutait. Le journaliste a eu beau jeu, ensuite, de préciser que j’avais changé. La bombe était lâchée.

Que vous aviez changé… Mais qui êtes-vous vraiment ?
Pour répondre très concrètement à votre question, j’ai été proche de la mouvance djihadiste et je ne le nie pas. J’avais un pied dedans, même si je n’ai jamais été reconnu comme un des leurs. Certaines thèses me séduisaient, sur les régimes arabes notamment. Mais je n’ai jamais été d’accord avec eux sur la lutte contre l’Occident. J’ai été un compagnon de route de 2000 à 2007 avant de rompre violemment avec eux.
De cette période, j’ai gardé des contacts, des amis et j’ai ensuite continué à faire de la veille sous pseudonyme. Aujourd’hui, certains me détestent, d’autres acceptent mon travail qu’ils jugent objectifs et d’autres enfin restent des amis malgré nos divergences. Certains me transmettent donc des informations. Je précise que depuis juillet 2013, je n’utilise plus aucun pseudonyme : c’est la date à partir de laquelle beaucoup de djihadistes partent en Syrie, ils communiquent facilement.

Le terroriste Mohammed Merah n’était sans doute pas si solitaire que ça… Photo AFP / France 2
Vous parliez des consultants… Mais beaucoup sont également présenté comme des « experts ». Quel est votre regard sur le travail de ces derniers ?
Je viens du monde universitaire et je constate depuis longtemps qu’il y a des blocages pour travailler sur ce sujet. Certains sont idéologiques, d’autres techniques : manque de réseau, manque de compétences ou manque de contacts.

