Roger Maudhuy: «Molenbeek nage en plein complotisme!»

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VIDÉO – Trois mois après les attentats de Bruxelles, l’historien, qui a vécu cinq ans dans cette commune, retrace sa longue dérive vers le communautarisme.
Roger Maudhuy n’est pas un expert, ni en terrorisme, ni en sociologie. Il connaît Molenbeek pour y avoir habité plusieurs années, en avoir arpenté les rues et y avoir discuté avec beaucoup de gens. Historien, «folkloriste», comme il se définit, vivant aujourd’hui dans l’est de la France, il en livre un portrait saisissant. Si son livre -Molenbeek. Vingt-cinq ans d’attentats islamistes, Éditions Michalon, juin 2016- a le défaut d’être désordonné, il a le mérite d’être «cash». Par touches réalistes, Roger Maudhuy explique comment Molenbeek, commune bruxelloise, est devenu ce ghetto travaillé par le fondamentalisme musulman et ce repaire pour djihadistes.

LE FIGARO. – Trois mois après les attentats de Bruxelles, l’atmosphère dans le quartier de Molenbeek a-t-elle changé?
Roger MAUDHUY. – Si la situation a changé, c’est en pire! Non seulement trafics en tous genres et islam radical sont toujours là, mais, en plus, Molenbeek nage dans le complotisme. La grande majorité des jeunes est persuadée que les services secrets sont à l’origine des attentats, organisés par les Juifs, les Américains, les Français ou qui sais-je encore, pour nuire aux musulmans. À les entendre, la présence de GI américains dans le Thalys lors de l’attaque l’été dernier n’était pas fortuite. Des armes avaient sciemment été remises à Medhi Nemmouche avant l’attaque du Musée juif de Bruxelles. Les frères El Bakraoui (kamikazes des attentats du 22 mars dernier à Bruxelles, NDLR) ont été manipulés. Tout est revu à cette aune complotiste. Les jeunes passent leur temps à déclarer: «C’est la faute du Mossad», et on laisse dire, on laisse faire!
«La grande majorité des jeunes est persuadée que les services secrets sont à l’origine des attentats, organisés par les Juifs, les Américains, les Français ou qui sais-je encore, pour nuire aux musulmans»

Vous décrivez un Molenbeek englué dans le radicalisme et la délinquance depuis des années, voire deux décennies. Librairies islamistes semi-clandestines, marchandises de contrebande circulant quasi au grand jour en sont des illustrations?
Oui, et si j’ai pu pousser la porte de ces «librairies», les autorités sont forcément au courant de leur existence. Dans ces locaux discrets, on trouve de tout: Mein Kampf, le Protocole des sages de Sion, une France juiveavec photos, etc. Mais il y a aussi tous ces cafés où l’on vend au su et au vu de tout le monde des marchandises «tombées du camion». Des contrefaçons de vêtements de marque, des parfums de contrebande, des DVD piratés… Il y a plusieurs années, j’avais pris un verre dans un café, Les Béguines – dont je découvrirai plus tard que c’était celui des frères Abdeslam -, où s’empilaient les cartons de faux Lacoste dans des odeurs de haschisch. La drogue, peu de gens s’en cachent. S’ils pouvaient la mettre au menu, ils le feraient! Quant à la pression salafiste, elle s’exerce de toutes parts. Un cafetier musulman de la rue du Comte-de-Flandres m’a confié qu’il songeait arrêter la vente d’alcool tant les «barbus» lui créaient d’ennuis.

Une large partie de la population est originaire du Rif marocain. Quelles conséquences, selon vous, pour Molenbeek?
On ne peut, bien sûr, réduire la situation de Molenbeek à un seul facteur. Mais disons qu’existe dans le Rif une région à part au Maroc, une tradition de culture et de trafic du haschisch et d’arrangement avec la loi. Une tradition qui a pu être transplantée. Molenbeek, avec ses presque 100.000 habitants, est aussi la deuxième commune la plus pauvre et la plus jeune de Belgique. Les gens y vivent les uns sur les autres dans des immeubles autrefois habités par une seule famille belge et, aujourd’hui, séparés en petits appartements. Plus généralement coexistent deux Molenbeek dans une même commune. D’un côté, le ghetto du «Petit Maroc», de l’autre un Molenbeek beaucoup plus «présentable». Deux cents mètres à peine séparent ces deux quartiers.
«Molenbeek, avec ses presque 100.000 habitants, est la deuxième commune la plus pauvre et la plus jeune de Belgique»

