Requin-Bernard – Le problème avec Éric Dupond-Moretti

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Le ténor du barreau a fait de la mauvaise foi, de l’injure et de la discourtoisie une stratégie de défense. C’est regrettable, selon l’ancienne magistrate.
Par Michèle Bernard-Requin*
Je ne suis pas Bernard-Henri Lévy, mais je l’approuve totalement. Puis-je (à mon modeste niveau) abonder et dire à mon tour et sans crainte pourquoi je ne serai jamais d’accord avec maître Éric Dupond-Moretti :
Je n’aime pas les volte-face.
Je n’aime pas la violence verbale.
Je n’aime pas la discourtoisie.
J’aime la sérénité des débats.
J’aime le respect de l’adversaire.
J’aime le débat dans la politesse.
Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes (quoique, aurait dit Raymond Devos dans un sourire. Oui, quoique… Il est vrai que j’ai une assez bonne mémoire, ce qui m’autorise à évoquer la volte-face qui va suivre).
Ce que je n’aime pas :
1 ) Les volte-face
Avec une surprise heureuse, j’entends l’avocat combatif et barbu proclamer doctement qu’il respecte les magistrats lorsque ceux-ci privilégient le droit et la raison à l’émotion populaire en acquittant Abdelkader Merah du chef de complicité d’assassinats.
Il déclare alors urbi et orbi qu’il respecte cette décision et ceux qui l’ont rendue.
Il fait mine d’oublier qu’il leur demandait un acquittement total et que son client reste condamné à vingt ans de réclusion du chef d’association de malfaiteurs à visée terroriste. Mais il exprime une sorte d’estime envers les juges.
Cela est tout à fait exceptionnel par rapport à son registre habituel : il n’avait jusqu’alors en effet professé que fort peu d’estime envers ces jeunes gens imbus de leur pouvoir sortis d’une école qu’il avait si durement contestée que son directeur avait pris le soin de lui répondre, courtoisement, lui.
Seulement le grand ténor a, je le crains, la mémoire courte.
Hélas, moi, je me souviens. Il faisait chaud dans la salle d’audience où se tenait en juillet 1992 le procès du docteur Garretta, accusé d’avoir fourni un produit dangereux, que dis-je, mortel, aux jeunes hémophiles, leur inoculant ainsi le virus HIV, le sida, face auquel alors n’existait pas de parade efficace. J’occupais le siège du ministère public.
Un jeune avocat d’une trentaine d’années encore peu connu défendait une des parties civiles.
Il s’est avancé vers moi, le menton levé, en m’accusant durement. En effet, je disais, et je dis encore, qu’il ne s’agissait pas d’un crime au sens légal du terme, pas d’un empoisonnement délibéré, mais seulement, si l’on peut dire, d’un crime moral, d’une fraude intolérable, mais juridiquement d’un délit et non d’un crime.
Ce jeune avocat audacieux m’a jeté, méprisant : « Madame la Substitut, vous êtes lâche. »
Je n’ai pas pu répondre. Sérénité des débats… Ou simplement paralysée par la violence d’une attaque inattendue.
C’était maître Dupond-Moretti , partie civile, qui me reprochait d’agir ainsi par lâcheté.
« Lâcheté ».
C’était violent. Il suggérait ainsi que je prenais cette position pour protéger Laurent Fabius peut-être (que je n’avais jamais croisé ) ou complaire au pouvoir (qui, pourtant, avait bien pris garde d’intervenir ). Insinuait-il tout cela ? En tout cas, il m’a craché en pleine audience : « Vous êtes lâche. »
Et ce, alors précisément que je résistais seule au banc du ministère public à une opinion publique surchauffée en « faisant du droit » avant tout, et envers et contre tout.
Je constate donc qu’il est noble de rester juriste exigeant lorsque l’on va dans le sens de cet avocat en défense, mais qu’en juillet 1992 le courage qu’il a fallu au parquet pour dire aux victimes qu’il était légalement impossible de qualifier de crime un délit, si abominable fût-il, était par le même avocat qualifié de « lâcheté ».
2 ) La violence verbale
Défense de rupture, pugnacité de la défense, volonté d’anéantir témoins et experts défavorables à sa thèse, au besoin en les maltraitant lorsqu’ils tentent de déposer, est-ce toujours nécessaire et dans la forme toujours légitime ? Des experts et des témoins malmenés raconteront peut-être un jour comment ils ont vécu cela en essayant simplement d’apporter leur concours à la justice.
3 ) La discourtoisie
Je n’ai jamais présidé une cour d’assises avec ce défenseur à la barre.
On raconte qu’il ne respecte pas l’usage en ne saluant pas le président des assises après le verdict lorsque celui-ci lui est défavorable. Je ne sais si c’est vrai.
Ce que je sais, en revanche, c’est qu’une seule fois je me suis trouvée confrontée à ce vigoureux combattant lors d’un débat télévisé.
C’était du temps de C dans l’air avec Yves Calvi. L’émission existe toujours avec deux autres animateurs.
Nous n’étions pas du même avis. Rien d’anormal : la règle dans cette émission, c’est que chacun parle à son tour, que l’on s’exprime calmement et que « l’on se respecte ». Après tout, nous ne sommes pas des politiques en train de débattre avant une élection : rien à gagner, finalement, juste expliquer et tenter de faire partager un semblant de savoir.
C’est le lendemain que j’ai su. Mes amis étaient unanimement outrés : « Dès que tu t’exprimais, il levait les yeux au ciel, soupirait, ou faisait semblant de dormir. »
Tout à mon sujet, je ne l’avais pas remarqué.
Ce que j’aime :
1 ) La sérénité des débats
La défense peut et doit discuter pied à pied, connaître son dossier, placer chacun devant une possible contradiction, convaincre.
Elle a les coudées franches, une immunité de parole dans l’exercice de sa défense et en relation directe avec elle.
Elle ne peut, en revanche, insulter ou diffamer tel ou tel des intervenants, notamment les magistrats. L’outrage reste possible si les bornes sont franchies.
2 ) Le respect de l’adversaire
C’est une redite, mais tout est lié.
Tant que des magistrats peu solidaires de leurs collègues maltraités aux audiences diront ou écriront « Avec moi, il (Le grand Dupond-Moretti) a toujours été correct », laissant sous-entendre qu’il suffit avec lui de bien savoir s’y prendre et que les autres sont maladroits ou trop raides, je dois reconnaître que le grand avocat aurait tort de se museler.
En réalité, personne ne lui demande de se taire ni d’être moins tonitruant. Une défense pugnace, courageuse, efficace, face parfois à de jeunes blancs-becs issus d’une école les investissant d’un pouvoir pour lui presque illégitime, c’est indispensable. Mais ça devrait être compatible avec le respect de l’adversaire et du contradicteur.
3 ) Le débat dans la politesse
Une analyse des forums spontanés et des phrases sous pseudonymes pêchées sur les réseaux sociaux révèle que, de plus en plus rapidement, après trois phrases échangées témoignant d’opinions opposées, l’injure est presque là.
Alors, le grand ténor ne serait-il que le reflet de son époque ?
Ne devrait-il pas plutôt, majestueux dans la noblesse de sa robe, donner l’exemple, lui qui manie le verbe mieux que quiconque ?
Cela, c’est un doux rêve…
Source :
http://www.lepoint.fr/chroniques/requin-bernard-le-probleme-avec-eric-dupond-moretti-16-12-2017-2180443_2.php

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