13 novembre : celle qui a permis d’arrêter l’organisateur des attentats se confie

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« Je suis celle qui a prévenu la police que l’organisateur des attentats les plus meurtriers de France se cachait à Saint-Denis. Je suis devenue personne. » Rencontre avec le « témoin » clef des attentats du 13 novembre.
On l’appellera Sonia, ou Joséphine, peu importe son nom puisqu’on ne peut pas le révéler, ni même parler d’elle. On aurait envie pourtant de la décrire, de donner un visage à son courage, celui d’avoir fourni aux autorités le précieux renseignement qui a permis l’arrestation d’Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur présumé des attentats du 13 novembre. Sans elle, il aurait peut-être réussi à faucher d’autres vies, c’était prévu, il devait attaquer le quartier d’affaires parisien de la Défense, en costume-cravate noir. Ce devait être un jeudi. Hasna Aït Boulahcen, la cousine française d’Abdelhamid Abaaoud, contactée par téléphone par des complices en Belgique, avait promis qu’elle se chargerait de tout, et d’abord de lui trouver un logement décent, loin du bosquet dans lequel il avait trouvé refuge, à Aubervilliers (en Seine-Saint-Denis), dans une zone industrielle en contrebas de l’autoroute A86. « Abdelhamid Abaaoud est là, je l’ai vu »

C’est là que Sonia rencontre Abdelhamid Abaaoud, accompagné de son aide de camp, Chakib Akrouh, un Belgo-Marocain de 25 ans. « Je me suis sentie faiblir comme si mon sang ne parvenait plus à mon visage », confie-t-elle un an après dans un livre, Témoin*, écrit avec la journaliste Claire Andrieux. Car la rencontre se passe mal. Abdelhamid Abaaoud, qui fait confiance à sa cousine elle-même radicalisée après une adolescence douloureuse et marquée par une série de viols, se méfie de l’amie qui l’accompagne, Sonia. Il la renifle, elle et son compagnon, « le petit couple » qu’il menacera bientôt d’abattre s’il ne se tait pas.
Pendant quatre mois Sonia et sa famille vivront alors sous la menace directe de la cellule du 13 novembre avant que celle-ci ne soit démantelée à Bruxelles au mois de mars, lorsque la folle cavale de Salah Abdeslam, seul survivant des commandos, prend fin. Quatre mois, une éternité pour « le petit couple » et ses enfants, que ni le déménagement (loin de Paris), ni la protection bancale, insuffisante et improvisée de l’Etat français, ne parviendront à apaiser.
Aujourd’hui coupée du monde, sans travail, condamnée à errer « dans sa prison à ciel ouvert », Sonia témoigne une nouvelle fois, pour se reconstruire, raconter. L’après, l’attente, les menaces toujours, et cette nouvelle vie qui doit commencer lorsque l’Etat lui aura accordé une nouvelle identité. Rencontre.
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Nous sommes un an après les attentats de Paris qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés. Vous êtes le « témoin », la personne qui a permis aux autorités d’arrêter le coordinateur présumé des tueries, Abdelhamid Abaaoud, et son complice avant qu’ils ne mettent leur nouveau plan à exécution. Plus qu’un acte de bravoure, vous décrivez votre geste comme un élan « citoyen » dont vous verrez d’ailleurs les premiers effets en direct, à la télévision, lors de l’assaut de Saint-Denis. Pouvez-vous revenir sur ce moment où pour vous, tout bascule ?
Le témoin : Pendant l’assaut, j’étais chez moi, je l’ai suivi en direct à la télévision. Le dernier coup de téléphone que j’ai avec le commandant, c’est pour lui donner l’adresse et le code de l’immeuble [8 rue du Corbillon, à Saint-Denis, B1812, là où sont planqués les terroristes partis du bosquet d’Aubervilliers]. C’est une citoyenne qui arrive et qui dit à des policiers : « Abdelhamid Abaaoud est là, je l’ai vu ». Et on vous regarde, on vous dit en rigolant, « non c’est impossible ». Au départ, ils ne me croyaient pas. Alors j’ai insisté. Je leur ai dit : « Je vais vous amener là où il est… » Ils ont fini par me croire par rapport à une paire de baskets oranges [repérée sur les caméras de surveillance d’une station du métro parisien à proximité du Bataclan, ndlr] ! C’est grave. Quand je parle d’acte citoyen, c’est parce que pour moi, soit l’être humain prend son courage à deux mains et il agit, soit il fait preuve de lâcheté. Il se retourne, il n’a rien vu, rien entendu.

