Affaire Merah: mais qu’a fait la police ?

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Le lundi 14 novembre 2011, quatre mois avant les tueries de Toulouse et Montauban, Mohammed Merah est «débriefé» par les policiers du renseignement intérieur, au terme d’un séjour de deux mois au Pakistan. Fiché S depuis 2006 et revenant d’une zone «sensible», il n’avait pourtant pas été placé en garde à vue à son retour. Après avoir tergiversé, prétextant une hospitalisation pour soigner l’hépatite A contractée durant son voyage, il finit par accepter la rencontre avec les policiers. C’est sa sœur Souad, considérée comme la plus radicale du clan Merah, qui l’emmène alors de l’hôpital au commissariat, situé dans l’hyper-centre de Toulouse. Rencontrée six mois plus tard dans le cabinet de l’avocat toulousain Christian Etelin, Souad Merah, en niqab noir, livrera à Libération le bref échange qu’ils ont eu dans la voiture : «Mohammed m’a dit : « Ils veulent que je bosse pour eux. » Je lui ai demandé : « Tu vas devenir une balance ? » Il ne m’a pas répondu…»
Au commissariat, Mohammed Merah est conduit dans une pièce aux rideaux baissés. Affaibli, il est autorisé à s’allonger sur une table, sans fouille et sans menottes. Le futur tueur au scooter est serein : Hassan, le policier toulousain de la Direction régionale du renseignement intérieur (DRRI) qui l’a contacté, lui a assuré qu’il s’agirait tout au plus de quelques questions sur son parcours pakistanais. Rapidement, Hassan est rejoint par deux collègues venus spécialement de la centrale de la DCRI, ex-DGSI, située à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Un homme et une femme spécialisés dans le recrutement et le traitement des sources humaines. Ces derniers se présentent sous de fausses identités. Leur mission est d’évaluer Merah, dans le but de le recruter et d’en faire un informateur infiltré dans les réseaux jihadistes. La pièce est sonorisée. Mais l’entretien ne sera pas enregistré. Premier raté… Il va durer deux heures et demie, durant lesquelles Mohammed Merah va mentir à plusieurs reprises.
Sérieux doutes
A l’aise, il fait défiler sous les yeux des policiers les images de son périple. L’une des principales étapes ayant été, dit-il, sa visite dans la famille pakistanaise de l’une des voisines de sa mère, domiciliée dans le quartier toulousain du Mirail, dans le but d’épouser l’une de leurs filles. Surtout, Merah cache le plus important : du 4 au 17 septembre 2011, il s’est rendu dans le fief taliban de Miranshah, situé dans les zones tribales du Waziristan du Nord, à la frontière avec l’Afghanistan. Un endroit «hyper dangereux et inaccessible aux étrangers, à moins de disposer de connexions très solides», selon un bon connaisseur de la région. Là-bas, Merah suit pendant plusieurs jours une formation militaire dans un camp d’entraînement du Tehrik-e-Taliban, une organisation jihadiste pakistanaise.
Retour dans le bureau des recruteurs de la DCRI. Grâce à des investigations informatiques, l’antenne toulousaine du renseignement intérieur réussit à retracer plus précisément le parcours de Merah au Pakistan : deux connexions effectuées via sa messagerie émanent d’Islamabad et de Lahore. Selon nos informations, Mohammed Merah inverse les dates de ses passages dans ces deux villes lors de son débriefing. A dessein ? Durant l’entretien, les recruteurs de la DCRI livrent également à Merah la synthèse de la surveillance déclenchée à son retour, un an plus tôt, d’un précédent voyage en Afghanistan. Contrôlé le 22 novembre 2010 par la police afghane à Kandahar, il avait été remis à l’armée américaine et interrogé par un officier de renseignement. Relâché, il avait été mis dans un avion pour Kaboul, d’où il avait pris un vol pour les Emirats avant de rentrer en France, le 5 décembre. A son arrivée à Roissy, sa fiche S, établie en 2006, ne «sonne» pas. Nouveau dysfonctionnement. Quant à l’information de son contrôle à Kandahar, elle ne parviendra à la DCRI que plusieurs semaines plus tard, via la DPSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense). Une faute grave dont Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, prendra acte dans un courrier adressé le 22 avril 2013 aux magistrats instructeurs du dossier. Par ailleurs, des erreurs dans la transmission des infos orienteront les policiers vers un homonyme domicilié à Douai…