Des blocages idéologiques ?
Le milieu universitaire est très à gauche et il est donc terrorisé à l’idée de nourrir l’extrême-droite. En réalité, ce n’est pas mon problème d’universitaire. L’accusation d’islamophobie est une crainte un peu absurde. Il ne s’agit pas de travailler sur l’islam en tant que tel mais de parler du courant djihadiste qui a ses propres références, sa propre littérature, qui nécessite une approche linguistique et une connaissance historique. Les djihadistes reconnaissent – et déplorent – qu’ils sont minoritaires dans le monde musulman. Ils n’en sont pas moins une composante.
Mais il y a un autre problème pour ce milieu universitaire. En France, les djihadologues sont souvent accusés d’être trop proches de leur sujet mais aux Etats-Unis c’est l’inverse : on les accuse d’être trop proches de la police, de l’armée et des autorités. Le milieu a peur d’être accusé un jour de travailler grâce ou avec l’armée. Parce que vient inévitablement l’aspect sécuritaire du sujet. C’est une question que les universitaires détestent en général. L’un d’eux m’avait dit un jour que nous ne devions pas avoir de spécialistes du djihad mais plutôt de la violence radicale. Résultat, on se retrouve avec un anthropologue qui ne connaît pas l’arabe et qui n’est pas spécialisé. Au mieux il aura travaillé sur la délinquance en banlieue, mais on peut aussi se retrouver avec quelqu’un qui a bossé sur l’extrême-droite auparavant… Ce n’est pas sérieux.
Pour être complet, il y a aussi le problème du réseau. Beaucoup d’universitaire rêvent d’un poste à l’étranger pour un salaire plus intéressant. Pour cela, il faut avoir de bonnes relations avec les intellectuels locaux. Mais ces derniers ont souvent un discours complotiste qui accuse l’Occident de tous les maux. Ils évitent donc de parler de ces sujets.
Je me souviens d’une universitaire libanaise qui commentait sur mes sujets d’études : « c’est très très minoritaire ». Circulez, il n’y a rien à voir. Et quand par hasard on ouvre les yeux, tout est de la faute de l’Occident. Sans compter que pour obtenir un poste de directeur dans un centre de recherche à l’étranger, il faut être approuvé par un comité scientifique composé de plusieurs chercheurs mais également par un conseil de diplomates. Ils ne risqueront jamais de se mettre les uns ou les autres à dos.
Que raconte votre livre alors ?
L’histoire du djihad en France. Concrètement, il explique qu’il n’y aurait jamais eu d’attentats ici sans la conjonction de deux phénomènes : d’un côté des jeunes qui développent une haine de la France et de l’autre, une organisation terroriste extrêmement puissante ayant inscrit la France à son agenda.
Ces deux facteurs sont indispensables et si l’on oublie la haine de la France qui se développe dans les banlieues, on ne comprend pas. Si l’on réfléchit, l’Etat islamique préfèrerait mille fois frapper les Etats-Unis mais c’est moins facile. On ne trouve pas là-bas la même immigration et le terreau est moins favorable. En France, l’Etat islamique sait qu’il a des soldats. Mais si l’on occulte la question géopolitique, à l’inverse, on peine à comprendre parce que la politique internationale de la France est décisive dans la communication de l’Etat islamique. Certains hommes politiques refusent d’aborder cette question pour ne pas remettre en cause leurs propres décisions… Résultat, on explique qu’ils sont fous et tout le monde s’en sort comme ça. Sauf qu’à répéter cela sans essayer de comprendre, on se condamne à revivre éternellement la même chose.
On parle aujourd’hui de leur retour, de celui de leurs épouses ou de leurs enfants. Doit-on les craindre ?
Evidemment, les « revenants » tels qu’on les appellent depuis le succès du livre de David Thomson vont présenter un danger dans les années à venir, si certains d’entre eux abandonneront leurs convictions djihadistes, beaucoup les conserveront et apparaîtront comme des vétérans ou des modèles à suivre pour la prochaine génération de djihadistes. Outre la prise en compte de ce risque, bien réel, sur le plan sécuritaire, les hommes politiques ont bien compris que l’opinion publique rejette massivement toute idée de réhabilitation ou de pardon, contrairement à ce qui se fait parfois dans le monde arabe, pour les djihadistes.
Dans le même ordre d’idée, je pense que le gouvernement va tout faire pour empêcher ou retarder le retour de ceux qui sont détenus en Irak ou en Syrie et de toute façon il serait politiquement suicidaire d’évoquer une autre alternative. Pour autant est-ce forcément la meilleure chose à faire ? Selon moi, il n’y a que des mauvaises solutions dans cette affaire. Sur le papier c’est effectivement tentant pour les autorités de les laisser tomber dans l’oubli au fin fond d’une geôle irakienne ou syrienne, sauf que les choses ne se passeront pas forcément comme ça. Si en France on a encore jamais vu d’évasion de djihadistes réussie, dans le monde arabe ce n’est pas tout à fait la même chose.
Rappelons qu’en 2007, le Français Peter Cherif s’était évadé d’une prison irakienne, où il était censé purger une peine de 15 ans de prison. Qu’adviendra-t-il si ce n’était pas un mais des dizaines de djihadistes français qui s’évadaient dans les prochaines années ? En ce qui concerne les femmes, j’ai l’impression que dans leur perception dans le débat public on est passé d’un extrême à l’autre : il y a quelques années on les décrivait comme des victimes, tandis qu’aujourd’hui c’est presque comme s’il elles étaient plus coupables que leurs maris.