Roger Maudhuy
Quelles réactions y suscite aujourd’hui le nom de Salah Abdeslam, impliqué dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris?
C’est partagé. Un «héros» ou un «lâche», parce qu’il ne s’est pas fait sauter le 13 novembre. Il a d’ailleurs été sifflé lors de son arrivée en prison. À dire vrai, comme l’a décrit son avocat, il a surtout le cerveau d’un «cendrier vide». En deux mots, c’est un c… Autre «enfant de Molenbeek», Abdelhamid Abaaoud(tué à Saint-Denis lors de l’assaut du Raid, NDLR) n’était pas très intelligent, mais avait du charisme. Pensez: soldat de Daech, il était revenu en Belgique chercher son petit frère pour en faire un «lionceau du califat».
Quelles sont les manifestations souterraines de l’islam radical?
Des radicaux qui viennent de Grande-Bretagne, très bien habillés, en grosses voitures de location, leurs papiers parfaitement en règle. Mais avec, dans leurs bagages, du matériel de propagande islamiste et des livres sterling plein les poches. Dans un autre genre, des contacts existent entre certains milieux gauchistes français et une frange de musulmans radicaux. Les Français viennent à deux ou trois, discrètement, aident à la rédaction de tracts.

Un climat où l’antisémitisme est omniprésent?
Au départ, c’est de l’antisionisme qui vire à l’antisémitisme. Au point que la plupart des Juifs établis à Molenbeek sont partis, chassés. À ma connaissance, il n’en reste qu’un à Molenbeek, un marchand de meubles. Mais le chef de l’opposition socialiste à Molenbeek a quand même osé traiter un expert en terrorisme d’«ordure sioniste».
«Pendant le ramadan, les forces de l’ordre étaient invitées à ne pas manger ou boire en public»
Roger Maudhuy

Vous dénoncez la gestion «clientéliste» de Philippe Moureaux, le bourgmestre socialiste de Molenbeek pendant vingt ans, de 1992 à 2012.
Son ancien directeur de cabinet dit lui-même que Philippe Moureaux s’était fait «rouler dans la farine par les “barbus”, idiot utile des forces moyenâgeuses de la commune». Moureaux était sans doute de bonne foi au départ: il préférait voir les petits délinquants à la mosquée qu’en prison. Mais il y a quand même eu beaucoup de déni, d’aveuglement et de concessions au communautarisme. Je veux bien que la Belgique, avec ses trois langues officielles, ses six parlements et six gouvernements pour un territoire grand comme la Bourgogne, ait la culture du compromis, mais à ce point! Un exemple: un jour, la police de Molenbeek décide de lancer une razzia contre les contrefaçons et arrête un certain nombre de petits trafiquants. Consigne est ensuite donnée de «relâcher les Arabes pour ne pas provoquer les musulmans», m’a confié un enquêteur. Autre témoignage d’un de ses collègues: pendant le ramadan, les forces de l’ordre étaient invitées à ne pas manger ou boire en public.
Que se passe-t-il quand les petits délinquants que vous décrivez arrivent à l’âge adulte? Rentrent-ils dans le rang?
La plupart, s’ils se marient et ont des enfants, s’assagissent. La tranche d’âge critique, ce sont les 15-25 ans. J’ai connu un type qui était un fou furieux il y a une dizaine d’années et qui travaille aujourd’hui. De même, un autre, parti se battre en Somalie, qui s’est réintégré. Mais il faudrait mettre le paquet et introduire une vraie mixité sociale, à coups de bulldozers, si l’on veut sauver Molenbeek. Et encore, les plus dangereux ne sont pas les plus défavorisés: Abdeslam tenait un café et Abaaoud un magasin de vêtements que sa famille lui avait offert quand il est sorti de prison.
Source :
http://premium.lefigaro.fr/international/2016/06/23/01003-20160623ARTFIG00285-roger-maudhuy-molenbeek-nage-en-plein-complotisme.php

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Roger Maudhuy (né en 1960) est un historien et folkloriste spécialiste de la littérature orale et la littérature fantastique du XIXe siècle, résidant à Sedan. Son recueil Contes et légendes de la Champagne et des Ardennes a reçu le prix Claude Seignolle de Littérature orale en mai 2004.
Il est aussi journaliste et correspondant de grands journaux du Canada français (Le Droit, L’Appel, Le Soleil, Le Devoir, Le Journal de Montréal), des États-Unis (Chicago Tribune et Los Angeles Times), ainsi que de quotidiens ou hebdomadaires belges, ukrainiens, roumains, bulgares, macédoniens, bosniaques, japonais et israéliens. Il donne aussi régulièrement des chroniques à Historia, La Nouvelle Revue Lorraine et Mythologie(s).

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2 Commentaires

  1. Bellar dit :

    Bientôt aussi en francarabia, si ce n’est déjà en route dans certains quartiers, ou certaines villes ( Roubaix…)

  2. Claude dit :

    Et bien chez moi, en France, en banlieue parisienne, c’est exactement le même décor !!!!

    Lorsque l’on va au marché , l’on dit que l’on va à …..Bab el Oued !

    Rien à envier vraiment à Molenbeck .

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