Gérard Chaliand : « Il faut mettre des troupes au sol face aux djihadistes »

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Pour le géopoliticien, l’Occident doit se décider à lancer une opération afin d’éviter de nouveaux appels d’air parmi les candidats au terrorisme.
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Gérard Chaliand est géostratège. Il est spécialiste de l’étude des conflits armés et des relations internationales et stratégiques. Il est l’auteur avec la collaboration de Sophie Mousset de «La Question kurde à l’heure de Daech», Seuil, 2015.
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LE FIGARO. – La destruction d’antiquités à Palmyre et la décapitation de son ancien directeur ont marqué les esprits. Où en est Daech en Syrie?
Gérard CHALIAND. – La théâtralisation de l’horreur à Palmyre et son rayonnement médiatique sont du point de vue de Daech une vraie réussite. Le coup choque les pays occidentaux et crée un appel d’air parmi les candidats au djihadisme. En outre, Daech marque une avancée sur ce que j’appellerais la Syrie «utile»: jusqu’ici essentiellement concentré dans la partie orientale du pays qui est désertique et sous-peuplée, le mouvement cherche à investir la partie occidentale, peuplée, se rapprochant de Damas.
Mais il ne faut pas oublier qu’il y a deux autres fronts djihadistes, ceux du nord (Idlib, Alep etc.), Jabhat al-Nosra et Jaish al-Fatah, et ceux du sud, Deraa, bien armés et épaulés via la Jordanie et qui sont syriens, contrairement à Daech. Le noyau de ce mouvement est constitué d’Irakiens provenant des 20 % de sunnites brimés et marginalisés depuis l’intervention américaine de 2003, tandis qu’une majorité est constituée de musulmans du Maghreb, d’Arabie saoudite, de Libye dont l’arabe est plus ou moins entendu en Syrie, sans compter les Tchétchènes et autres Caucasiens et les Ouzbeks qui sont culturellement étrangers au Moyen-Orient. Ne pas se faire comprendre de la population est un vrai handicap. Le fait de dominer la communication auprès de l’opinion publique à travers le monde ne suffit pas à être décisif sur le plan militaire.


Que représentent les forces sur le terrain?
Le nombre de combattants de Daech, d’une part, et des autres mouvements djihadistes, d’autre part, est équivalent, soit 50 000 de part et d’autre. Ces derniers sont aidés financièrement et militairement par l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar qui, malgré leurs divergences sur le soutien aux Frères musulmans, ont contracté une alliance de circonstance pour hâter la chute du régime d’Assad. En face, l’armée de Bachar el-Assad, réduite à quelque 60 ou 70 000 hommes, est bien équipée et dispose d’aviation et de tanks. Même si le régime s’est essoufflé, rien en somme n’est encore joué.

Que peut faire l’Occident?
Mettre des troupes au sol pour une opération coup de poing brève. Nous avons laissé passer l’opportunité de le faire en juin 2014 quand Daech est entré à Mossoul en Irak. En quittant une zone désertique pour la zone de plaine de la Mésopotamie, ses combattants sont passés de mouvements clandestins de guérilla (actions par surprise) et de terrorisme (attentats) à une guerre plus conventionnelle, en recherchant physiquement le combat, le choc. Cette guerre, où l’on avance pour frapper, l’Occident sait la faire. Simplement, il n’ose plus: l’opinion publique ne tolère plus les pertes humaines ; les États-Unis sont paralysés psychologiquement par leurs échecs en Afghanistan et en Irak. Cela ne doit pas nous exonérer d’envoyer des troupes. La France est intervenue au Mali, juste avant que les djihadistes prennent Bamako. Aujourd’hui, il y a urgence à éviter de nouveaux appels d’air de djihadistes. Il faudra se décider à lancer une opération.


Dans une très large partie de l’Ouest africain et dans sa partie orientale, on a une population musulmane travaillée depuis des décennies par les prêches véhiculés par l’Arabie saoudite. L’islam militant sera l’exutoire des désœuvrés.
Quel jeu joue la Turquie en Syrie?
La Turquie veut abattre le régime de Bachar el-Assad. Aussi soutient-elle officiellement tous les djihadistes, sauf Daech. Le président Recep Tayyip Erdogan a fait le pari de faire un meilleur score lors des prochaines élections en jouant sur l’antipathie de la majorité turque à l’égard du PKK et des Kurdes de Turquie. En bombardant les éléments du PKK en Irak du nord afin de les pousser à reprendre la lutte armée, il cherche à jouer sur le rejet des Kurdes. En échange de la base d’Incirlik, utile aux Américains, R.T. Erdogan a obtenu un accord sur la création d’une zone de non-survol en Syrie du Nord, précisément entre deux cantons kurdes privant ceux-ci d’une continuité territoriale. Les Kurdes de Syrie combattent Daech et sont utiles provisoirement aux Américains.


