
Karl Boemelburg, le démon méconnu de la Gestapo parisienne
Par Jacques de Saint Victor
Un livre passionnant sur Karl Boemelburg, chef de la Gestapo à Paris, qui mit la France sous coupe réglée avec l’aide de truands.
Il fut le chef de la Gestapo à Paris à partir de l’été 1940. Puis il est devenu en 1944 le responsable de la « protection » du maréchal Pétain jusqu’à Sigmaringen où il a été le gardien du chef de l’État français en exil, côtoyant Darnand, Laval, Céline qui le caricature amplement dans Un château l’autre sous le nom farfelu de Baron von Raumnitz. Malgré ce pedigree impressionnant et terrifiant, le nom de Karl Boemelburg est resté pour l’essentiel dans l’ombre. Sa vie n’a jamais été étudiée. C’est ce vide que répare la biographie bien menée par les journalistes et historiens. Ce travail passionnant, même si on peut lui trouver quelques défauts, dont une absence d’index, permet de mieux saisir la complexe question de l’organisation de la répression nazie en France.
Boemelburg est à la tête d’une machine répressive impitoyable, perverse, qui a été d’une efficacité redoutable en détruisant de nombreux réseaux de résistance (il a arrêté trois des principaux chefs de réseaux, Jean Moulin et le général Delestraint, sans parler de Pierre Brossolette). Et il a été l’un des principaux organisateurs de la Shoah, n’obtenant pas de Vichy, comme le rappellent les auteurs, ce que Berlin lui demande car les autorités de la collaboration, pour des raisons complexes, tergiversent. Boemelburg enrage ; c’est un esprit dépravé, brutal et sans scrupule. C’est lui qui s’appuie sur les truands des diverses Gestapos françaises, dont la plus connue est celle de la rue Lauriston, pour mettre la France en coupe réglée.
Il crée avec l’indépendantiste algérien Mohamed el-Maadi la Légion nord-africaine, les fameux « SS Mohamed », qui vont terroriser le sud de la France en 1944. Il s’enrichit du trafic des biens juifs, roule dans des berlines de luxe, dont l’ancienne voiture blindée de Maurice Thorez, le chef du PCF, et mène grand train dans sa luxueuse villa de Neuilly (où Jean Moulin passera ses derniers instants parisiens). Ses trafics d’œuvre d’art, sans compter les innombrables basses œuvres les plus sanguinaires contre les résistants et les Juifs français, achèvent d’en faire une figure ignoble.
L’homme idéal
Pour les nazis, cet autodidacte était en 1940 l’homme idéal pour diriger la Gestapo en France. En effet, malgré sa faible instruction et son engagement précoce d’abord dans les SA puis dans la SS, cet esprit primaire connaît bien la France et parle parfaitement sa langue. Il aurait suivi des cours à la Sorbonne. Dès 1934, Boemelburg s’installe dans l’Hexagone et fréquente les esprits naïfs ou corrompus du Comité France-Allemagne, ce comité qui ne tardera pas à devenir le cheval de Troie du nazisme en France. Il séduit, sous couvert de pacifisme, les gens hantés par le souvenir de la boucherie de 1914-1918. Ce pacifisme pour les imbéciles fait bien des adeptes, à droite (on ne veut pas mourir pour Dantzig), mais aussi à gauche, y compris chez certains membres du Front populaire.
Bref, avant même la déclaration de guerre, Boemelburg côtoie de nombreux intellectuels pro-allemands, comme Luchaire, Benoist-Méchin, Drieu ou Céline. Cela lui sera bien utile sous l’Occupation. Son anticommunisme lui permet aussi, soulignent ses biographes, d’entretenir des relations avec de hauts dirigeants de la police française. Il finit quand même par être expulsé en 1939 mais revient en 1940 dans les fourgons de l’armée allemande. Il s’installe aussitôt rue des Saussaies, puis avenue Foch, à la tête de la Gestapo, cherchant constamment à étendre son pouvoir au sein d’un empire SS aux multiples visages (que décrivent minutieusement les auteurs).
Une disparition mystérieuse
Boemelburg se révèle un remarquable enquêteur mais aussi un homme sans limite qui profite aussitôt de sa position pour s’enrichir éhontément. À cause de lui, et au soutien qu’il apporte aux divers truands qu’il recrute dans les Gestapos françaises, Paris devient une ville proprement mafieuse entre 1940 et 1944. Les truands dominent et imposent leur loi, y compris à la police de Vichy. En 1944, il est envoyé précisément dans cette ville pour y assurer la surveillance du maréchal Pétain qu’il conduit de force à Belfort puis en Allemagne, l’encadrant comme un prisonnier. Mais, sentant le vent tourner, il désobéit à Hitler et laisse Pétain regagner la Suisse en avril 1945.
Boemelburg disparaît alors et sa vie après la guerre reste un mystère que les deux biographes tentent de reconstituer. Selon la légende, entretenue par Bob Maloubier ou Jean Lartéguy, l’ancien dirigeant de la Gestapo serait mort en 1946 en dérapant sur une plaque de verglas à la Saint-Sylvestre dans les environs de Munich. Mais il semble que cette version soit fausse et destinée à éteindre les poursuites contre lui. D’autres prétendent qu’il aurait été aperçu à Madrid en 1949 avant qu’il ne s’envole au Paraguay. Mais ses biographes concluent qu’il serait mort en 1947, en Suisse, d’une crise cardiaque, des suites d’une affection au cœur que lui avait diagnostiquée à Sigmaringen un certain… Céline. Un livre passionnant.
Boemelburg, chef de la Gestapo en France, de Gérard Chauvy et Philippe Valode, Nouveau Monde Éditions, 396 p., 24,90 €. Nouveau Monde Éditions
Source
Le Figaro
Cet ouvrage semble très intéressant. Dans un autre style mais relatant la même époque, le même contexte, dans le même Paris je conseille fortement « Le Barman du Ritz ».
https://www.babelio.com/livres/Collin-Le-Barman-du-Ritz/1599780
@LDJ, merci pour le conseil lecture. Ben a raison « le barman du Ritz » est très bien pour montrer que certains artistes français ont très très bien vécu sous l’occupation allemande. Je vous recommande L’affaire Petiot et la shoah de Jean-Marc Dreyfus chez Grasset qui relate l’affaire Petiot que tout le monde connait, mais qui la remet dans le contexte de l’occupation avec les différentes officines allemandes et françaises (dont la carlingue de bonny et lafont) qui avait entendu parler du docteur petiot, et qui partageaient les mêmes rabatteurs que petiot.
https://www.grasset.fr/livre/laffaire-petiot-et-la-shoah-9782246841388/