Quatre ans après son départ fracassant du Monde, la liberté retrouvée de Xavier Gorce

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Le dessinateur, créateur des célèbres « indégivrables », ces créatures à bec pointu qui vivent sur la banquise, publie un nouvel ouvrage et revendique plus que jamais son indépendance.
De prime abord, il présente la figure bonhomme d’un artiste cherchant à se faire discret. Crâne dégarni, barbe courte, lunettes cerclées et veste sombre, on pourrait donner à Xavier Gorce le bon Dieu sans confession. Pourtant, dès qu’il prend la plume, ce redoutable dessinateur de presse peut, d’un trait bien placé, atteindre en plein cœur l’actualité de notre monde tel qu’il va. Un vrai Robin des bois graphique !
Créateur immarcescible des « indégivrables », ces Pingouins si proches des hommes qu’on a longtemps vu s’égayer dans le journal Le Monde, Gorce vient de publier un nouvel ouvrage contant les mésaventures de ses chères créatures au bec pointu. « Dans ce recueil thématique, je m’amuse à réfléchir sur les hommes, les femmes et les autres, sourit-il, les yeux mi-clos. Traiter du genre m’a paru être une tendance lourde qui plane actuellement au-dessus de nos têtes. Dans mes précédents livres, j’avais abordé le réchauffement climatique, les fake news et le culte de la personne. »

Ironie mordante et humour à froid
Cela fait maintenant quelques décennies que ce graphiste affûté, maniant l’ironie mordante aussi bien que l’humour à froid, arpente les allées balisées du dessin de presse. « Être dessinateur de presse, pour moi, c’est une manière de réfléchir sur la société en utilisant un dessin rapide, cursif voire corrosif, analyse-t-il. Le paradoxe de mon trait, c’est qu’il dit des choses précises et défend des idées abouties par le biais d’esquisses parfois jetées en quelques secondes. Chez moi, le dessin a fini par se résumer à quelque chose de plus en plus épuré. L’économie de moyens et la répétition du motif transforment mes gags en un exercice assez amusant. Un vrai défi. »

Gorce garde le souvenir d’avoir toujours dessiné. « Depuis l’enfance, je n’ai jamais cessé d’aimer ça, raconte-t-il. Mon père était ingénieur agricole et ma mère était femme au foyer. Je me souviens du tout premier dessin que j’ai fait et que je conserve encore dans mes archives. Nous étions en vacances dans le Morbihan. C’était en juillet 1969. J’avais 7 ans et j’ai reproduit l’alunissage d’Apollo 11 sur la surface lunaire avec le LEM et les astronautes. C’est en quelque sorte mon premier dessin d’actualité. »
En primaire, l’élève Gorce fait le portrait de son instituteur en classe. « Le dessin lui a tellement plu qu’il l’a finalement gardé pour lui, se rappelle-t-il en souriant. J’ai été très marqué par le fait qu’il m’a chipé mon dessin. Comme dans le Citizen Kane d’Orson Welles , c’est peut-être mon “Rosebud”, ma luge disparue à moi… »
À l’adolescence, impressionné par le travail de Moebius, puis passionné par les grands illustrateurs tels Roland Topor, Tomi Ungerer ou André François, le jeune Xavier Gorce se destine d’abord à une carrière de dessinateur de BD. Après avoir fait son service militaire, suivi les cours d’une faculté d’arts plastique et même pris des cours de calligraphie chinoise, l’apprenti dessinateur commence à faire le tour des rédactions avec son carton à dessins sous le bras.

Le jeune homme tente sa chance et propose ses illustrations à tout va. Le dessin à texte a ses faveurs, la caricature aussi. « Je ne crois pas avoir un talent particulier en dessin, confie-t-il. Je crois plus au travail qu’au talent. Au départ, nous avons des appétences. Ce sont grâce à elles que nous pouvons devenir bons dans les domaines qui nous intéressent. »

Au milieu des années 1980, l’illustrateur publie ses premiers travaux dans la revue Témoignage chrétien, puis intègre bientôt la rédaction de La Grosse Bertha, cet hebdomadaire satirique créé en 1991 au moment de la guerre du Golfe. « Ce fut une période très formatrice pour moi, reconnaît-il. Je travaillais avec des dessinateurs comme Cabu , Riss, Charb , Gébé, bref l’ancienne bande de Charlie Hebdo… » Lorsque le journal met la clé sous la porte, le dessinateur rebondit à Elle ou dans le groupe Bayard Presse.

«Mes pingouins ont un côté plus humain»
En 2002, il commence à travailler pour le journal Le Monde, en intégrant leur newsletter qui vient de se lancer. « Ils cherchaient un dessinateur pour faire un comic strip à l’américaine façon Peanuts ou Garfield, détaille-t-il. Quelque chose de très décalé par rapport à l’actualité. J’ai proposé un strip en trois cases avec des animaux. Au début, j’utilisais un corbeau philosophe, une tortue, des éléphants ou des hippopotames. À la manière de La Fontaine, je faisais le choix des personnages en fonction de ce que je voulais raconter. Quand je voulais évoquer l’agressivité et la puissance, je mettais en scène un rhinocéros… »
Un jour de 2005, Xavier Gorce commence à utiliser ses personnages de manchots. Très vite, il s’amourache de ces créatures un peu engoncées et maladroites, mais si attachantes. « C’était plus facile pour moi, constate-t-il. Mes pingouins ont un côté plus humain. Ils pouvaient porter des valises. Mis à part leur bec, ils possèdent le corps d’un homme avec des courtes pattes. Leur forme est très simple. »

Le succès est rapidement au rendez-vous. Les lecteurs du Monde apprécient. « On dirait des types en costume, note l’intéressé. En plus, pour les décors, un trait horizontal et c’est réglé. En bas, c’est la neige de la banquise et en haut c’est le ciel blanc. Bref, avec leur côté grégaire, leur comportement collectif, ces animaux des banquises collaient assez bien avec l’aspect satirique de mes histoires et mes gags. »

Une indépendance et une liberté retrouvée
En 2021, pour avoir fait un dessin satirique en référence à l’affaire Kouchner juste après la publication du livre accusateur La Familia grande dénonçant des actes incestueux, Xavier Gorce est pris dans une tourmente médiatique. Les responsables du Monde ne soutiennent pas leur dessinateur et publient des excuses publiques. « J’ai senti une nette rupture de confiance, avoue-t-il aujourd’hui. Alors j’ai annoncé sur Twitter que je cessais immédiatement ma collaboration avec Le Monde. Ma décision était personnelle, unilatérale et définitive. Pour moi, la liberté d’expression et l’humour dans le dessin de presse ne devraient pas être négociés ou sacrifiés face à la pression extérieure. J’ai arrêté sine die. Cela a provoqué un tollé monumental… »
Quatre ans plus tard, travaillant dorénavant en free lance et pour Le Point, Xavier Gorce savoure chaque jour son indépendance et sa liberté retrouvée. « Récemment, sourit-il avec malice, la préfète des Terres australes et antarctiques françaises, les Taaf, m’a contacté pour que je leur dessine la carte de vœux fêtant le 70e anniversaire de la création de l’entité. C’est tombé en même temps que les 20 ans de mes pingouins. C’était comme un signe. J’ai accepté bien sûr. Mais en échange, j’ai demandé à embarquer très bientôt sur le Marion Dufresne pour rejoindre l’archipel des îles Croset. J’ai très envie d’enfin partir à la rencontre de mes personnages… »
Source Le Figaro

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