1940-1945 : collaboration, mode d’emploi

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François Broche et Jean-François Muracciole dressent un tableau exhaustif des différentes formesde compromission avec l’Allemagne nazie. Magistral.
Peut-on sereinement faire l’histoire d’une période qui nous prend à témoin et peut, à tout moment, nous transformer en juge des hommes qui l’ont vécue et dont certains sont encore proches de nous?
C’est ce dilemme qu’affrontent François Broche et Jean-François Muracciole dans cette Histoire de la collaboration qui fera date par sa hauteur de vue. Un livre qui fait la synthèse des travaux des historiens français et étrangers de ces quarante-cinq dernières années sur un sujet crucial et délicat à la fois.
Les juges et les procureurs dont ce pays regorge, on le sait, sont à l’affût dès qu’il est question de cette période tragique. «Collaborateur» est un mot qui a été tellement utilisé qu’il est devenu un terme historique plus ou moins synonyme de honte ou d’opprobre.
Dès le prologue, les auteurs mettent les points sur les «i»: «Pour qui se refuse aux idées reçues ou aux caricatures (…), il s’agit d’un concept générique et flou que l’on a, dès la Libération, chargé d’une mission impossible, consistant à ranger sous une étiquette commune des Français de motivations et de conduites très différentes, souvent contradictoires. Par nature, la collaboration ne pouvait être un bloc…»
Il s’agit ici non de dresser la liste posthume des bons et des méchants comme nous y ont habitués certains, mais de tenter d’y voir plus clair. Pour ce faire, François Broche, historien du gaullisme dont le père fut tué à la bataille de Bir Hakeim, et Jean-François Muracciole, universitaire spécialiste de la France libre, mettent de l’ordre dans nos catégories.
Après une première partie consacrée au choc de la défaite et à la débâcle politique qu’elle a entraînée, ils dressent le tableau des diverses formes de collaboration auxquelles moult Français se sont adonnés après la rencontre de Montoire du 24 octobre 1940 où Pétain offre à Hitler sa volonté de coopérer à un occupant qu’il espère, à tort, magnanime.
Il y est évidemment question de la collaboration des milieux de la culture et de la mode qui fait de Paris une villégiature pour les soldats de la Wehrmacht. «Les villes sont femmes et ne sont tendres qu’au vainqueur», écrit Ernst Jünger dans son journal d’Occupation où il narre les dîners avec Céline et Drieu la Rochelle à l’ambassade d’Allemagne.
«Entre la collaboration de survie avec un occupant dont on pense (…) qu’il va gagner la guerre et l’adhésion au projet d’une Europe nazifiée se déclinent toutes les attitudes»
Il y aura la collaboration économique à laquelle les milieux industriels seront contraints par l’Occupant et qui figure un des chapitres le plus originaux du livre (voir ci-dessous).
Et il y aura bien sûr la collaboration idéologique et politique, celle qui fut la plus sévèrement punie à la Libération. C’est ici que se trouve la pire difficulté: faire la part de responsabilité des acteurs dans l’engrenage d’une politique dont les contours sont équivoques. «Tous les hommes de Vichy ont en commun l’idée que la France a subi une lourde défaite, mais qu’autour de l’armée d’armistice autorisée par le vainqueur un projet cohérent doit permettre de rebâtir un État, une société, une nation. Tout le problème est de savoir si ce projet s’inscrit dans un ordre international dominé par les Anglo-Saxons ou par les Allemands. Tandis que Pétain ménage les États-Unis et que Weygand confie volontiers qu’il espère la victoire de l’Angleterre, Laval proclame hautement qu’il souhaite la victoire de l’Allemagne.»
Entre la collaboration de survie avec un occupant dont on pense, tout au moins jusqu’à la bataille de Stalingrad, qu’il va gagner la guerre et l’adhésion au projet d’une Europe nazifiée se déclinent toutes les attitudes. C’est ici que les auteurs font œuvre salubre. Ils montrent, notamment à partir des recherches les plus récentes, qu’on ne peut mettre dans le même sac un général Weygand, nationaliste ombrageux qui prépare la reprise du combat, avec un amiral Darlan prêt à presque toutes les concessions par opportunisme et qui sera abattu par le jeune monarchiste Bonnier de la Chapelle, à Alger, le 24 décembre 1942.

