L’affaire Sarah Halimi et le tabou du «nouvel» antisémitisme

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FIGAROVOX/DECRYPTAGE – Kobili Traoré, l’homme qui a battu et défenestré Sarah Halimi le 4 avril à Paris, a été mis en examen pour homicide volontaire. A ce stade, le caractère antisémite du meurtre n’est pas retenu. Pour Caroline Valentin, cette affaire est symptomatique du déni français autour de l’antisémitisme arabo-musulman.
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Caroline Valentin est coauteur d’ Une France soumise, Les voix du refus (éd. Albin Michel, 2017).
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Dans la nuit du 4 avril 2017, à Paris, Sarah Halimi, une femme de confession juive de 65 ans, est sauvagement assassinée. Son meurtrier, Kobili Traoré, un musulman radicalisé d’origine malienne au casier judiciaire long comme le bras, s’acharne sur elle pendant 40 longues minutes, d’abord dans le salon de de Sarah Halimi, puis sur son balcon. Il hurle «Allah Akbar», insulte sa victime, la traite de «grosse pute», de «sheitane» (démon en arabe). Plusieurs voisins entendent puis assistent, de leurs fenêtres ou de la cour, épouvantés, au massacre. Dans l’excellent article que Noémie Halouia a consacré à cette affaire dans le dernier numéro de Causeur, elle rapporte le témoignage de l’un d’entre eux: «la première chose qui m’a réveillé, c’est des gémissements d’un être vivant en souffrance. C’était de la torture. Au début, je pense que c’est un animal ou un bébé. Mais après, en ouvrant le rideau et en ouvrant la fenêtre, je comprends que c’est une femme qui gémit sous les coups qu’elle reçoit. A chaque coup, j’entends un gémissement, elle n’a même plus de force pour pousser un cri». Kobili Traoré tape tellement fort que son poing droit est tuméfié. Puis, apercevant dans la cour la lumière des lampes torche de la police, il hurle «attention, il y a une vieille dame qui va se suicider», saisit sa victime – encore vivante – par les poignets et la fait basculer par-dessus la balustrade de son balcon. Sarah Halimi gît dans la cour, morte, ensanglantée.
Sarah Halimi connaissait Kobili Traoré, il était son voisin, il la menaçait constamment, elle avait peur de lui. Cinq ans auparavant, la sœur de ce dernier avait bousculé l’une des filles de Sarah Halimi en la traitant de «sale juive». Quelques jours après la mort de Sarah Halimi, les quelque cinq-cent personnes qui participent à la marche blanche organisée à Belleville en sa mémoire défileront sous les – «désormais traditionnels» relève Noémie Halouia – «morts aux juifs» et «nous on a les kalash» qui fusent des cités voisines.
«Désormais traditionnels» … Oui, car les précédents sont désormais nombreux. Les «morts aux juifs» avaient déjà rythmé les défilés des manifestations «pro-palestiniennes» organisées, malgré leur interdiction, en juillet 2014 notamment à Paris et en Ile-de-France. Dans le même registre, les réactions qui ont suivi les meurtres de six personnes dont trois enfants juifs en 2012 par Mohammed Merah: l’imam bordelais Tareq Oubrou a expliqué avoir dû passer des semaines de prêche sur ce cas en raison de l’empathie pour Mohammed Merah que manifestaient les fidèles de sa mosquée ; le frère de Mohammed Merah, Abdelghani, a, quant à lui, témoigné des you-yous qui ont accompagné la mort de son frère et des félicitations que certains voisins sont venus présenter à leur mère, regrettant que Mohammed n’ait pas tué davantage de juifs. Mais cela remonte encore plus loin: Entre 1999 et 2000, année de la Seconde Intifada, le nombre d’actes antisémites a été multiplié par neuf, passant de 82 à 744. Depuis, il reste à un niveau extraordinairement élevé compte tenu du faible nombre de juifs en France, oscillant selon les années entre 400 et 900 environ, en fonction, surtout, des soubresauts du conflit israélo-palestinien. En 2002, la publication de «Les territoires perdus de la République», montre avec force témoignage la prééminence, l’ampleur et la violence de la haine à l’encontre des juifs dans certains quartiers sensibles. Ce ne sont ici que quelques exemples, parmi tant d’autres preuves qui s’accumulent depuis près de vingt ans maintenant. Pourtant, aucune de ces alertes n’a réussi à briser l’omerta politique et médiatique.
