Le nouveau malaise des Français juifs

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De la tuerie, en 2012, de Mohamed Merah, dont le procès du frère, Abdelkader, s’ouvre lundi, à la séquestration d’une famille à Livry-Gargan, le 8 septembre, les manifestations d’un nouvel antisémitisme émaillent notre actualité. Et plongent les juifs dans la peur d’un abandon.
Il est près de 8 heures du matin le 19 mars 2012, quand un jeune homme du nom de Mohamed Merah gare son scooter Yamaha TMax blanc devant l’école confessionnelle juive Ozar Hatorah du quartier résidentiel de Jolimont, à Toulouse. Le casque encore sur la tête, armé d’un pistolet et d’un fusil-mitrailleur, il ouvre le feu sur un petit groupe attroupé aux portes de l’école: un enseignant, Jonathan Sandler, et ses deux fils, Arieh, 5 ans, et Gabriel, 3 ans, meurent, fauchés par la salve. La première arme s’enraye, une petite fille en profite pour fuir. Elle s’appelle Myriam, elle a 8 ans. Le tueur casqué la poursuit, la rattrape par ses boucles blondes. Et l’abat, à bout pourtant.
La courbe ascendante d’un nouvel antisémitisme
Sous le choc d’images mentales insupportables, on a beaucoup dit, beaucoup écrit, à l’époque, que Mohamed Merah était un fou. Un dément. Pourtant, alors que s’ouvre ce 2 octobre le procès de l’un de ses frères, Abdelkader Merah, il apparaît aujourd’hui comme une évidence que les meurtres du « tueur au scooter » exprimaient un dessein clair, conscient, idéologique et politique: viser la République -en abattant trois militaires à Toulouse et à Montauban, quelques jours avant Ozar Hatorah- et tuer des juifs, même des enfants.
Ilan Halimi, Ozar Hatorah, Hyper Casher… L’actualité, ces dix dernières années, a été ponctuée de noms et d’événements qui tracent la courbe ascendante d’un nouvel antisémitisme. Ce dernier s’invite désormais au moins deux ou trois fois par an dans les flashs infos, chaque fois, même s’il n’y a pas toujours -c’est heureux!- de morts à déplorer, tout de même de façon alarmante.
Comme le 8 septembre dernier à Livry-Gargan (93), où une famille a été agressée et séquestrée aux cris de « vous êtes juifs, vous avez de l’argent ». Ou en février dernier, à Bondy (93), où deux jeunes hommes portant une kippa ont été tabassés et blessés à la scie à métaux. Pourtant, dès qu’il s’agit de parler de montée de l’antisémitisme en France, certains sourcils se haussent invariablement. « Ces choses-là sont complexes », entend-on. « Il y a peut-être un peu de dramatisation: attention à la surenchère victimaire », font valoir d’autres…

Dans un ouvrage collectif datant de 2003 (1), la sénatrice (EELV) Esther Benbassa écrit que « la récente vague ‘judéophobe' » -les guillemets sont d’elles- a fourni aux Séfarades (venus d’Afrique du Nord) « l’occasion d’acquérir les lettres de noblesse de la persécution véritable et de partager, ne serait-ce que sur un mode mineur et incomparablement atténué, le sort de leurs frères ashkénazes » (les juifs de l’Est, décimés pendant la Seconde Guerre mondiale). Sujet sensible, théories alambiquées…
En 30 ans, les actes antisémites ont presque quintuplé
Pour y voir plus clair, le mieux est d’aller aux faits. Et tout d’abord à la statistique. En trente ans, le nombre d’actes antisémites est passé, selon les pointages du ministère de l’Intérieur, de 117 par an, en moyenne, au cours des années 1990, à 574 par an cette dernière décennie. En tendance, ils ont donc quasi quintuplé.
A y regarder de plus près, on distingue cependant des périodes d’aggravation et des embellies. Les années d’attentats sont les pires, car ils donnent chaque fois le signal d’un déferlement mimétique: après la tuerie de Mohamed Merah en mars 2012, le ministère de l’Intérieur a ainsi enregistré pas moins de 90 actes antijuifs en 10 jours (2). Et après la prise d’otages sanglante de l’Hyper Casher, au début de 2015, 316 actes antisémites ont été perpétrés sur les seuls mois de janvier et de février (2).
A l’inverse, la mise en place de dispositifs de sécurité renforcée porte souvent ses fruits: l’opération Sentinelle, par exemple, expliquerait en grande partie la baisse des actes antisémites en 2016 (- 56% par rapport à 2015). « La présence des militaires, la protection des lieux religieux et communautaires fonctionnent, se félicite Sammy Ghozlan, ancien commissaire de police et président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme.
Nombre moyen d’actes antisémites par an au cours de la période