Remis sur les rails du futur tueur, les policiers installent, de février à juin 2011, une caméra face à l’entrée du domicile de Mohammed Merah, rue du Sergent-Vigné. Au sein du renseignement intérieur toulousain, de sérieux doutes commencent à naître sur la dangerosité du jeune homme. Et pour cause : l’objectif enregistre la venue de son demi-frère par alliance, Sabri Essid, récemment sorti de prison après sa condamnation en 2009 dans une filière d’acheminement de jihadistes en Irak. Autre visite suspecte, celle de Jean-Michel Clain, l’une des voix de la revendication des attentats de Paris, et d’un membre présumé du groupuscule islamiste Forsane Alizza. Les filatures menées par les agents révèlent également l’extrême parano de Mohammed Merah. En permanence sur ses gardes, il n’hésite pas à s’arrêter sur les bandes d’arrêt d’urgence pour vérifier qu’il n’est pas suivi. Autant d’indices qui conduiront le taulier du renseignement intérieur toulousain, le commissaire divisionnaire Christian Balle-Andui, à demander de «judiciariser Mohammed Merah en raison de son potentiel élevé de dangerosité» dans une note adressée à sa hiérarchie le 15 juin 2011.
«Profil voyageur»
Le 14 novembre 2011, son débriefing achevé, «Momo», comme le surnomment les policiers toulousains, repart libre de ses mouvements, sans que la surveillance à son égard ne soit réactivée. «Au vu de ce qui s’est passé quatre mois plus tard, il aurait pu faire du dégât ce jour-là, à la DRRI toulousaine, s’il était venu armé, souligne une source policière. Aujourd’hui, un type comme lui, fiché S et de retour de zone sensible, serait systématiquement interrogé dans le cadre d’une garde à vue, avant très probablement d’aller faire un séjour en prison. Ça change le rapport de force si on veut le recruter…»
Trois mois plus tard, le 21 février 2012, la centrale de Levallois, sourde aux réserves de l’antenne toulousaine, demande une évaluation de la fiabilité de Merah en vue de son recrutement. Le jeune homme «pourrait présenter un intérêt pour notre thématique en raison de son profil voyageur», estiment les analystes de la sous-direction du recrutement des sources humaines. Une demande jugée alors surréaliste par Christian Balle-Andui et son subalterne Hassan : «Nous avons estimé que [son] profil était incompatible avec l’idée même d’un recrutement», expliqueront-ils lors de leurs auditions respectives devant le juge Christophe Teissier.
Durant l’instruction, les juges antiterroristes n’ont pas estimé opportun d’entendre les différents recruteurs de la DCRI. Tout comme Patrick Calvar, nommé le 31 mai 2012 par Manuel Valls en remplacement de Bernard Squarcini à la tête de la DCRI. A l’inverse de la plupart des responsables policiers, Christian Balle-Andui témoignera, ce lundi, devant la cour d’assises spéciale au procès d’Abdelkader Merah, le frère aîné de Mohammed, suspecté de l’avoir endoctriné. Hassan le fera également, sous couvert d’anonymat. Quant à Bernard Squarcini, attendu jeudi, il a fait savoir qu’il serait présent mais qu’il ne répondrait pas aux questions de la cour. «Le squale» se retranche derrière son statut de témoin assisté dans un dossier connexe, ouvert à la suite d’une plainte «pour mise en danger de la vie d’autrui» déposée par le père d’une victime de Merah. Pourtant, beaucoup aimeraient l’entendre développer sa théorie selon laquelle Mohammed Merah était un «loup solitaire».

Source :
http://www.liberation.fr/france/2017/10/15/affaire-merah-mais-qu-a-fait-la-police_1603324

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  1. capucine dit :

    Pas grand chose. …….

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