
Sommet de l’OTAN 2025 : un Waterloo diplomatique pour la France
TRIBUNE. Lors du sommet de l’Alliance atlantique des 24 et 25 juin à La Haye, l’indépendance stratégique européenne défendue par Emmanuel Macron est apparue plus fragilisée que jamais, analyse Bruno Alomar*.
Le sommet de l’OTAN des 24 et 25 juin a été à juste titre salué par beaucoup comme historique. Si le mot n’est, pour une fois, pas galvaudé, ce sommet est en effet à marquer d’une pierre noire. Pour l’Union européenne, à l’évidence. Car pour une fois l’unanimisme de la presse européenne pointait une réalité : une grande victoire pour Donald Trump. Ce président américain que les Européens adorent détester, auréolé d’une victoire au moins tactique quelques jours plus tôt en Iran, a été unanimement salué.
Sur le fond, il a tout obtenu, et notamment ce que le pourtant aimé des Européens, Barack Obama, n’avait pu obtenir : un engagement d’augmentation de 5 % des dépenses militaires des membres de l’Alliance atlantique. Sur la forme, dont Gustave Flaubert a pu dire qu’elle était « le fond qui remonte à la surface », les actes de soumission des Européens n’ont pas manqué : qu’il s’agisse de la durée du sommet, de la taille du communiqué final, et l’on imagine d’autres détails scabreux, toute la scénographie de la pièce a été faite pour plaire et complaire à Donald Trump. Jusqu’à la mini polémique liée à l’emploi ou non par le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, du pot « papa » (dad en anglais), dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle a tout du freudisme.
On objectera, non sans raison, que tout était joué d’avance. Car si, comme le disait le général de Gaulle, « il n’est point de politique en dehors des réalités », l’immense réalité que les élites dirigeantes françaises aux inclinaisons mesmero gaullistes – de manière caricaturale de la part du pouvoir en place, chez qui ce tropisme a la force des récents convertis – n’ont jamais voulu voir est celle ci : hormis la France, personne en Europe n’a jamais imaginé confier sa sécurité à quiconque d’autre que Washington, y compris à soi même. Les incantations lyriques en faveur d’une « défense européenne » depuis les lieux de mémoire français ou européens n’ont jamais fait brèche dans l’esprit des autres pays européens, qui, non sans quelques raisons – d’ailleurs que l’on s’obstine à ne pas voir à Paris car elles blessent notre orgueil –, ne font confiance qu’à l’Amérique dont le rôle historique et la puissance militaire balayent toute perspective de défense européenne.
C’est bien la raison pour laquelle les Européens n’ont eu de cesse de louvoyer au cours des dernières années, ne voulant pas fâcher le coq gaulois, trouvant maintes formules tarabiscotées (« pilier européen de l’OTAN », « Europe de la défense dans l’OTAN » etc.). C’est la raison pour laquelle, jamais depuis que ceci est compté, les Européens n’ont autant acheté de matériel militaire américain, tout en jurant le cœur sur la main qu’une industrie européenne de défense était indispensable. C’est pour cela que la France ne parvient pas, au cours des négociations EDIP, à obtenir ce qui devrait être une évidence : que le contribuable européen paye pour une base industrielle et de défense européenne. Si donc, pour l’Europe de la défense, c’est un chant du cygne, pour la France, il s’agit d’un Waterloo.
Le chant du cygne de l’Europe de la défense
Sur le plan des principes évidemment. La France aura échoué à convaincre les Européens de la nécessité d’entamer un vrai chemin – long, difficile, tortueux – visant, à terme, à savoir se défendre seuls. C’est ce qu’elle avait en partie réussi pour elle même jusqu’à maintenant, depuis l’acte gaulliste fondateur consistant à affirmer l’indépendance de la France et à en tirer toutes les conclusions, notamment la constitution d’une force de frappe nucléaire véritablement autonome.
Plus profondément, et ceci augure mal de l’avenir, par leur jusqu’au boutisme européen, les dirigeants français, de concessions en renoncements, laissent l’UE, au mépris des traités qui ne lui donnent aucune compétence en la matière, prendre progressivement la main sur les questions de défense. La France, qui aurait après le départ du Royaume Uni dû naturellement s’imposer comme leader des questions de défense, ne parvient pas à faire prévaloir ses vues. Elle laisse une UE, et singulièrement la Commission, viscéralement atlantiste, inapte aux questions géopolitiques, qui regarde faussement les questions industrielles au travers du mantra du libre marché, avancer ses pions. Qu’il s’agisse d’import/export, de préférence européenne, l’UE, telle le scorpion de la fable, ne sait que dérouler le logiciel qui l’a menée aujourd’hui à un effacement international qu’il est temps de mesurer. C’est une erreur majeure des dirigeants français, mais aussi, à terme, pour les Européens, qui risquent de demeurer durablement les vassaux de l’Amérique.
Désormais, un double collier étrangleur pour la France risque de se mettre en place. Confrontée à son impéritie, elle aura de plus en plus de mal – les premiers signes sont là – à consolider son industrie de défense. À l’inverse, le formidable effort budgétaire et financier que l’Allemagne s’apprête à faire – donnant hélas raison à ceux qui mettent en garde en vain depuis trop longtemps sur l’absence de sérieux budgétaire et économique de la France depuis 40 ans – va se faire en coopération avec les industries de défense américaines. Si le tragique est bien la colonne vertébrale de l’histoire, alors oui, ce sommet est historique.
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* Bruno Alomar, économiste, a travaillé au cabinet du commissaire européen à l’énergie. Il est l’auteur de La réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Éditions de l’École de Guerre – 2018).
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