Les attentats du 13 novembre 2015. Tous les djihadistes était issus de l’immigration, légale ou illégale. Photo © SIPA
Alors certes elles ont adhéré à l’idéologie djihadiste, au projet de l’Etat islamique et, pour beaucoup d’entre elles, ont approuvé les attentats commis en France mais l’écrasante majorité d’entre elles s’est contentée d’un rôle du rôle d’épouse de djihadiste, sans exercer de responsabilité particulière. Enfin, pour ce qui est des enfants, seuls les garçons qui ont plus de neuf ans et ont donc pu participer à des séances d’endoctrinements et d’entraînement militaires présentent un danger réel. Ce qui ne veut pas dire que les petites filles ou les enfants nés là-bas, qui sont donc âgés de moins de cinq ans, ne présentent pas des traumatismes qui seront particulièrement durs à gérer pour les services sociaux.
Que pensez-vous du qualificatif, souvent utilisé, de « déséquilibré » ?
J’ai évidemment connu des djihadistes qui avaient des antécédents psychiatriques, comme dans toutes les mouvances radicales du monde. Mais les réduire à ça est absurde. Ils ont un argumentaire rationnel et même souvent glaçant. Quand ils doivent justifier la mort d’un enfant, ils affirment viser la communauté de l’enfant, point final. Il n’y a pas de place pour l’émotion dans leurs propos. Mais l’on comprend bien que cette qualification arrange tout le monde : en les prenant pour des fous, on évite la discussion sur les jeunes issus de l’immigration et la discussion sur les politiques étrangères de la France.
Et qui sont-ils alors ?
On retrouve des sympathisants de la mouvance dans tous les milieux sociaux et de toutes origines. Même chose chez ceux qui partent faire le djihad. En revanche, ceux qui réussissent des attentats sur le sol français sont des jeunes issus de l’immigration, au lourd passé délinquant. Il existe des Français de souche convertis qui ont fait des attaques kamikazes contre des positions irakiennes ou syriennes, mais aucun n’est rentré pour commettre un attentat chez lui. La haine de la France n’est sans doute pas la même.
Et que pensez-vous du qualificatif de loup solitaire ?
Cette idée de loup solitaire est ancienne mais elle s’est répandue dans les médias lors de l’affaire Mohamed Merah. Mais il y a deux choses. D’abord, j’ai du mal à croire que l’on puisse partir en Afghanistan, au Pakistan, en revenir, repartir, le tout avec une fiche S. Il était en processus de recrutement en tant qu’indic et il est tout à fait possible qu’il ait alors bénéficié d’une forme d’impunité à ce titre. Mais une autre question se pose pour revenir à la vôtre : celui qui est considéré comme son mentor en Afghanistan était alors accessible sur plusieurs forums francophones ! Comment peut-on croire Mohamed Merah qui expliquait avoir rencontré cet homme par hasard ? Le terme de « loup solitaire », même dans son cas, est assez peu crédible.
On entend parfois que les djihadistes n’y connaissent rien à l’islam…
Là encore, c’est une façon malhonnête d’évacuer le problème. Mais je vais vous raconter une anecdote qui explique peut-être cette supposition. Lors de la partie religieuse de mon interrogatoire, l’assistant maghrébin m’a demandé si je connaissais la différence entre chiites et sunnites. J’ai compris quelques années plus tard lorsqu’un juge anti-terroriste a expliqué que les djihadistes ne connaissaient rien à l’islam puisqu’ils ne savaient pas faire la différence entre chiites et sunnites.
Moi, dans ma vie, je n’ai jamais rencontré de djihadiste qui ne sache pas faire la différence ! Peut-être que les personnes auditionnées se moquent de ceux qui les interrogent. En tous cas, elles le savent forcément. Mais le fait est que beaucoup de musulmans veulent absolument montrer qu’il n’y a aucun rapport avec l’islam. Sans remettre la sincérité des bonnes gens en cause, il est absurde de prendre les djihadistes pour des ignorants absolus.
Comment expliquer l’augmentation considérable du nombre de départs au djihad ?
Il y a eu trois phases dans ce phénomène. D’abord l’impression d’aller sauver des Syriens opprimés, ce qui a été permis grâce à une dose de propagande à laquelle tout le monde a participé, y compris les médias français.

