Les méthodes radicales du compte X Sword of Salomon, qui traque l’antisémitisme

Depuis le 7 octobre 2023, ce compte X anonyme dévoile l’identité d’auteurs de propos antisémites, provoquant licenciements et autres sanctions.
Par Géraldine Woessner
ercredi 30 juillet, l’épée a encore frappé, et elle a tranché dans le vif. En révélant les propos antisémites violents d’une réfugiée gazaouie accueillie à Sciences Po Lille, le compte X @SwordOfSalomon a déclenché un scandale retentissant, contraignant le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, à ordonner dans l’urgence la saisie de la justice. Sciences Po a rétropédalé dans la foulée, annonçant piteusement avoir annulé l’inscription de la jeune femme, jusqu’alors gracieusement hébergée au domicile de son directeur.
Face à une déferlante de commentaires outrés, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a annoncé l’ouverture d’une enquête interne pour comprendre comment ses services – le consulat de France à Jérusalem – avaient pu accorder à la nièce d’un cadre du Hamas, adoratrice de Hitler et appelant à « tuer les juifs partout », une bourse sociale lui permettant de venir étudier en France… aux frais du contribuable, et sans le moindre contrôle.
« Victoire », a clamé sur son compte X le « justicier » du Web Sword of Salomon, réclamant désormais l’expulsion immédiate de l’étudiante pro-Hamas, antisémite déchaînée sur les réseaux sociaux. Un coup d’éclat salué, en coulisse, par l’un de ses supporteurs : « Personne n’aurait rien su s’il n’avait pas fait à leur place le boulot des autorités. »
« Briser l’impunité »
Depuis près de vingt mois, le mystérieux compte X s’est taillé une solide réputation en dévoilant au grand jour la fureur antisémite d’une foule d’anonymes souvent dissimulés derrière des pseudos. Une réputation internationale, même : le 24 juillet, Sword of Salomon avait déjà défrayé la chronique en révélant l’identité du commandant de bord du vol Vueling d’où furent débarqués 44 adolescents français juifs. Ivan Chirivella, le pilote incriminé, s’avère avoir formé, il y a 25 ans, Mohammed Atta et Marwan al-Shehhi, deux des terroristes du 11 Septembre. Fallait-il révéler cette information alors que ce formateur n’avait rien à voir avec les attentats et n’a jamais été inquiété ? « Au nom de la transparence, oui », assume celui qui, depuis les massacres du 7 octobre 2023, a décidé d’entrer « en résistance ».