le rapport de l’Institut Montaigne sur « l’islam de France » publié en septembre 2016 indique que « l’antisémitisme était un marqueur d’appartenance » pour un quart des musulmans
Le meurtre atroce de Sarah Halimi n’a pas davantage rompu ce silence. La France est alors en pleine campagne présidentielle, les quatre candidats en tête des sondages sont dans un mouchoir de poche. Il faut soigner ses électeurs et, disons-le tout net, les juifs sont bien moins nombreux que les musulmans – moins de 500 000 contre près de 6 millions. De surcroît, le rapport de l’Institut Montaigne sur «l’islam de France» publié en septembre 2016 indique que «l’antisémitisme était un marqueur d’appartenance» pour un quart des musulmans et le sondage Fondapol de novembre 2014, que «Les musulmans répondants sont deux à trois fois plus nombreux que la moyenne à partager des préjugés contre les juifs. La proportion est d’autant plus grande que la personne interrogée déclare un engagement plus grand dans la religion.»
En ce début avril 2017, Emmanuel Macron est mis en difficulté par l’affaire Mohammed Saou. On vient tout juste de découvrir que ce référent «En Marche» du Val d’Oise a notamment partagé des posts Facebook de Marwan Muhammad, fondateur de «l’effrayant» – comme le dit Alain Finkielkraut – CCIF (Comité contre l’islamophobie en France, organe proche des Frères musulmans qui sont l’une des têtes de pont de l’islam fondamentaliste politique en France) ; qu’il soutient le régime d’Erdogan en Turquie ; qu’il a déclaré qu’il «n’a jamais été et ne serait jamais Charlie». Emmanuel Macron louvoie, écarte provisoirement Saou de ses fonctions tout en louant son travail remarquable et reporte la décision le concernant à celle de la commission éthique de son mouvement … Décision dont on n’entendra évidemment jamais parler. (Le même Saou vient d’ailleurs d’être réintégré dans ses fonctions départementales.) François Fillon, empêtré dans ses affaires de famille et de costumes, n’ose plus bouger une oreille de peur de perdre les quelques centaines de milliers de voix qui pourraient faire la différence pour une qualification au second tour. Jean-Luc Mélenchon fait de grandes déclarations sur la laïcité mais brigue sans aucune vergogne le vote communautariste musulman et s’entoure de qui il faut pour cela. (Pour preuve, quelques semaines plus tard, on apprendra que Danièle Obono, fraîchement élue députée de la France Insoumise, est proche du Parti des Indigènes de la République, groupuscule identitaire dont la porte-parole, Houria Bouteldja, s’est notamment illustrée en déclarant «Mohamed Merah, c’est moi, et moi, je suis lui». Ces révélations n’entameront en rien l’enthousiasme du soutien dont Madame Obono bénéficie de la part de Jean-Luc Mélenchon.) Dans cette collection de tartuffes, il n’y a que Marine Le Pen, pourtant l’héritière d’un parti fondé notamment par des antisémites à peine repentis, pour condamner – à une petite reprise, et sans non plus en faire son cheval de bataille – ce crime et demander que l’on aborde enfin le sujet de «l’antisémitisme islamiste».
Qu’on aborde enfin ce sujet? Effectivement, il serait temps. Mais qui osera encore le faire? Georges Bensoussan, historien de la Shoah, spécialiste du monde arabe, a payé très cher de l’avoir évoqué lors de l’émission «Répliques» d’Alain Finkielkraut au début du mois d’octobre 2015: tribunes extraordinairement violentes se multipliant pour condamner le soi-disant «racisme» des propos de Georges Bensoussan, émanant non seulement de l’habituelle police de la pensée politique innervée par la gauche universitaire mais également de cette frange d’intellectuels juifs (tels Bernard Schalscha dans la Règle du Jeu) qui estime sans doute qu’à force de faire comme si cet antisémitisme n’existait pas, il finirait bien par disparaître ; mise en garde du CSA adressée à France Culture ; et, finalement, procès à l’initiative du Parquet qui verra les principales associations antiracistes, y comris la Licra , communier avec l’islam politique représenté par le CCIF dans la dénonciation des propos de l’historien.
