Terrorisme : une enquête pour comprendre la radicalisation des djihadistes

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Comment expliquer le parcours de ceux qui ont choisi le terrorisme ? Une enquête inédite, basée sur des entretiens avec treize djihadistes condamnés, éclaire ce basculement dans la radicalité.
Potentiellement dangereux et animés par une religiosité puissante, les djihadistes ne sont ni des fous ni des ignares, conclut une enquête sociologique réalisée pour la Mission de recherche droit et justice. Fondée sur des entretiens réalisés en détention avec treize condamnés pour des faits de terrorisme — dont six liés à Al-Qaïda, quatre au groupe Etat islamique et deux à Forsane Alizza —, cette étude ambitionne d’explorer les processus de l’engagement violent.

Intitulée « Saisir les mécanismes de la radicalisation violente »*, l’enquête balaye certaines idées reçues — sur la vision du salafisme quiétiste ou politique comme d’un sas indispensable à « une carrière djihadiste », par exemple. Elle réconcilie des lectures parfois opposées du phénomène et propose une comparaison avec les ressorts du militantisme nationaliste basque ou corse. Codirigé par Xavier Crettiez, professeur à Sciences-po Saint-Germain-en-Laye, et Romain Sèze, chercheur au CNRS et à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, ce rapport fera l’objet d’un livre à paraître le 7 septembre*.

La radicalisation ne s’opère pas comme un basculement soudain dans la violence, posent les auteurs. « L’adoption progressive et évolutive d’une pensée rigide, vérité absolue et non négociable, dont la logique structure la vision du monde des acteurs » se joue sur de multiples variables.

Rupture avec les cercles sociaux, familiaux, situations sociales précaires…

« Ces savants que j’ai découverts, ça m’a vraiment bouleversé, comme si je renaissais. J’ai découvert l’islam. » (Ibra.) « Je suis musulman mais cela ne veut pas dire que je le suis aveuglément. C’est un don de Dieu. Dieu guide qui il veut par sa sagesse et sa miséricorde. » (Elie.) Dans les parcours de ces jeunes hommes, âgés de 25 à 30 ans, souvent issus de la deuxième génération et originaires des milieux populaires, le retour ou la conversion à l’islam se produit de façon autodidacte, souvent à l’entrée dans l’âge adulte et « sur le mode de la rupture ». L’inscription dans une trajectoire délinquante, minoritaire, n’apparaît pas comme un préalable. Des contextes familiaux souvent déstructurés et des situations sociales précaires favorisent « une disponibilité biographique » propice à l’engagement radical.

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Cette « religiosité de rupture » emprunte le plus souvent la voie du salafisme — « l’offre dominante ». Elle prend une coloration politique par la fréquentation assidue de groupes de pairs et par la navigation sur Internet. La Toile donne accès à l’idéologie djihadiste (vidéos, propagande). La quête « d’un monde musulman idéalisé, solidaire et juste » se traduit par des voyages, parfois nombreux (Egypte, Yémen, Mauritanie…). La rencontre d’une « personne-ressource » acquise à la cause de la violence armée s’avère déterminante (ami, imam, modèle). Quelles que soient leurs motivations (« hijra » en pays musulman, projet humanitaire ou guerrier), six des treize sont effectivement partis en zone de combat (Afghanistan, Mali ou Syrie).

« Chocs moraux » et complotisme

« Ce qu’ils ont fait au peuple et aux femmes (NDLR : en Syrie), ça me ronge. J’avais vu des vidéos sur Internet, ça m’avait révolté, vraiment. » (Nacer.) « La politique en ce moment en France ne fait que stigmatiser tous les musulmans et favorise tous les extrêmes. » (Choukri.) « La communauté musulmane, c’est comme un corps. » (Achir.) « Tous les conflits, ce n’est pas au hasard […], le terrorisme n’est pas l’objectif, c’est un prétexte. Les puissances occidentales veulent piller les richesses de là-bas. » (Elie.)

