Aux origines de « La Liste de Schindler »

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Avec « La Quête de Schindler », l’auteur Thomas Keneally publie, 34 ans après, un roman narrant les origines du fameux livre qui devint un fameux film.
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN
C’est l’histoire d’un hasard. D’un petit grain de sable qui va devenir une bombe, littéraire, puis cinématographique. On connaît l’adage : l’aventure est au coin de la rue. En l’occurrence, pour

Thomas Keneally, au coin de Rodeo Drive et de South Beverly Drive, un jour d’octobre 1980. Pour une banale histoire de mallette. La sienne avait rendu l’âme à cause de tous ces prospectus que les Italiens du festival de Sorrente, dont il était un des invités, lui ont refourgués. Keneally est un écrivain australien. Il rentre d’Italie chez lui en faisant une halte par Los Angeles pour promouvoir son dernier livre. Détour improbable. Il se promène dans Beverly Hills à la recherche d’un vendeur de mallettes et voilà qu’un homme exubérant l’alpague au seuil de sa boutique. Des mallettes, justement, il en vend. La conversation s’engage et dure, car la MasterCard de Keneally ne passe pas. On s’enquiert de la profession du client et de fil en aiguille, voilà notre vendeur, Leopold Page, alias Poldek, qui en vient à vouloir lui vendre bien autre chose.
« Vous m’avez l’air d’un gentleman. Je connais une histoire fabuleuse. C’est une histoire d’humanité d’homme à homme ». Keneally, qui écrit depuis 17 ans sur des sujets aussi différents que Jeanne d’Arc, Tito, les aborigènes ou l’Arctique, connaît la musique : quand il a le malheur de dire qu’il est romancier, tout le monde a toujours quelque chose à lui confier pour qu’il en tire le plus grand roman jamais écrit parce que c’est « une histoire pour vous ».

Mais le Poldek a l’air si convaincu qu’il laisse dire : « J’ai été sauvé, et ma femme Misia a été sauvée, par un nazi. Alors même si c’est un nazi, pour moi, c’est Jésus-Christ. Je ne dis pas que c’était un saint. Il buvait, il baisait, il faisait du marché noir, d’accord. Mais il a sorti Misia d’Auschwitz, alors, pour moi, c’est Dieu ». Dans la minute, Keneally fait connaissance de Misia, puis des armoires de Poldek bourrées de documents sur ce nazi. Vous ferez bien quelques photocopies ? Une histoire d’humanité d’homme à homme ! Notre Australien a beau lui rappeler qu’il n’est pas juif, qu’il n’a jamais rencontré de survivant de la Shoah et que, de toute sa vie, il n’a assisté qu’à un seul malheureux shabbat, Poldek a réponse à tout : « Comme ça, vous n’aurez pas d’intérêt personnel à défendre ! Un Australien serait parfait pour l’écrire ».
Ruiné, dans une misérable piaule
Pendant qu’ils monopolisent la photocopie de la banque d’en face noire de monde – qu’importe, son guide est très ami avec le directeur –, Keneally apprend encore que Poldek, dans les années 60, a déjà essayé de refiler son histoire à un grand ponte de la Paramount dont il avait harcelé l’épouse entrée elle aussi un jour dans son échoppe. L’entreprise était tout de même allée assez loin puisque Howard Koch, le scénariste deCasablanca, avait rédigé un script, et l’on avait retrouvé le nazi, Oscar Schindler, vous l’aurez deviné, qui vivait, ruiné, entre une misérable piaule, près de la gare de Francfort, et Israël, où ses anciens rescapés le soutenaient à bout de bras. Et puis tout avait capoté. Alors quand Poldek voit entrer Keneally, il ne va pas le lâcher. « Thomas, qui le fera si ce n’est vous ? » Et notre Thomas de se retrouver le jour même devant l’avocat de Schindler, mort depuis six ans, puis de compulser des liasses de documents dans sa chambre d’hôtel, alors qu’il y a un bon match de base-ball à la télé, parce qu’il repart le lendemain et qu’il faut tout de même en avoir le cœur net. Parmi ces documents, une liste de travailleurs juifs établie par Schindler après la fermeture du premier camp de Plaszow, près de Cracovie, amenée à connaître plus tard une célébrité mondiale.