Hélas, les chiffres restent à un niveau historiquement élevé, et certains faits qui nous sont rapportés sont inquiétants: des querelles de voisinage dégénèrent de plus en plus en insultes ou menaces antisémites, et les murs des domiciles des citoyens juifs sont de plus en plus souvent souillés par des graffitis injurieux. »
Les agressions conduisent à un nouvel exode
Un autre indicateur est également intéressant: en moyenne, ces cinq dernières années, les actes antisémites ont représenté, selon le ministère de l’Intérieur, 40% des actes racistes recensés en France… alors que les juifs représentent moins de 1% de la population. Et si l’on s’en tient aux violences racistes -hors injures, menaces et graffitis- cette disproportion augmente encore: en 2014 (seule année récente pour laquelle ce chiffre est connu), 60% avaient ciblé des victimes juives (2).
Dans certaines villes et certains départements, la flambée des agressions a même contribué à dessiner une nouvelle géographie. Ainsi, selon les statistiques de Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach (3), le département de Seine-Saint-Denis a-t-il connu une hémorragie démographique entre 2000 et 2015: à Pantin, le nombre de familles juives est passé de 1200 à 700; à Aulnay-sous-Bois, de 600 à 100; ou encore de 400 à 80 à Clichy-sous-Bois.
Un exode vers d’autres villes de France, en grande part, que le turn-over classique dû à l’embourgeoisement ou au changement de lieu de travail ne suffit pas à expliquer. Expérience traumatisante, peur pour soi ou pour les siens…, il y a bien une insécurité qui pousse les juifs de certains quartiers à migrer en des lieux où ils peuvent vivre sereinement. « Déménager, c’est un acte fort, rappelle le géographe Christophe Guilluy. On ne fait pas sa valise parce qu’on est un paranoïaque chauffé à blanc par un discours alarmiste à la radio comme essaient de nous expliquer quelques-uns… »
Avec l’islamisme, l’antisémitisme à changé de crèmerie
Alors pourquoi tant de gêne, chez certains, à parler du racisme antijuif? Pourquoi tant de précaution pour le traiter médiatiquement? Parce que depuis Carpentras, en 1990, l’eau a coulé sous les ponts de France, et l’antisémitisme a changé de crémerie.

S’il existe encore à l’état de marqueur identitaire auprès d’une irréductible extrême droite vichyssoise, il est surtout aujourd’hui le fait -en tout cas dans ses manifestations les plus violentes- d’agresseurs islamistes. Au cours des vingt dernières années, une minorité intolérante et belliqueuse a réactivé quelques clichés culturels ancestraux, mélangés, pour l’occasion, à l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien, et a nourri une haine qui impose sa loi dans certains quartiers jusque dans le temple de la République: l’école.
Dans son livre paru cette rentrée (4), Bernard Ravet, ex-proviseur de collèges à Marseille, raconte ainsi comment il s’est vu, un jour, user de ses relations pour obtenir une place dans une école confessionnelle pour un enfant juif venu s’inscrire dans son établissement public: « Ce jour-là, j’ai agi parant à l’urgence qui me semblait la plus vitale, et pas en principal de collège investi de la mission de défendre des valeurs républicaines qui, en l’état, ne m’auraient pas permis de garantir la sécurité de cet adolescent », écrit-il.
Cette idéologie qui s’en prend à la République
Le souci de ne pas nourrir les amalgames explique probablement en grande part les réticences de certains à parler du problème. Une prévention louable, mais aux effets délétères. Pour peu que l’on parle juste et clair, il existe pourtant une voie, et même un boulevard, entre les semeurs de passions mauvaises d’un côté, et les champions du déni et de l’autopersuasion angélique de l’autre. Mais personne ne s’y bouscule. « Ne laissez pas les juifs mener seuls ce combat contre l’antisémitisme », exhorte Elisabeth Badinter.
Sans même invoquer la fraternité républicaine qui commande à chacun de se soucier du racisme -de celui-là, et des autres!-, il faudrait être aveugle pour ne pas voir dans ces violences antijuives les jalons d’une idéologie expansionniste qui ne cesse de vouloir marquer ses territoires d’influence, et qui nous concerne tous.
On connaît la métaphore: comme les canaris que l’on installait au XIXe siècle dans les mines de charbon pour déceler les gaz toxiques impossibles à détecter pour l’homme -quand les oiseaux mouraient ou s’évanouissaient, il fallait d’urgence quitter la mine-, les juifs sont aujourd’hui, avec d’autres, en première ligne d’une intolérance qui mène à la République une guerre de position.
C’est pourquoi, sans attendre les prochains attentats sanglants -qui dessillent généralement les yeux de façon éphémère-, il serait bon de se soucier un peu des canaris des quartiers chauds…
Retour sur l’affaire Sarah Halimi
Depuis la mort de Sarah Halimi, retraitée parisienne rouée de coups puis jetée de son balcon en avril, la communauté juive ne décolérait pas. Le suspect, Kobili T., était mis en examen pour « meurtre », sans circonstances aggravantes. Pourtant, les voisins avaient entendu crier « Allah Akbar » et « J’ai tué le sheitan » (le diable, en arabe).
Changement de donne le 20 septembre: le parquet demande que le caractère antisémite soit retenu. Un revirement dû à un faisceau d’indices. L’expert-psychiatre a conclu à une « bouffée délirante aiguë[…] pas incompatible avec une dimension antisémite ». Kobili T. avait par ailleurs déjà proféré des insultes antisémites, assure un proche de la victime. Enfin, l’analyse de sa tablette a révélé, selon nos informations, la consultation d’un site complotiste peu avant les faits.
Charles Haquet
(1) Religion et politique, une liaison dangereuse? Ed. Complexe.
(2) Statistique fournie par le Service de protection de la communauté juive en collaboration avec le ministère de l’Intérieur.
(3) L’an prochain à Jérusalem? Ed. de l’Aube.
(4) Principal de collège ou Imam de la République? Ed. Kero.
Source :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-nouveau-malaise-des-francais-juifs_1946849.html

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1 Comment

  1. Laurence S dit :

    Au moment de l affaire merah c’était atroce j étais persécuté à ce moment la

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