La débâcle du Maréchal Pétain

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Personnage versatile, militaire cynique, chef d’Etat impuissant… Le Pétain de Bénédicte Vergez-Chaignon, première biographie d’envergure publiée depuis 1987, donne un éclairage nouveau sur l’homme de Verdun et de Vichy.

Philippe Pétain avait en horreur la famille. Marié sur le tard à une divorcée, cet homme à femmes ne voulut jamais d’enfants. Le même Pétain exaltera, sous Vichy, le foyer et les vertus domestiques. Il détestait les combinaisons d’une IIIe République ballottée entre les vents contraires du parlementarisme. Une fois porté au pouvoir en 1940, il se laissera entraîner dans un tourbillon d’intrigues qui paralysera l’exécutif, portant à son comble l’instabilité ministérielle. Prétendant restaurer l’ordre et sauver la France, il conduira le pays au bord de la guerre civile.

Austère et sensuel, cynique et manipulable, inflexible et versatile : les contradictions du personnage donnent chair à la monumentale biographie que lui consacre l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon. Un quart de siècle après le Pétain de Marc Ferro, cette étude précise renouvelle notre connaissance de l’homme grâce à l’exploitation de nombreux fonds d’archives longtemps fermés aux chercheurs.
On l’oublie souvent : Pétain est le contemporain d’Arthur Rimbaud. Né en 1856, élevé par un grand-oncle qui avait combattu à Arcole et à Rivoli, il s’éteindra au début des Trente Glorieuses… En août 1914, âgé de 58 ans, l’obscur colonel Pétain est tout près de la retraite. Taiseux,

dissimulé, ce solitaire a jusqu’alors mené l’existence répétitive des officiers de sa génération : préparation de la revanche, besogneuse ascension dans la carrière, mornes garnisons de province.
En 1918, son immense prestige renforce une vanité maladive
Le déclenchement de la guerre va enterrer cette première vie sans éclat. Au prix de tensions répétées avec Foch et Nivelle, Pétain impose à Verdun sa conception de la guerre : reculs tactiques, emploi massif de l’artillerie, refus des offensives inutiles. Bénédicte Vergez-Chaignon écorne singulièrement le mythe du « plus humain des chefs ». Si Pétain économise la vie des soldats, ce n’est ni par humanisme ni par compassion, mais parce qu’il dispose de ressources humaines limitées. Pour mater les mutineries de 1917, il améliore le quotidien du poilu mais, partisan de la « terreur indispensable », continue de faire fusiller pour l’exemple.
L’auteur révèle qu’à force de prôner la victoire à petits pas, de valoriser la défensive contre l’offensive, le vainqueur de Verdun sera parfois considéré par ses pairs comme un défaitiste. A trop vouloir éviter le pire en l’envisageant, il semble le prédire.
Au sortir de la guerre, l’immense prestige de Pétain renforce une vanité maladive. Comblé d’honneurs, il est aussi couvert de femmes – sa correspondance révèle un goût prononcé pour les mises en scène érotiques. Faisant violence à son apolitisme de principe, Pétain accepte en 1935 le portefeuille de la Guerre. Il n’y brillera pas par sa clairvoyance.
Tandis que l’Allemagne réarme, il fait diminuer les crédits de la défense. Péremptoire, il clame que jamais la Wehrmacht n’osera s’engouffrer dans la forêt des Ardennes ! Cette brève expérience lui laisse un goût amer : « Ce régime est impuissant à cause de la faiblesse de l’exécutif. Je m’en vais heureux de sortir de cette pétaudière. » L’auteur fait un sort à la thèse du Pétain comploteur, instrument de la Cagoule et partisan du coup de force contre la République. Trop prudent, trop amoureux de ses aises, le Maréchal, en bon militaire, est trop légaliste pour se laisser entraîner dans ce genre d’aventure.
En 1939, avec le mélange de fatalisme et de cynisme qui est le sien, Pétain répète que l’entrée en guerre de la France est une erreur. Une fois de plus, il prophétise la catastrophe. Entré dans le cabinet Reynaud en pleine débâcle, l’éternel cassandre tient l’armistice pour la seule issue possible. Bénédicte Vergez-Chaignon fait revivre avec un sens aigu du détail les jeux d’intrigues, l’atmosphère de peur, les grands et petits renon cements qui aboutiront au suicide de la République et au vote des pleins pouvoirs en juillet 1940.