Est ensuite venue l’idée de participer à l’Histoire, de créer un Etat islamique, d’abattre les frontières de Sykes-Picot. Enfin, l’idée de vengeance s’est répandue quand la coalition s’est mise à frapper l’Etat islamique. Mais on ne peut réduire leurs motivations à ce conflit puisque l’on sait que nombre de membres de cette mouvance ont cherché à rejoindre une « terre d’Islam » avant ce conflit.
Quelle place donner exactement à la composante géopolitique dans leur motivation ?
Certains spécialistes pensent que la géopolitique est un alibi pour légitimer des pulsions meurtrières. En discutant avec les jihadistes, j’avais l’impression d’une réalité quand même, dans leur motivation. C’est un sujet qu’ils évoquent, alors qu’ils ne parlent jamais d’une société excluante ou du chômage par exemple. Cela reste un peu brouillon. Dans les débuts de cette mouvance, les djihadistes visaient la France pour son soutien au régime algérien, maintenant parce qu’elle bombarde l’Etat islamique. Mais la France bombarde parce que des attentats ont été commis précédemment, justifiés par le soutien militaire de la France à la coalition… Bref, c’est la poule et l’œuf. La composante géopolitique est souvent évoquée, mais leur motivation ne peut se résumer à ça.
Comment choisissent-ils leurs cibles ?
En Occident, ils visent avant tout des pays. L’attentat d’Orlando, perpétré contre une boîte gay, avait par exemple été très critiqué par certains djihadistes. Ils ne sont pas choqués que l’on tue des homosexuels, mais ils craignent que le message soit brouillé : ils veulent tuer des Américains et non d’abord des homosexuels. Quand l’Etat islamique revendique l’attentat contre le père Hamel, c’est la France qu’il vise puisque les djihadistes identifient leurs ennemis de manière confessionnelle. Quand ils ont frappé le Bataclan, ils étaient certains de tuer des Français de souche. Ils n’auraient jamais choisi un concert de rap ou tout autre concert dans lequel on puisse trouver des musulmans. Leur combat n’est pas racial, mais l’idée est systématiquement d’identifier, à travers les victimes, la France et sa politique.
L’attentat contre le Stade de France vous contredit un peu…
Ils auraient pu, en effet, tuer beaucoup d’immigrés mais c’était symbolique : François Hollande était sur place.
Ils ne veulent pas tuer des musulmans, mais n’ont-ils pas peur de pousser les Français à rejeter l’islam toujours plus fermement ?
Ils s’en fichent totalement. Je pense qu’il est faux de penser que les djihadistes veulent absolument provoquer la guerre civile. Si elle advenait, ils en seraient ravis mais ce n’est pas un objectif prioritaire. Mais la situation des musulmans en France n’est pas leur problème puisque le courant djihadiste considère que la France n’est pas une terre d’islam et que les musulmans n’ont donc rien à y faire.
Il y a même eu un débat, au sein de l’Etat islamique, pour savoir si les musulmans qui vivent en dehors du Califat doivent être considérés comme musulmans. Ce qui est certain c’est que, pour eux, ceux qui vivent en France sont pécheurs.
Maintenant que l’Etat islamique a été largement affaibli, doit-on craindre de nouveaux attentats en France ?
Je ne crois pas qu’ils soient encore capables d’organiser des attentats très logistiques, comme celui du Bataclan. Mais souvenons-nous que le deuxième attentat le plus meurtrier de France était celui de Nice. Or il a seulement fallu un sympathisant qui réponde à l’appel des djihadistes. Or les sympathisants du courant djihadistes sont toujours aussi nombreux, même si leur nombre n’augmente plus.
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Le combat vous a été prescrit, une histoire du jihad en France, de Romain Caillet et Pierre Puchot, Stock, 288 pages, 19,50 €.
Source :
http://www.valeursactuelles.com/societe/romain-caillet-ils-haissent-la-france-92584

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5 Commentaires

  1. capucine dit :

    Puisqu’ils aissent la France qu’ ils restent là bas et qu’ ils assument jusqu’au bout leur idéologie
    la France doit leur interdire de revenir ici…ils doivent être jugés sur place

  2. Jacques dit :

    Avant d haïr la France,ils devraient haïr leur dieu:
    Si celui-ci existe vraiment on peut dire qu’il s’est sacrement foutu de leur gueule quand il a du les créer.
    Ramassis de petits ratés,sans reussite,sans cerveau et n’ayant accès aux femmes qu’attachees au fond d’une cave.
    Ils ont la haine de la France comme ils auraient la haine d’un ballon de basket ou d’une boite de thon,bref ils haïssent ce qui leur est supérieur (a peu près tout).
    Quant a l auteur,on peut au moins concéder qu’il parle en connaissance de cause:je ne sais pas si mr Caillet est islamiste ou pas mais quand il voile intégralement sa femme on peut penser qu’il est plus proche des idées des djihadistes que des démocraties.

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