Affaire Sarah Halimi, à partir de quand qualifier un crime d’« antisémite » ?

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Trois mois après le meurtre de Sarah Halimi, le choix du parquet d’ouvrir une enquête pour « homicide volontaire » sans retenir la qualification d’antisémitisme continue de faire polémique.
Dans la nuit du 3 au 4 avril dernier, Sarah Halimi, une sexagénaire de confession juive, était torturée pendant près d’une heure par un homme aux cris d’« Allah akbar », puis défenestrée. L’auteur, Kobili T., est un voisin. Après dix jours d’enquête, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour « homicide volontaire »… sans retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme.
Un choix qui continue d’alimenter la controverse. « Notre société peine à nommer le mal lorsqu’il s’agit d’une victime juive », déplorait le président du Crif, Francis Kalifat, à l’évocation de l’affaire. L’incompréhension va au-delà des institutions juives. Dix-sept intellectuels – dont Marcel Gauchet, Élisabeth Badinter, Jean-Pierre Le Goff – mettent en cause, dans une récente tribune, le traitement réservé à ce dossier : « Tout laisse penser, dans ce crime, que le déni du réel a encore frappé. »
La difficile qualification juridique de l’antisémitisme
Par-delà sa très forte charge émotionnelle, l’affaire pose l’épineuse question de la qualification juridique de l’antisémitisme. « Le fait de s’en prendre à un juif ne suffit pas, il faut qu’il ait été visé du fait même de son identité juive », précise Alain Jakubowicz, avocat et président de la Licra. Aux enquêteurs donc de tirer au clair les intentions de l’auteur. Pas toujours simple. Autant les faits sont aisés à objectiver, autant le mobile de l’acte peut donner lieu à débat.
Dans le cas de Kobili T., ce point ne fait pas de doute pour Me William Goldnadel, conseil de la famille Halimi : « Il visait délibérément Sarah, une femme dont tout le monde dans le voisinage connaissait la confession. Il a tout fait pour s’introduire chez la victime, notamment en passant par le balcon des voisins… » Et d’ajouter : « Et puis il y a ces incantations religieuses – avant et pendant les faits – qui prouvent bien qu’on a affaire à un islamiste. Et on sait combien cette idéologie est empreinte d’antisémitisme ! »
Un suspect aux « troubles psychologiques manifestes »
La justice ne partage pas cette analyse. Tout en reconnaissant « la violence abjecte et insoutenable » endurée par la victime, le parquet doute de la radicalisation du meurtrier et s’interroge sur son extrême agitation les jours ayant précédé l’acte – les proches s’étaient inquiétés de le voir tourner en rond en répétant « sheitan », ce qui signifie « diable ».
Présentant des « troubles psychologiques manifestes », le jeune homme a d’ailleurs été interné dans la foulée de son interpellation. Son discernement était-il ou non aboli au moment des faits ? Quelle que soit la réponse, les enquêteurs pourront toujours retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme : on peut en effet être dément et antisémite. Si tel était le cas en revanche, il serait considéré irresponsable pénalement et ne pourrait être condamné.
« Pour l’heure, rien n’est figé », assure le parquet. L’audition prochaine du prévenu, de même que les récentes déclarations du frère de Sarah Halimi – expliquant que sa sœur s’était plainte d’injures antisémites de la part de son voisin – pourraient amener à requalifier les faits.
La justice, entre le risque de l’instrumentalisation et celui de la recherche à tout prix de l’apaisement
C’est par exemple ce qui vient de se passer à Créteil (Val-de-Marne), où les magistrats se sont divisés pendant de longs mois au sujet de l’agression d’un couple juif victime d’un cambriolage ultra-violent fin 2014. L’un des agresseurs aurait proféré : « Les juifs, ça a de l’argent », « Les juifs, ça met pas l’argent à la banque. » La qualification antisémite était évidente pour le parquet, pas pour le juge d’instruction. « Tout l’enjeu était de savoir si les prévenus s’en étaient pris au couple du fait de sa religion ou du fait de sa soi-disant richesse », décrypte une source proche du dossier.
Un faux débat aux yeux de la communauté juive qui dénonçait le cliché antisémite ancestral véhiculé par les prévenus, sur le rapport particulier des juifs à l’argent. Dans cette affaire, la qualification d’antisémitisme vient finalement d’être retenue.
Dans tous ces dossiers, deux écueils guettent la justice. L’instrumentalisation d’abord. « Les minorités discriminées, et pas seulement les juifs, nous pressent souvent de retenir les circonstances aggravantes quand un des leurs est visé. On peut le comprendre… mais nous n’avons pas à entrer dans ce jeu-là si ce n’est pas fondé en droit », estime un juge.
L’autre écueil, à l’inverse, consiste à chercher coûte que coûte l’apaisement. « Pour éviter de monter les individus les uns contre les autres, certains magistrats font fi des circonstances aggravantes, considérant que l’agression suffit pour permettre la condamnation du prévenu », déplore Alain Jakubowicz. Au risque, dans ce cas, de faire preuve d’une cécité coupable.
Source :
http://www.la-croix.com/France/Justice/Affaire-Sarah-Halimi-partir-quand-qualifier-crime-antisemite-2017-07-02-1200859718

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