Terrorisme : la France n’oublie pas

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http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/04/29/01016-20150429ARTFIG00287-terrorismela-france-n-oublie-pas.php

Rue des Rosiers, Copernic… Le juge Trévidic, qui quittera bientôt ses fonctions, a identifié les suspects de ces attentats des années 1980. Depuis des décennies, une poignée de juges, de policiers et de victimes se sont ainsi ligués contre l’oubli et pour la justice.
Ces larmes auront attendu près de trente-trois ans pour couler. Le 9 mars dernier, les fils de deux victimes assassinées rue des Rosiers, le 9 août 1982, tombaient dans les bras l’un de l’autre dans le bureau d’un juge antiterroriste parisien. Ce jour-là, les parties civiles découvraient, par la voix de policiers et de juges antiterroristes, que, loin d’avoir été jetée dans les poubelles de l’histoire, l’enquête sur l’attentat contre le restaurant Goldenberg (six morts et vingt-deux blessés) venait d’aboutir à l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre trois terroristes palestiniens du groupe Abou Nidal vivant en Norvège, Jordanie et Cisjordanie. Comme pour les attentats contre le drugstore Publicis (15 septembre 1974, pour lequel Carlos comparaîtra bientôt), la synagogue de la rue Copernic (3 octobre 1980, dont l’auteur présumé sera jugé à Paris) ou leCity of Poros(l’attaque d’un paquebot le 11 juillet 1988 ayant tué trois Français et dont le procès par contumace s’est tenu en 2012), la France prouvait une nouvelle fois qu’elle n’oublie pas.

Pour parvenir à un tel résultat, il a fallu une conjuration de la mémoire unissant une poignée de magistrats, de policiers et de victimes contre la dictature de l’instant, du temps qui passe et des petits calculs politico-diplomatiques. Au premier rang des magistrats, Marc Trévidic, l’homme qui a «sorti» les dossiers de la rue Copernic et de la rue des Rosiers. À deux pas du Palais de justice, le magistrat livre les clés d’un tel succès. Arrivé au pôle antiterroriste en 2006, il entreprend d’étudier les «vieux» dossiers et identifie quelques affaires «relançables». Il se concentre «sur les plus anciens et ceux où le nombre de victimes est le plus élevé». Commence une longue plongée dans des milliers de pages de procès-verbaux, des centaines de pièces à conviction. Pour le seul attentat de la rue Copernic, le dossier établi en 1980-1981 par la brigade criminelle du commissaire Marcel Leclerc approche les deux mille documents… En dépit de l’excellence du travail de la Crim trente ans auparavant, la déception attend souvent Marc Trévidic. Scellés inexploitables ou détruits, éléments matériels non conservés en ces temps pré-ADN (mégots de cigarette…), documents sur lesquels de multiples manipulations ont effacé d’éventuelles empreintes… Reste quelques éléments matériels.
Fragile faisceau d’indices
«Plus l’élément est ténu, plus il est important, précise Marc Trévidic, et plus il est travaillé.» De longues discussions avec des experts permettent de cerner ce qui a été fait et, surtout, ce que la science pourrait apporter de nouveau. Sont ainsi passés au crible, dans l’affaire Copernic, une fiche d’hôtel remplie par le terroriste et, dans la rue des Rosiers, des analyses balistiques. Pour étayer ce fragile faisceau d’indices, le juge antiterroriste multiplie les «commissions rogatoires internationales» pour glaner témoignages ou éléments de preuve. Pour les enquêtes sur leCity of Poros, la rue des Rosiers et la rue Copernic, la liste est impressionnante: Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Canada, Espagne, États-Unis (où le juge Trévidic a notamment interrogé un détenu de la prison de haute sécurité où sont internés les criminels les plus dangereux), Italie, Liban, Norvège, Royaume-Uni, Suède… Le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Les enquêtes ouvertes sur les assassinats de Français au Liban dans les années 1980 resteront très probablement dans les limbes faute d’éléments matériels exploitables, de témoins vivants et en raison d’un contexte local difficile… Échec ou réussite, le juge Trévidic précise sobrement que ces efforts sont «la raison d’être d’un juge d’instruction» et qu’il n’est pas seul dans l’aventure.

Le juge antiterroriste Marc Trévidic.
Pour qu’il puisse «sortir» ces dossiers, il a fallu en effet les maintenir en vie, ce qui fut le mérite du juge Jean-Louis Bruguière, figure, louée ou critiquée, de l’antiterrorisme français pendant des décennies. L’homme explique que «la logique judiciaire est pourtant purement statistique. On vous demande: combien de dossiers avez-vous “sorti” cette année? On vous reproche de garder de “vieux” dossiers, de cultiver votre fonds de commerce…». «Or, ajoute l’ancien magistrat, en matière de terrorisme, le temps joue contre les criminels. La chute du Mur, l’évolution de la situation au Moyen-Orient ont permis d’avancer. Laisser ces dossiers ouverts, c’est mettre la justice au cœur de l’antiterrorisme, prouver que la légalité ne s’oppose pas à l’efficacité. Ce qui ne signifie pas qu’un renseignement policier est sans valeur. S’il n’est pas suffisant, il peut aussi être le point de départ d’une enquête judiciaire.»