Réformes avortées, étalage de rivalités…
Déjà règnent au sommet de l’Etat l’incompétence, l’amateurisme et l’improvisation qui feront de Vichy un régime d’instabilité permanente. Car, contrairement à une idée reçue, l’époque fut moins marquée par le triomphe des technocrates que par les réformes avortées, les créations juridiques encombrantes et superficielles, l’étalage de rivalités et d’ambitions autour d’un maréchal décrépi, indifférent, incapable de trancher. La Charte du travail se résume ainsi à un catalogue de principes flous et souvent inapplicables. Les notions qui imprègnent la propagande pétainiste – autorité, hiérarchie, communauté – ne seront jamais définies et encore moins appliquées à la conduite de l’Etat. En revanche, le souci d’efficacité l’emportera dans la traque des juifs, la chasse aux communistes et les juridictions d’exception.
Le même flottement, doublé de naïveté et d’aveuglement, marque le choix de la collaboration. Contrairement aux espoirs de Pétain, Hitler n’eut jamais l’intention d’engager une négociation globale, ni même d’envisager une série de « donnant-donnant ». La collaboration ne sera que le grossier habillage du pillage de la France, de la coercition et de la subordination. Sincèrement convaincu de sa mission – protéger les Français -, Pétain se laisse duper en faisant semblant de garder l’initiative. Pierre Laval devient son cauchemar. Il fume sous son nez et complote dans son dos. Congédié en décembre 1940, Laval revient à Vichy pour l’insulter en présence de l’ambassadeur d’Allemagne : « Fantoche, baudruche, girouette qui tourne à tous les vents. »
Pétain tente vainement de relancer la collaboration avec Darlan, subit le retour de Laval, tolère l’espionnage de la Gestapo jusque dans ses bureaux et laisse le régime de Vichy se muer en Etat milicien. Populaire malgré tout, il s’accroche au pouvoir par orgueil, enfantillage sénile et goût du décorum. Quitte à se poser en victime, en semi- captif dont le sacrifice tournerait au martyr. Cette ligne de défense, il l’adoptera lors de son procès en juillet 1945. Or, jusqu’au bout, Pétain, jouant d’une lucidité à éclipses, va faire preuve d’une redoutable roublardise.
En 1943, il tente ainsi de prendre appui sur la SS pour se débarrasser de Laval. Jusqu’au bout, refusant de se dédire, il défendra « l’entente sincère entre la France et l’Allemagne ». Coeur sec, jouisseur, opportuniste, Pétain fut le prophète de malheur d’une France naufragée, à l’image de la vieillesse de cet officier d’un autre temps, dénué de sens politique et terriblement infatué de sa personne.

Algérie: le souk de Vichy
De la défaite de 1940 au débarquement allié de novembre 1942, l’Algérie fut une étrange excroissance du régime de Vichy, le théâtre d’une cohabitation impossible entre Européens, juifs et musulmans. Une parenthèse peu connue, explorée par Pierre Darmon dans cet ouvrage nourri de documents originaux – archives préfectorales, contrôle postal et téléphonique, lettres de délation – qui épousent au plus près les fluctuations de l’opinion.
La débâcle française est accueillie comme une divine surprise dans les milieux populaires musulmans. Hitler le « sauveur », « Bou Gessaâ » (l’homme à la mèche), le « protégé de Dieu », qui de surcroît ne boit pas d’alcool, va enfin venger les Algériens de la déchéance coloniale! Les agents allemands tenteront de soutenir les mouvements indépendantistes, favorisant comme ailleurs l’alliance du croissant vert et de la croix gammée. En octobre 1940, l’abrogation du décret Crémieux déchoit les juifs de la nationalité française. Elle donne le coup d’envoi des persécutions, qui atteignent un degré de violence alors inégalé en métropole : pogroms, dynamitage de synagogues, humiliations publiques. Par leur incompétence et leur rapacité, les administrateurs de biens juifs aryanisés ruinent des pans entiers de l’économie. Des camps de concentration voient le jour. On y entasse pêle-mêle juifs, communistes, francs-maçons, sympathisants messalistes…
Le camp de Hadjerat M’Guil, écrit Darmon, fut « un Buchenwald français en Afrique du Nord ». Le pétainisme des Européens confine à l’idolâtrie, même si l’auteur souligne l’existence d’un courant anglophile et de quelques îlots favorables à la Résistance. Le règne des petits chefs en quête de privilèges, les exactions commises par la Légion française des combattants ajoutent au désordre et paralysent l’administration. L’Algérie de Pétain fut bien le théâtre, selon l’expression de Darmon, de l' »anarchie vichyste ».

L’Algérie de Pétain. Les populations algériennes ont la parole, septembre 1939-novembre 1942, par Pierre Darmon. Perrin, 456p., 25€.
La meute des collabos
Ils ont profité de l’Occupation pour s’enrichir, devenir célèbres ou faire la fête. En quatorze portraits nerveux et hauts en couleur, le spécialiste de Céline David Alliot exhume l’histoire des seconds couteaux de la « Kollaboration ». Antisémite professionnel, le professeur Montandon se pique de pratiquer des « examens anthropométriques ». Il prétend déceler le « type antéro-asiatique facilement interprétable comme judéo-antéro-asiatique ».
Surnommé « le Mammouth », Abel Danos met, lui, ses talents de tueur à gages au service de la Gestapo. Quant à Mgr Mayol de Lupé, il pose en uniforme de la Wehrmacht pour le magazine allemand Signal et conclut ses prêches par un « heil Hitler ! » Côté strass et paillettes, la jeune Maud de Belleroche s’enivre au champagne dans les parties fines de Jean Luchaire, le bouffon mondain de la collaboration – « Louche Herr », disait de lui Galtier-Boissière.
Une truculente galerie de portraits, qui dévoile un petit monde de tocards grouillant d’ambitions, fanatisés autant par l’idéologie que par l’appât du gain, cinquième colonne d’une Allemagne qui avait besoin de ces déclassés sans envergure.
Le Festin des loups. Collabos, profiteurs et opportunistes sous l’Occupation, par David Alliot. Librairie Vuibert, 280p., 19,90€.
Pétain, par Bénédicte Vergez-Chaignon. Perrin, 1040p., 29€. En librairie depuis le 28 août.

lire l’article de L’EXPRESS en cliquant sur le lien ci-après

http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-debacle-du-marechal-petain_1571096.html

happywheels

2 Commentaires

  1. tovsayan dit :

    ce pétain avait une vraie gueule de pute à bosch

  2. berc-oestreicher dit :

    France 1940 40 millions de petainistes, France 1944 40 millions de Gaullistes
    Je ne hais pas la france ni les francais, mais j’estime que l’on doit mettre les choses a leurs places.
    Vous me parlerez des justes, la aussi beaucoup de chose a dire.

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