Il existe parmi les gens de Vichy autant de clans que dans la Résistance. Ainsi de ces «vichyssos résistants» qui partagent les idées de Pétain mais désapprouvent sa politique. Mais le clivage le plus profond se situe entre le régime clérical autoritaire et conservateur, mais nullement fasciste, du Maréchal et le collaborationnisme parisien dont les grandes figures, de Benoist-Méchin à Jacques Doriot en passant par Marcel Déat, sont fascinées par l’ordre brun.
Broche et Muracciole montrent le lien de continuité existant entre leur pacifisme d’avant-guerre et l’idée d’Europe allemande. À travers cette sonde dans notre histoire la plus sombre, ce livre dresse aussi les portraits pathétiques de ceux qui iront jusqu’au bout de leur dérive. Ainsi du chef milicien Darnand, héros de 1940 qui finira sa vie sous la bannière nazie et sera fusillé à la Libération après avoir écrit à de Gaulle. Celui-ci lui répondra, à sa manière, dans ses Mémoires de guerre. «À cet homme de main et de risque, la collaboration était apparue comme une passionnante aventure qui (…) justifiait toutes les audaces et tous les moyens. Rien mieux que la conduite de ce grand dévoyé de l’action ne démontrait la forfaiture d’un régime qui avait détourné de la patrie des hommes faits pour la servir.»
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Les patrons divisés dans la tourmente
Un pays entier a-t-il roulé pour l’occupant? Et si cette interrogation n’était pas la bonne? Trop souvent, l’analyse de la collaboration économique en France est résumée à travers quelques questions caricaturales. De même, ce sont toujours les mêmes exemples qui sont mis en exergue, à l’instar du pacte de Louis Renault avec l’ennemi. Voilà pourquoi l’étude de François Broche et Jean-François Muracciole est si intéressante: elle montre une série de zones grises, comme le fait que «si les patrons sont rares dans les rangs de la Résistance, la présence de leurs enfants est plus fréquente». Au passage, quelques dirigeants d’envergure ont rompu rapidement avec Vichy, mais ils sont moins nombreux que les engagés de la dernière heure, en 1944, quand les rapports de force se modifient et favorisent «de discrets contacts avec la Résistance».
«Sentant le vent tourner, un certain nombre de patrons nouèrent de discrets contacts avec la Résistance»
En marge des comportements individuels et d’une plongée au sein des différents secteurs (énergie, chimie, automobile, textile…), l’ouvrage des deux historiens replace utilement cette collaboration dans le nouvel environnement économique qui s’impose peu à peu: un pays exsangue mais pillé, un dirigisme brutal mais inefficace, une idéologie présente mais dominée par le pragmatisme. Sans oublier une industrie mobilisée mais qui ne tourne qu’au seul profit de l’Axe. À l’arrivée, les chiffres sont sans appel: l’évolution de plusieurs indicateurs (PIB, importations, exportations, prix de gros, salaires…) montre combien la France s’est enfoncée en quelques années. «Au crime moral et politique s’ajoute la catastrophe matérielle», statuent Broche et Muracciole. L’ampleur de la reconstruction ne sera pas le seul défi que devra relever la France d’après-guerre. La collaboration a fait perdre des parts de marché, des réserves de capitaux et des gains technologiques. Il faut repartir de zéro ou presque.
«Histoire de la collaboration 1940-1945», de François Broche et Jean-François Muracciole, Tallandier, 619 p., 27 €.
Source :
http://premium.lefigaro.fr/livres/2017/03/30/03005-20170330ARTFIG00026-1940-1945-collaboration-mode-d-emploi.php

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2 Commentaires

  1. VRCNGTRX dit :

    «Sentant le vent tourner, un certain nombre de patrons nouèrent de discrets contacts avec la Résistance»
    bin tiens, toujours les mêmes fumiers qui collaborent ardemment avec l’ennemi mais changent de cap au gré du vent dés qu’il s’agit mettre leurs fesses au chaud !
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/08/les-migrants-sont-un-atout-pour-la-france_4749301_3232.html
    http://www.gaullistelibre.com/2016/01/les-migrants-invites-bienvenus-du-medef.html

  2. Jean Delaive dit :

    Il n’y eut pas que des dirigeants d’entreprises à avoir tourner casaque lorsqu’ils comprirent que l’Allemagne était fichue. Un politicien, qui fut décoré de la Francisque par Pétain en personne, devint un  » résistant « . Ce fait fut occulté de telle sorte que ce politicien, Mitterrand évidemment, fut élu Président de la République en 1981 et réélu en 1988!

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