La relaxe de ce dernier est exemplaire, en particulier eu égard à sa motivation limpide. En soulignant qu’il s’agissait pour l’historien non pas d’exprimer une haine mais au contraire une inquiétude, d’appeler «non pas à une séparation de la fraction supposée avoir fait sécession, à son rejet, son bannissement ou son éradication, mais au contraire à sa réintégration dans la nation française», le tribunal a remis en quelque sorte les pendules de l’antiracisme à l’heure et entendu Alain Finkielkraut qui, s’exprimant à la barre, avait déploré «un antiracisme dévoyé qui demande de criminaliser une inquiétude au lieu de combattre la réalité sur laquelle elle se fonde»: lutter contre le racisme, permettre l’intégration au sein de la nation de populations de cultures étrangères, cela commence par combattre ce qui constitue un obstacle à cette intégration et, en la matière, la fatalité n’existe pas.
Cet antisémitisme n’est pas né du conflit israélo-palestinien, il s’en nourrit. Ce conflit ne crée pas cette haine, il n’augmente pas son intensité
Il semble qu’il soit en vérité aujourd’hui politiquement très difficile de faire coexister, dans un même discours, lutte contre le racisme et contre l’antisémitisme. Les principaux coupables du second se recrutent parmi les principales victimes du premier. L’apparition de cet antisémitisme, nouveau sous nos cieux, s’inscrit dans une recrudescence puissante du fondamentalisme musulman qui n’épargne pas la France. Cette recrudescence ne se traduit pas que par des attentats effroyables mais, comme le dit Elisabeth Badinter, par l’apparition d’ «une seconde société» qui «tente de s’imposer insidieusement à notre République, tournant le dos à celle-ci, visant explicitement le séparatisme voire la sécession.»
L’hostilité de cette contre-société ne concerne pas uniquement la laïcité, elle vise beaucoup plus largement nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Car point d’égalité dans une contre-société fondamentaliste qui se définit sur un principe identitaire, pour laquelle l’individu musulman, la oumma, le dar al islam sont supérieurs à tout autre individu, communauté ou nation non musulmane. Point de fraternité universelle mais une fraternité réduite à une communauté des croyants qui se définit en conflit avec l’Occident en général et la France en particulier. Point de liberté dans un groupe qui fonctionne sur un mode clanique, imposant à chacun de ses membres la soumission à Dieu, à l’islam, à ses dogmes et à ses combats, en ce compris le positionnement conflictuel vis-à-vis de la civilisation occidentale. Cet islam politique ne reconnaît pas une seule et même humanité mais des humanités différentes. Certains hommes valent plus que d’autres à ses yeux. Et dans les formes paroxystiques de ce fondamentalisme religieux, certains hommes ne valent rien.
On comprend dès lors très bien pourquoi l’antisémitisme prospère au sein de cet islam fondamentaliste. Il n’est qu’une des formes d’un rejet de l’autre qui est consubstantiel à cet islamisme et qui se décline aussi sous la forme de racisme, de xénophobie, d’homophobie, de sexisme.
La haine du juif reste cependant la plus intense. D’aucuns attribuent celle-ci au conflit israélo-palestinien, à la politique israélienne et notamment à la poursuite des installations israéliennes en territoire palestinien. Mais ils ne savent pas ou prétendent ne pas savoir qu’il plonge ses racines dans une histoire beaucoup plus ancienne. Dans son livre de référence «Juifs en pays arabes – Le grand déracinement: 1850-1975», Georges Bensoussan rapporte la violence de cet antisémitisme dans les pays arabes et ce, de temps immémoriaux ; il explique comment, du Maghreb à l’Irak et de l’Egypte au Yémen, la vie de dhimmitude des juifs dans le monde arabe n’avait rien à envier, en termes d’oppression subie, de misère imposée, de sous-citoyenneté, d’humiliations et occasionnellement de pogroms, à celle des juifs dans l’empire des tsars. Cet antisémitisme n’est pas né du conflit israélo-palestinien, il s’en nourrit. Ce conflit ne crée pas cette haine, il n’augmente pas son intensité ; en revanche, en lui procurant le soutien de toute une gauche qui, comme le démontre Jean Birnbaum, ne comprend décidément rien au fait religieux, il légitime son expression. En mettant ses réseaux, sa culture, sa verve, son accès aux médias, sa place privilégiée à l’université et dans le monde de la recherche au service des combats arabo-musulmans, tant en France qu’à l’étranger, la gauche – extrême, morale, «antiraciste» par psittacisme plutôt que par conviction – n’est pas seulement bête, elle est extraordinairement néfaste. Elle fournit à nos adversaires (dont elle se refuse à voir qu’ils sont aussi, et d’une certaine manière surtout, les siens) une façade humaniste que leurs motifs et leurs buts n’ont pas. Nos alliances avec l’Arabie Saoudite ou le Qatar, nos interventions militaires ratées au Moyen-Orient, la colonisation des XIXème et XXème siècles sont elles aussi instrumentalisées pour justifier ce qui est présenté comme une résistance légitime à l’oppression. Mais encore une fois, ce sont nos cerveaux occidentaux qui sont sensibles à ces disputatio brillantes, argumentées, rationnelles ; dans l’esprit conquérant de l’islam politique, le combat contre l’Occident n’a pas besoin de ces justifications.