Vous décrivez dans votre livre le sentiment d’être et d’avoir été un « témoin jetable ». Pourquoi ?
En fait, on a l’impression d’être un objet qu’on utilise et qu’on jette. Après l’assaut, vous vous retrouvez en garde à vue pendant 48 heures, comme si finalement vous étiez un suspect, on doute de votre parole, on vous dit que « c’est la première fois que ça arrive » en France, qu’on doit faire des vérifications, puis on vous dit qu’on va vous protéger, mais aujourd’hui on n’a pas de protection particulière ni de nouvelle identité alors on vous impose de vivre normalement [L’identité d’emprunt réservée aux repentis et à leur famille, tel que le prévoit le décret du 17 mars 2014, n’a pas encore été étendue aux simples témoins. La réforme du code de procédure pénale, votée mais pas encore entrée en vigueur, doit bientôt y remédier, ndlr]. Après, j’encourage tout le monde à témoigner, je me bats pour que cette loi soit applicable, c’est le but avec ce livre justement, d’encourager le citoyen à aller dénoncer des faits très graves, parce qu’une vie humaine n’a pas de prix. Et parce que sans nous, l’Etat n’avancera pas.

Depuis que vous êtes devenue « le témoin » et que le coordinateur présumé des attentats du 13 novembre a mis un prix sur votre tête, vous dites : « Je ne suis plus personne ». Expliquez-nous.
« Sans nous, l’Etat n’avancera pas » Vous ne savez plus où vous situer. Quand vous rencontrez Abdelhamid Abaaoud, et que vous dites aux policiers « j’ai vu Abdelhamid Abaaoud » et qu’ils vous disent « elle raconte des conneries », et qu’Abdelhamid Abaaoud lui vous dit que vous êtes « une brebis égarée », vous vous demandez : est-ce que je suis folle ? Est-ce que je suis une brebis égarée ? Vous vous dites : « Peut-être que je ne l’ai pas vu, peut-être que j’ai rêvé ». Puis après 48 heures de garde à vue, vous n’arrivez plus du tout à vous positionner, vous en arrivez à vous dire « oui j’ai été folle » et « oui je suis une brebis égarée ». Je suis de confession musulmane et sincèrement, je ne peux pas me permettre de laisser ça comme ça, des barbares, des gens inhumains, illuminés, suivre une direction différente de ce que représentent les vraies valeurs de l’islam. Mais j’ai la chance d’avoir une psy qui arrive à me rassurer, qui m’a dit que je n’étais pas folle, que j’étais une victime.

A quoi ressemble désormais votre quotidien et celui de votre famille ?
Je suis très vigilante, on apprend à se protéger soi-même. On apprend à être un peu plus prudent, à regarder derrière, on apprend à analyser les gens. Même si on a peur, il ne faut pas le montrer. J’ai la chance d’avoir des enfants très peu bavards, parfois eux-mêmes me rattrapent et me disent : « Mais il ne faut pas dire ça maman, sinon ils vont savoir qui on est », « non maman tu ne vas pas là, parce que là c’est un peu dangereux »… Ils ont appris à faire attention. C’est dommage parce que ça a brisé une partie de leur enfance, tout ça leur a donné de la maturité un peu trop vite. Parfois il y a des crises de colère à la maison, des disputes, mais on est une famille qui parle beaucoup. Les enfants revoient leur vie antérieure et leur vie future et ils sont complètement perdus, ils disent « franchement le procureur et le ministre ont vraiment bousillé notre vie » [Contrairement à la procédure belge, qui a permis au témoin de révéler l’adresse de la planque bruxelloise de Salah Abdeslam en témoignant sous X, le nom du témoin français n’a pas été rendu anonyme dans le dossier d’instruction, ndlr].