Sword of Salomon mettra plusieurs jours à accepter de nous parler, protégeant jalousement son anonymat, « pour d’évidentes raisons de sécurité ». Derrière le pseudonyme biblique se cacherait un Français de confession juive, entrepreneur « en région parisienne », dit-il (ce que nous n’avons pas pu vérifier), initialement présent sur Twitter, depuis 2012, pour parler football. Tout bascule après le 7 Octobre. « L’antisémitisme a explosé, des gens se sont mis à poster des horreurs, sans même se cacher ! J’ai voulu les exposer, briser l’impunité », raconte-t-il. Au début, il dévoile les noms d’individus se filmant en train d’arracher des affiches d’otages. Les visages apparaissant sur Facebook, sur TikTok ou sur Instagram dans des vidéos faisant l’apologie du Hamas sont identifiés, « grâce à des outils basiques de reconnaissance faciale », explique-t-il.
Méthodes assumées, réseau organisé
C’est alors qu’un autre groupe se déploie – constitué de jeunes actifs venant de différents horizons professionnels – pour effectuer des signalements auprès des employeurs ou des institutions. « Au début, nous n’étions qu’une dizaine, puis le réseau s’est étoffé. Chacun a des contacts, des relations… Le but, c’est que ces personnes comprennent qu’on ne peut pas proférer des choses aussi graves sans que cela ait des conséquences dans la vie réelle », explique Sword of Salomon.
« Attaché à la justice », il en critique néanmoins la lenteur, et parfois le laxisme. En France, « une personne qui crache sa haine des juifs ou du contenu islamiste ne risque pas grand-chose, au pire une amende après des années. […] J’ai trouvé un moyen de punir ces gens dans la vraie vie », assume-t-il, des collectifs communautaires ou des groupements d’avocats se chargeant, dans un troisième temps, de porter les faits en justice.
Sword of Salomon excelle dans la « désanonymisation » de comptes, croisant les outils de reconnaissance faciale avec des indices laissés par ses cibles – profession, entourage, détails biographiques – tirés « exclusivement de sources ouvertes comme Google », assure-t-il. Pas d’adresses, de numéros de téléphone ou de mails privés. « Je ne me suis jamais trompé », soutient-il.
Depuis octobre 2023, une centaine de personnes ont été dénoncées. Aucune n’a subi de violences physiques, mais la plupart ont vu leur carrière affectée : licenciements, exclusions, sanctions. Dans la majorité des cas, les employeurs réagissent, comme pour ce stagiaire évincé dès son premier jour à Levallois-Perret après avoir arraché une affiche d’otage – un enfant qui sera ensuite assassiné. Certaines entreprises ignorent les délations, mais la plupart réagissent. Lui-même visé par plusieurs plaintes, Sword of Salomon n’a pas encore reçu la moindre convocation. « Je suis à la disposition de la justice, je ne me défile pas. J’assume ce que je fais. Le but est de lutter contre l’antisémitisme d’une manière différente et fiable, car ce n’est quasiment que de la flagrance. »
Un palmarès de « succès » controversés
Son compte rassemble aujourd’hui plus de 29 000 abonnés, attirés par une série de « résultats » concrets. Une avocate stagiaire, qui légitimait les massacres du 7 Octobre et postait des contenus antisémites, a vu sa prestation de serment annulée par le barreau de Paris. Un athlète de l’équipe de France, exposé pour propos haineux, a été sanctionné (avant d’être réintégré). Une ambassadrice des JO de Paris a été signalée pour apologie du Hamas…
Dans le monde du spectacle, l’acteur Adel Bencherif, connu pour son rôle dans la série Validé, démasqué derrière un compte à 17 followers où il qualifiait Yahya Sinwar de « légende », nazifiait les juifs et leur attribuait les attentats du 11 Septembre, a été exposé, son signalement « envoyé à des directeurs de castings ». À Strasbourg, un conducteur de bus a été mis à pied pour avoir déclaré qu’« Hitler n’a pas fini son travail ».

Ailleurs, un cuisinier célèbre, qui avait hurlé « Vive la Palestine ! » et « Ils n’en ont pas eu assez à Birkenau » à une famille juive, fait l’objet d’une plainte. Un pédiatre réputé, qui avait traité une consœur juive de « truie » et banalisé la Shoah sur un groupe Facebook médical, a été signalé à l’Ordre des médecins pour violation déontologique. Un ancien militaire appelant à la « solution finale » a été signalé aux autorités, en Meurthe-et-Moselle, par la protection civile.

D’autres ont été jugés, comme cet expert-comptable qui avait nié sur LinkedIn les meurtres d’enfants le 7 octobre 2023 (1 000 euros d’amende requis). Étudiants, agents de sécurité, fonctionnaires, journalistes…, Sword of Salomon assume ses méthodes controversées. « Nous ne révélons que les noms, quand Rima Hassan, elle, fait du vrai doxxing [divulgation de données personnelles, NDLR] » en publiant « des adresses, des téléphones, des mails », ce qui a entraîné « deux agences Orpi, dans le sud de la France, à se faire incendier ».
Se faire justice soi-même… ou contraindre la justice et les autorités à agir ? Mercredi 30 juillet, pour obtenir des réponses sur le cas de cette étudiante pro-Hamas accueillie à Sciences Po Lille, le petit groupe est entré en mode « Raid », activant ses contacts dans l’enseignement supérieur, les ministères… « Les réfugiés gazaouis accueillis sur le sol français par le Quai d’Orsay ne sont pas choisis au hasard. Le pouvoir en place à Gaza, le Hamas, ne laisse partir que ceux qu’il autorise, et ce n’est pas par humanisme », alerte Sword of Salomon. Face à la libération de la parole antisémite, de plus en plus assumée, « l’idée, aujourd’hui, est que les juifs répondent ».
Source Le Point