M. Erdogan entend contribuer à les éliminer avec l’appui des djihadistes syriens qui, en tant qu’arabes, ne veulent pas d’une zone kurde autonome au nord de la Syrie. Erdogan va également s’en prendre aux Kurdes du HDP partisans d’une solution politique et démocratique.
Que peut faire l’Iran sur cet échiquier compliqué?
L’Iran, pays chiite, aide à combattre les sunnites au Yémen et en Syrie, Il conseille et appuie le gouvernement de Bagdad et soutient le Hezbollah. Mais il ne peut faire plus. Il sort de quatorze années d’embargo lié à son conflit avec les États-Unis et doit faire face à la baisse du prix du pétrole.
L’appel d’air de terroristes que vous évoquiez plus haut pourrait-il s’entendre au-delà du Moyen-Orient?
C’est probable. Aujourd’hui, c’est le Moyen-Orient, demain, ce sera sans doute l’Afrique, qui est en train de démographiquement doubler sans avoir les moyens d’absorber ce surplus sur le marché du travail et de l’éducation.
Dans une très large partie de l’Ouest africain et dans sa partie orientale, on a une population musulmane travaillée depuis des décennies par les prêches véhiculés par l’Arabie saoudite. L’islam militant sera l’exutoire des désœuvrés. Il faut aussi suivre le Caucase Nord. Bref, la capacité de perturbation de l’islam radical est importante, mais les djihadistes n’ont aucun projet de société sinon le retour à la pureté réelle ou supposée des premiers siècles de l’islam. Les Mille et Une Nuits en version fondamentaliste. La seule réponse au défi de la modernité qui est aussi le défi de l’Occident, c’est la croissance économique. C’est ce que les Chinois et les Indiens ont compris.

source :
http://premium.lefigaro.fr/vox/monde/2015/09/01/31002-20150901ARTFIG00126-gerard-chaliand-il-faut-mettre-des-troupes-au-sol-face-aux-djihadistes.php

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13 Commentaires

  1. josué bencanaan dit :

    Bien sur qu’il faut des troupes au sol, c’est evident, mais cela coutera combien en vies humaines, et que ce la se finisse comme en Irak ou afgHanistan, non merci.
    Je pense que les stratèges ont du se pencher sur ce problème et a en arriver a une conclusion evidente « l’envoi de troupes au sol, ne ferai qu’aggraver les choses et couterai extremement cher en vies humaines ».

    Personnellement de mon point de vue, étant un ancien militaire, si j’etais encore en activité, je refuserai d’aller me battre la bas, tout en sachant que cet ennemi viens aussi de France. L’ennemi n’est pas aussi loin que l’on veut nous faire croire.

  2. capucine dit :

    je suis pour l’envoi régulier de drones pour faire des frappes ciblées sur des véhicules qui circulent par petits groupes dans les zones désertiques et qui vont d’une ville à l’autre pour tuer , violer et saccager des monuments historiques …
    les troupes au sol c’est bien trop dangereux pour les soldats …
    il y aura bien trop de perte humaine … alors qu’il faut éradiquer définitivement Daesh !

  3. roni dit :

    daech est pire que le regime syrien la plupart ils sont sous evolues ils prennent des enfants a partir de 1 ans pour en faire des esclaves sexuel.

  4. Pierre un gaulois dit :

    Je ne suis pas d’accord avec vous à propos de Bachar El Assad.
    Je crains que ce soit pire après lui.
    Saddam Hussein, Khadafi, Assad ont en commun le fait d’avoir été, ou d’être, des dictateurs,
    des dictateurs peu sympathiques.
    Il n’y a pas de dictateur sympathique.
    Et tous les pays musulmans sont dirigés par des dictatures.
    A voir le résultat, il valait mieux un dictateur laïque comme Saddam Hussein qui maintenait un équilibre entre Chiites et sunnites…
    ou un Khadafi vieillissant qui avait au moins le bon goût de bloquer l’immigration sub-saharienne.
    Avec Khadafi il n’y avait pas de Lampédusa…
    On parle de 2000 noyés en méditerranée pour 2015…

  5. jo dit :

    Bof, moi je dis que notre seul intérêt est qu’ils se fassent la guerre constamment entre-eux, d’autant qu’ils adorent ça. L’équilibre leur permet de se renforcer, et de se cacher sous de faux airs de dictatures laïques soi-disant stabilisées.lol. Là au moins, ils montrent au monde leur vrai visage de terroristes islamofascistes arriérés et commencent à se faire détester partout.
    Rappelons-nous khadafi et Assad triomphant sur les champs élysée sous Sarko, pendant qu’il renforçait la télé vénéneuse Aljezira et imposait le qatar dans tous les secteurs stratégiques et juteux du pays. Il ne pourrait pas le faire aujourd’hui avec daesh sans passer vraiment pour un con, et en tout cas, il peut crever avant que je ne revote pour lui.

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