Que ressentez-vous un an après ?
C’est une période difficile, je ne dors pas, je suis angoissée, stressée… Plus la date du 13 novembre approchait, plus j’étais stressée. Pour moi, ce qu’il s’est passé, c’est du gâchis, je suis écœurée, en colère, c’est un ressentiment indescriptible. Je ressens de la peine et de la colère mélangée, pour les victimes, les familles des victimes, de la peine pour Hasna aussi [Hasna Aït Boulahcen, cousine d’Abdelhamid Abaaoud, que le témoin a hébergée par intermittence pendant quatre ans et qui a accepté de fournir un soutien logistique aux terroristes, ndlr], et de la colère par rapport à nos ministres et nos chefs de police. Aujourd’hui j’ai une vie qui n’est pas enviable c’est vrai, mais je ne pleure pas un frère, je ne pleure pas une sœur, je ne pleure pas un membre de ma famille qui s’est fait assassiner par des barbares. « Je ne sais pas pourquoi Abaaoud ne m’a pas tuée »

Dans votre livre, vous parlez beaucoup d’ »Hasna » dont vous avez pris soin comme de votre propre fille. Le livre était-il également une manière de faire votre deuil ?
J’en pleure encore. Hasna, c’est une vie détruite, une jeune fille perdue, c’est une mort douloureuse, elle a agonisé, c’est horrible, on ne fait pas le deuil. Surtout, on n’a pas pu assister à son enterrement, on ne s’est pas recueilli sur une tombe. Quand j’ai donné l’adresse de la planque au commandant, [Hasna Aït Boulahcen, cousine d’Abdelhamid Abaaoud, se trouvait dans l’appartement conspiratif, à Saint-Denis, lors de l’assaut du RAID, ndlr] , je lui ai dit : « Ne tuez pas Hasna, ne tuez pas Hasna » et il m’a répondu : « Non on ne part pas pour tuer des gens, et elle ne nous intéresse pas ». Au final, Hasna meurt. Je n’arrive pas aujourd’hui à me dire que j’ai sacrifié Hasna : je lui ai tendu la main, je l’ai rassurée, je devais la récupérer avant l’assaut mais elle n’a pas répondu au téléphone. Je m’en veux aujourd’hui qu’elle soit morte. Est-ce qu’elle m’a pardonné ? Je me dis qu’elle m’a pardonné, et que si elle doit en vouloir à quelqu’un c’est bien à son cousin, et pas à moi. Quand on part pour faire une bêtise, on en assume les conséquences.

Les derniers mots de votre livre sont : « Je ne regrette rien… »
Le témoin : Non je ne regrette pas : si c’était à refaire je le referais, sans hésiter, peut-être que je prendrais plus de précautions, je ne me serais pas déplacée, j’appellerais même en numéro masqué, mais je le referais sans hésiter, même si je devais refaire le même parcours, même si ça devait être pire, parce que je suis en vie et que je respire toujours. Je ne sais pas pourquoi Abdelhamid Abaaoud ne m’a pas tuée. Il devait le faire, il avait mis un contrat sur ma tête auprès de sa cousine, je devais disparaître aussi. Les victimes n’ont pas eu la même chance, la chance que j’ai eue, moi, de m’en sortir.
*Témoin, (éd. Robert Laffont), avec la journaliste Claire Andrieux.
Source :
http://www.marianne.net/13-novembre-celle-qui-permis-arreter-organisateur-attentats-se-confie-100247824.html

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3 Commentaires

  1. Golmon dit :

    Entre les témoins,les rescapés,les psys,les médecins,chacun y va de son petit bouquin des fois que ça se vendent bien pour la noël : PATHETIQUE ! PAS D’ETHIQUE !

  2. roni dit :

    en france ils en font trop pour les attentats ils pleurent a chaque coin de rue.

  3. Golmon dit :

    mais non roni,mais non…il parait que ce sont les juifs les victimaires et les lamantins !
    En revanche ,pas une parole de vengeance,on les aime les bourreaux,ils n’auront pas notre haine,on doit rester tolérant
    Mon Q !! les journalopes gauchistes adoraient un syndrome de stockolm pour toute la population……comme pour trump,en mai ils risquent la gueule de bois …

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