Le soutien de ces «idiots utiles» est en grande partie la cause du silence de l’Etat sur l’antisémitisme des «quartiers». Car malgré sa faible représentativité électorale, cette gauche est extrêmement influente dans les corps intermédiaires, elle a ses entrées dans un grand nombre de médias, est passée maître dans l’art de manipuler des éléments de langage droits-de-l’hommistes dégoulinants de pathos. Aujourd’hui, il est permis de dire certaines choses qui, il y a vingt ans, dix ans, voire même cinq ans eurent valu à leurs auteurs le pilori de la part de la gauche morale: on peut dire qu’il est possible d’être d’extrême-droite sans être antisémite ; on peut même dire qu’il existe un antisémitisme d’extrême-gauche ; mais on ne peut pas encore dire qu’il existe un antisémitisme arabo-musulman. Pour en parler, il est plus prudent de faire référence au «nouvel» antisémitisme et rester dans les allusions, les périphrases et les sous-entendus. A la moindre erreur, à la moindre référence trop directe, la cabale obscurantiste de ces inquisiteurs modernes se déchaîne et le contrevenant est immédiatement envoyé rôtir dans l’enfer du racisme, sans qu’aucun gage de sa moralité et des motivations réelles, aussi irrécusable soit-il, ne puisse l’en sortir. Car répondre à des accusations aussi graves et se justifier demande des explications longues, à étapes, incompatibles avec l’immédiateté des médias et leur incapacité à traduire la subtilité et la complexité. Et on le sait bien, le démenti a beaucoup moins d’impact que l’accusation: une fois que le doute plane, c’est mort, et nos responsables politiques l’ont compris depuis longtemps.
Le meurtre de Sarah Halimi doit être compris comme une alarme qui nous rappelle à nous-mêmes, à ce qui nous définit. Cette inertie est indigne de nous.
«Plus une société s’éloigne de la vérité, plus elle hait ceux qui la disent» nous prévenait George Orwell. L’incapacité politique de désigner cet antisémitisme pour ce qu’il est interdit d’en faire l’analyse historique, anthropologique et religieuse et par voie de conséquence, d’entreprendre les actions spécifiques et ciblées qui seraient nécessaires pour le vaincre. La France s’enfonce chaque jour un peu plus dans une politique multiculturaliste à relents – involontairement, mais inévitablement – racialistes. Racialistes pour ne pas dire racistes car cette attitude culturaliste qui prétend être inspirée par le respect de cultures différentes n’est rien d’autre que l’abandon à bas bruit de notre modèle d’intégration, jugé inaccessible pour ces populations, présumées, par nos responsables politiques chaperonnés par une partie de nos associations antiracistes, comme incapables de sortir de leurs modes de pensée et de fonctionnements archaïques. On a renoncé à aider ces populations, à leur tendre la main. En abandonnant les juifs, on a aussi abandonné ces dernières et, ce faisant, nous nous sommes perdus nous-mêmes.
Le meurtre de Sarah Halimi doit être compris comme une alarme qui nous rappelle à nous-mêmes, à ce qui nous définit. Cette inertie est indigne de nous. La France, pays des Lumières, berceau des valeurs universelles des droits de l’homme, ne peut pas être un pays où les juifs se font agresser et tuer, parce que juifs, dans l’indifférence générale. Nous sommes tous héritiers d’une histoire, nous sommes tous comptables d’un héritage qui va de Salomon de Troyes à la France de Vichy en passant par l’émancipation des juifs en 1791 (que la France a été la première en Europe à consentir) et par l’affaire Dreyfus. Par respect pour ce que nous sommes, pour ce que nous nous targuons de représenter, nous n’avons pas le droit d’assister sans réagir à la montée de la haine contre nos concitoyens juifs. Il en va de notre admiration pour la France et, en définitive, de notre fierté d’être français.
Source :

http://premium.lefigaro.fr/vox/societe/2017/07/14/31003-20170714ARTFIG00092-l-affaire-sarah-halimi-et-le-tabou-du-nouvel-antisemitisme.php

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