La confrontation à un événement choquant — des vidéos de massacres de civils sunnites, parfois l’expérience de la torture à l’étranger — est souvent racontée par les djihadistes interrogés. Presque tous évoquent le sentiment vif d’une discrimination vécue comme frappant l’islam, en France et dans le monde. Par contraste, beaucoup idéalisent une communauté musulmane (« oumma ») bienveillante et fraternelle. Nourrie du recours aux nouvelles technologies, leur vision politico-religieuse fait en outre la part belle « au grand fourre-tout du conspirationnisme ».

« Ce qui pousse les gens à vraiment aller là-bas (en Syrie), c’est le dogme. […] Le mec a étudié la science et c’est la science qui l’a logiquement poussé vers ça. » (Abdel.) « Je n’ai aucune envie de tuer ni aucune haine pour la France, mais je serai contraint de le faire en sortant de prison puisque c’est Dieu qui le veut. » (Ibra.) « C’était une nouvelle époque parce qu’il y a eu le 11 Septembre. Le symbole, c’est que le peuple musulman est de retour. Le premier objectif n’était pas de tuer 3 000 personnes. Le premier objectif c’était ce symbole. » (Choukri.) « Comment expliquer les attentats du Bataclan ? Eh bien pour eux, vous tuez des femmes et des enfants par milliers, eh bien nous on fait comme vous. » (Elie.)

La majorité des djihadistes interrogés placent le Coran et la sunna (paroles du prophète) au cœur de leur engagement radical. « Le Coran est considéré comme un absolu, qu’il convient de lire en entier sans en écarter aucun passage. » Cette défense d’une approche quasi scientifique des textes sacrés les conduit à rejeter en bloc les institutions officielles de l’islam, le wahhabisme saoudien ou le salafisme quiétiste — à qui ils reprochent d’oublier le devoir de résistance contre les ennemis de l’islam.

Dans cette logique, « l’accusation de terrorisme est niée si le militant suit les ordres de la parole de Dieu ». L’utilisation de la violence armée est justifiée à la fois par le texte coranique et comme réaction à une répression du « monde de la mécréance » (Occident, Russie) et du monde chiite (figure de « l’ennemi total »).

Le terrorisme apparaît « comme un geste de défense de la communauté ou comme relevant d’une cause dont la grandeur supporte quelques dégâts collatéraux ». Enfin, « le djihad valorise l’engagement total de l’acteur et le rassure sur la voie suivie » — il est « une preuve de la justesse de sa cause ». Quant à Daech, certains critiquent sa violence débridée — l’un, lecteur de la philosophe Hannah Arendt, compare l’EI au nazisme — quand d’autres dissimulent mal une fascination pour l’organisation djihadiste.

*« Soldats de Dieu. Paroles de djihadistes incarcérés », Xavier Crettiez et Bilel Ainine, coédition L’Aube – Fondation Jean Jaurès.
Source :
http://www.leparisien.fr/faits-divers/terrorisme-une-enquete-pour-comprendre-la-radicalisation-des-djihadistes-03-09-2017-7231164.php

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2 Commentaires

  1. b. duchene dit :

    Il faut avoir des antécédents d assassin, c est tout…

  2. VRCNGTRX dit :

    en tous cas on peut dire que si l’islamisme tue et remplace aveuglément autant que lâchement, on peut dire que ne pas le stopper permet à certains de faire – pardonnez-moi l’expression – leur beurre (écrivains, blogueurs, conférenciers, psychiatres, marchands d’armes, …)

    « soldats de dieu »
    y’a t-il vraiment des cons pour croire que ces merdeux nourris (pour ne pas dire gavés) de lâcheté sont des ‘soldats’ et qu’ils agissent par volonté du créateur ?
    un qualificatif autoproclamé par leurs mentors basé sur l’orgueil pour doper leur motivation mais qu’ils sachent qu’aux yeux du monde et de l’éternel ils ne sont que déchets destinés aux laves de l’enfer

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