Cellule dédiée aux «cold cases»
Les juges ne sont en effet pas les seuls à avoir de la mémoire. Peu de temps après l’interpellation au Canada du suspect de l’attentat de la rue Copernic, perpétré par un groupuscule terroriste palestinien, un haut responsable de la DST livrait cette formule: «Ne pas oublier et consacrer du temps et des hommes pour sortir des affaires.» Mobilisant les services «amis» et ses propres sources, la DST a retrouvé des témoins essentiels. Pour la rue des Rosiers, deux anciens membres du groupe Abou Nidal ont «balancé» leurs camarades. L’un deux aurait depuis obtenu des papiers britanniques…
Au passage, ils ont aussi expliqué comment la France mitterrandienne avait négocié dans les années 1980 avec le terroriste Abou Nidal pour éviter qu’il ne frappe dans l’Hexagone… Renseignement et justice font en effet parfois mauvais ménage. «Il a pu arriver, raconte un enquêteur, qu’on approche un service étranger pour entendre un témoin. Et de s’entendre dire qu’il n’était pas joignable… Dans pareil cas, on ne se fatigue pas à poser de questions et on enregistre poliment le refus.» Pour les professionnels, il est clair que l’individu visé est alors devenu une source du service en question. Et le policier de lâcher une formule semblant tout droit sortie d’un film d’Audiard: «On comprend alors qu’il n’a pas eu le plaisir de vivre sans contrepartie…»

La mémoire d’un service de police et de renseignement ne se limite pas à ses contacts. Ses archives peuvent aussi parler. Ancien numéro 2 des renseignements généraux et ex-patron de la direction centrale du renseignement intérieur (contre-espionnage, devenue la DGSI),Bernard Squarcini raconte comment les RG ont aidé au démantèlement du groupe terroriste grec du 17 novembre (23 victimes entre 1975 et 2000) en confrontant l’écriture manuscrite de son chef avec des documents recueillis en… 1968 à l’occasion de la surveillance des milieux étudiants grecs à Paris! Dans l’affaire Copernic, des procès-verbaux rédigés en 1988 dans une tout autre affaire, mais concernant le principal suspect, ont été retrouvés, comme l’a été la copie du passeport du terroriste présumé recueilli en… 1981 par les services français auprès de leurs homologues italiens.

Troisième et dernier acteur de cette conjuration de la mémoire: les victimes et leurs proches. Au-delà de leur soif de vérité et de justice, elles sont devenues l’un des principaux moteurs de ce refus de l’oubli… et de précieux alliés pour les juges et les policiers. Françoise Rudetzki, fondatrice et ex-présidente de SOS Attentats, est de celles-là. Blessée lors de l’attentat du Grand Véfour, en 1983, elle est révoltée par le non-lieu prononcé. Et n’a eu de cesse, depuis ce déni de justice, d’aider les autres victimes et de se battre pour faire avancer leurs causes en arrachant la possibilité de se porter partie civile ou en militant pour l’extension du délai de prescription. «Les victimes veulent d’abord essayer de comprendre, explique l’actuelle déléguée au terrorisme de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, faire entendre leur voix et se faire entendre des terroristes.»
Ancien membre de SOS Attentats et président de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), Guillaume Denoix de Saint Marc, dont le père est mort dans l’attentat contre le DC10 d’UTA en 1989, explique: «J’étais persuadé que nous ne saurions jamais. Et deux ans plus tard, j’ai découvert qu’un juge, Jean-Louis Bruguière, rencontrait les parties civiles… Je me suis alors impliqué. Bruguière avait pour habitude de dire que nous étions leur conseil d’administration, qu’ils devaient nous rendre compte du travail qu’ils faisaient…»
Côté DGSI, les spécialistes réclament depuis des années, en vain, la création d’une petite cellule dédiée aux « cold cases » sous peine de voir la connaissance s’évaporer au fil des départs en retraite.
Représenté par Me David Père, l’un des avocats de l’AFVT, Xavier Yon était présent chez Goldenberg le 9 août 1982 et a échappé à la mort par miracle. Ce septuagénaire se souvient du drame, avec une gravité mâtinée d’un brin d’humour, comme s’il s’était passé hier. Et aussi des trois décennies de silence où il n’a jamais été contacté par la police ou la justice. Mais il salue avec enthousiasme le rebondissement de l’affaire: «Il est essentiel que la justice passe. Je veux être présent au procès du matin au soir et du soir au matin!» Avocat de la synagogue de la rue Copernic, Me Bernard Cahen a la même réaction: «C’est extraordinaire de voir que notre affaire n’est pas tombée dans l’oubli.». Extraordinaire et bientôt exceptionnel? Certains s’inquiètent de l’affaiblissement grandissant du triangle juges-policiers-victimes qui a permis que justice soit faite, ou du moins esquissée, si longtemps après les faits. Comme Marc Trévidic, envoyé à Lille comme vice-président du tribunal, les magistrats antiterroristes sont soumis à la loi du 25 juin 2001 stipulant qu’un juge ne peut rester plus de dix ans dans une fonction spécialisée. Côté DGSI, les spécialistes réclament depuis des années, en vain, la création d’une petite cellule dédiée aux «cold cases» sous peine de voir la connaissance s’évaporer au fil des départs en retraite.

Quant aux associations de victimes, qui se souviennent encore de ces gardes des Sceaux de gauche et de droite qui, par le passé, leur expliquaient doctement que «le terrorisme est derrière nous», elles n’ont toujours pas les moyens de travailler dans de bonnes conditions. Sans mémoire judiciaire ou policière, sans l’aiguillon du souvenir brûlant des morts, des blessés et de leur famille, l’exigence de justice céderait rapidement face aux tenants du cynisme intégral pour qui le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire. Assurer la permanence de l’action des magistrats et des policiers, donner de nouveaux moyens aux représentants des victimes seraient au contraire donner tort à ceux qui pensent qu’à la fin, c’est toujours la mort qui gagne. Au nom des victimes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

happywheels

1 Comment

  1. Pierre un Gaulois dit :


    on me dit à présent que ces mots n’ont plus cours…
    que le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire…
    Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter…
    Jean Ferrat, Nuit et brouillard.

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