Mais Keneally sait déjà. Un romancier sait toujours lorsqu’il a pêché du lourd. Et il a compris que Schindler et son usine d’émail, c’est du lourd, le prisme idéal pour raconter la Shoah. Oskar, personnage moralement ambigu, mais présent à chaque étape du processus de liquidation des juifs à Cracovie : la confiscation des biens, la création des ghettos, des camps de travail, puis des camps d’extermination. Keneally s’est vu justement proposer un beau contrat d’avance par Simon & Schuster, le grand éditeur américain. Aussi, lorsqu’il reprend son avion pour Sidney, il a pris sa décision. Il était venu pour une mallette, il repart avec un livre à écrire. Et des dizaines de rescapés à aller voir en Australie, aux États-Unis, en Israël, en Pologne, pour leur faire parler de leur Schindler. Il étale sa documentation sur sa table de billard, devant la plage australienne, où les surfers prennent les vagues. Un excellent endroit pour accoucher d’un ouvrage sur la Shoah.

Mais le vrai héros de ce nouveau livre que Keneally a rédigé en 2007, vingt-cinq ans après avoir publié la Liste de Schindler, ce n’est plus tant Schindler que Poldek. Qui va l’accompagner en Pologne pour retourner sur les lieux encore quasiment intacts où le sauveur nazi a œuvré. Lorsqu’ils repartent de l’aéroport de Cracovie, ils tombent sur un douanier particulièrement récalcitrant. On est en 1981. Alors Poldek lui explique que Keneally est le futur Hemingway, qu’ils sont là pour préparer un film qui va remporter l’Oscar – le livre n’est même pas encore écrit – et que justement, monsieur le douanier a exactement « le genre de traits slaves, de héros, dont ils ont besoin pour leur casting » ! Une histoire d’humanité d’homme à homme. Son mantra, Poldek voudrait même qu’il apparaisse en sous-titre. Mais se mettre d’accord sur le titre est déjà assez compliqué. La liste de Schindler ou l’Arche de Schindler ? Parce que l’arche implique « la passivité ». Les Américains, pour ne pas se mettre à dos le public juif, choisissent « la liste », tandis que les Anglais et les Australiens préfèrent « l’arche ». Mais Keneally ne vise pas le public juif. Comme Poldek lui a expliqué dès le premier jour, c’est un livre pour les Gentils, voilà pourquoi il refuse l’étiquette « vie juive » et décide de l’intituler « roman », ce qui provoquera quelques polémiques


Un booker Prize et un coup de fil d’un certain Spielberg plus tard, le livre connaît une brusque embardée. Poldek est évidemment de la partie. Car il connaît la maman du petit prodige, qui tient un restaurant casher à Beverly Wood, et dès le premier déjeuner, après avoir expliqué à Steven qu’ils leur donnent là une histoire d’humanité d’homme à homme, il enchaîne : « je parlais avec votre mère et elle me disait que vous gagnez très bien votre vie ». Spielberg mettra plus de dix ans pour réaliser le film. Mais vous pouvez compter sur Poldek pour ne pas lâcher le morceau. Chaque mois, il appelait Spielberg. N’oubliez pas Oskar ! Vous allez remporter tous les Oscars ! Et qui eut raison à la fin ?


La Quête de Schindler, Thomas Keneally, éd. Sonatine. 300 p., 19 euros.

source :
http://www.lepoint.fr/livres/aux-origines-de-la-liste-de-schindler-20-12-2015-2004083_37.php

happywheels

2 Commentaires

  1. Laurence dit :

    ce film…………….cette histoire bouleversante !!!!!!!

  2. capucine dit :

    c’est concours de circonstance qui a mené l’écrivain Thomas Keneally
    à Beverley Hills et le destin lui a fait croiser celui de Poldek !!
    Oskar Shindler est juste parmi les nations de Yad Vashem pour avoir sauvé des centaines de juifs .. un nazi qui ne l’était pas vraiment
    mais tout simplement un mentch !

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