« On ne traîne plus » : à Villeurbanne, les actes antisémites inquiètent la communauté juive

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Depuis l’attaque du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre dernier, les actes antisémites se multiplient en France. À Villeurbanne, la communauté juive est particulièrement inquiète, une dizaine de jours après des tags antisémites apposés sur une pizzeria casher du quartier des Gratte-Ciel.
par Marie Albessard
Un signe négatif de la main, un refus poli, des « on ne veut pas en parler »… Ce mardi de novembre, à la sortie de l’office de la synagogue Beth Hamidrach de la fraternité à Villeurbanne, rares sont les fidèles qui acceptent de s’exprimer. « Ce n’est pas comme d’habitude. Maintenant, les gens ne s’attardent plus à la sortie de la synagogue. Tout le monde repart directement », constate Salomon.
Lui qui a perdu son frère le 7 octobre dernier dans l’attaque du Hamas en Israël a appris avec stupeur, comme le reste de la communauté juive de Villeurbanne (la 3e plus grande en France), la présence d’inscriptions antisémites sur un établissement situé juste en face de la synagogue, rue Malherbe.
Des tags antisémites retrouvés sur un commerce de Villeurbanne
Il était 8h du matin, le dimanche 5 novembre, lorsque la gérante de la pizzeria a découvert les inscriptions « Mort » accompagnées d’étoiles de David sur la façade arrière de son commerce. « J’ai été choquée, je me suis sentie en colère. C’est vraiment de la bêtise humaine… », se désole la gérante Daphna Benyamin. Installée depuis 19 ans aux Gratte-Ciel, elle insiste sur le caractère multiconfessionnel du quartier : « Nous n’avions jamais eu de problème avant. Regardez, ce client est l’ancien gérant d’un kebab qui auparavant était installé dans la rue ! ».

Malheureusement, la gérante du restaurant n’est pas la seule victime d’antisémitisme. Début octobre, la synagogue de la Duchère (Lyon 9) a déposé plainte pour des insultes et crachats. Des tags ont aussi été découverts sur la façade d’une école publique du 6ème arrondissement de Lyon. Selon la préfecture du Rhône, 46 actes antisémites (tags, agressions verbales, physiques…) lui ont été signalés en un mois, entre le 7 octobre et le 6 novembre. Six personnes ont été interpellées.
Si nous n’avons pu obtenir de données confirmant une éventuelle hausse récente de ces agissements dans le Rhône, au moins sait-on qu’à l’échelle de l’Hexagone, on peut parler d’une explosion des actes antisémites. En effet, le ministre de l’Intérieur a fait état le 14 novembre de 1500 incidents relevés depuis le 7 octobre. En comparaison, sur toute l’année 2022, le ministère de l’Intérieur et le SPCJ (Service de protection de la communauté juive, créé en 1980 suite à l’attentat antisémite de la rue de Copernic, à Paris) ont recensé 436 actes antisémites en France. Il y en a donc eu, en un mois, près de trois fois plus que sur toute l’année 2022.
« On ne parle pas politique avec n’importe qui »
« C’est toujours un drame de découvrir ce genre d’acte, surtout juste en face de notre synagogue, mais malheureusement il n’y a rien de nouveau sous le soleil, se désole le rabbin Simon Ohayon de la synagogue Beth Hamidrach.
« Les fidèles sont indignés, mais ils ne veulent pas succomber à la peur. Néanmoins, ils sentent que les choses prennent une tournure compliquée pour les juifs de France. Ils s’inquiètent de devoir revivre le début des années 1930 », poursuit le rabbin. La prudence est donc de mise dans la communauté, comme le résume Salomon : « Disons qu’on ne parle pas politique avec n’importe qui ».
Dans le quartier, l’inquiétude et l’angoisse sont particulièrement palpables dans les échanges avec les membres de la communauté qui acceptent de s’exprimer. L’agression d’une femme de confession juive – l’enquête est encore en cours pour établir le mobile de l’agression – le 4 novembre dans le 3ème arrondissement de Lyon, n’a fait que contribuer à ce climat de peur. Isaac (prénom modifié) nous dit veiller « à bien fermer sa porte à clé » et souhaite que ses garçons retirent leur kippa. Lui-même, comme plusieurs autres hommes interrogés, troque sa kippa contre une casquette lorsqu’il sort dans la rue.
C’est aussi le cas de Serge Dahan, responsable du supermarché casher Lilly Market. Installé aux Gratte-Ciel depuis 30 ans, il a déjà vécu plusieurs périodes de tension et veut malgré tout garder la tête froide : « Pour l’instant, on reste calmes et on espère que ça ne dégénérera pas. Le pire, cela a vraiment été à l’époque des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper casher. Les gens avaient très peur, l’armée était présente à chaque sortie de prière des synagogues », se remémore-t-il.
Depuis le 7 octobre, pour protéger ses 12 salariés et rassurer ses clients, Serge Dahan a embauché un agent de sécurité posté à l’entrée du magasin et en lien permanent avec le SPCJ. « Sa présence rassure les clients, constate-t-il. Mais on voit quand même que les gens viennent moins faire leurs courses physiquement et qu’ils les réalisent plus en ligne. »
Moins de fréquentation physique des lieux communautaires : le constat est le même pour Samy Moyal, un fournisseur de produits casher pour des épiceries dans tout l’hexagone, rencontré alors qu’il livrait des fromages dans un restaurant. Il a expliqué à Rue89Lyon avoir des commandes moins conséquentes de certains clients, qui font face à une baisse de fréquentation.
Dans un autre commerce casher du quartier, le gérant a installé ces dernières semaines une sonnette à l’entrée du magasin, afin de filtrer les entrées. « C’est dissuasif et cela rassure les habitués », constate un salarié. C’est la première fois que le magasin a recourt à un tel dispositif.
3 000 personnes au rassemblement contre l’antisémitisme à Lyon
En cette veille de shabbat, à l’heure de la sortie de l’école juive de la rue Alexandre Boutin, l’ambiance est tendue. À l’évocation du sujet avec les parents présents, beaucoup se montrent méfiants, quelques-uns hostiles. Estelle, maman de trois enfants, évoque un climat « lourd » et confirme :
« On ne traîne plus dans les lieux comme les commerces, les restaurants… on va à l’essentiel. La menace est là, on le sait. D’ailleurs, l’armée passe tous les jours à l’heure de la sortie de l’école pour s’assurer que tout va bien ».
Il y a une dizaine de jours, Estelle affirme avoir été victime d’une insulte à caractère antisémite alors qu’elle marchait dans la rue. « Cette fois, c’est différent des autres périodes de tension qu’on a connues, j’ai l’impression qu’on nous demande de prendre un parti dans le conflit. »
Dimanche dernier ont eu lieu des rassemblements « contre l’antisémitisme et pour la République ». À Lyon, il a rassemblé environ 3 000 personnes, parmi lesquels des élus et des représentants de la communauté juive, comme le Grand rabbin de Lyon et de sa région ou le Crif (conseil représentatif des institutions juives de France) d’Auvergne-Rhône-Alpes.
« Même si à l’échelle de la France, 180 000 participants ce n’est pas énorme, c’est quand même une belle réussite de montrer que la France et la République sont mobilisées pour que les juifs vivent paisiblement, analyse le rabbin Simon Ohayon, présent dimanche 12 novembre place Bellecour. Pour tout vous dire, ce rassemblement m’a apaisé et depuis, j’ai remis ma kippa pour sortir dans la rue. »
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