«Blanchité», «racisé», «racisme d’Etat» :ces concepts qui légitiment le néoracisme
FIGAROVOX/TRIBUNE – Naëm Bestandji revient sur le stage en «non-mixité raciale» organisé par Sud Education 93. Il dénonce l‘invasion des thèses néoracistes, véhiculées par les Indigènes de la République, dans les universités françaises et défendues dans les colonnes de Libération.
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Naëm Bestandji est militant féministe et laïc.
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Le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est offusqué des termes «blanchité», «racisés» ou «racisme d’État» utilisés par le syndicat Sud Éducation 93 pour son prochain stage «racialiste». Diverses tribunes ont été publiées dans Libération pour recadrer le ministre. Ce qui appelle un autre recadrage.
Je suis évidemment d’accord sur le fait que tout peut être objet de recherche scientifique et de réflexion intellectuelle. L’avancée de la pensée, l’étude des phénomènes passés et présents, ne doivent pas être empêchées par des décisions politiques. Le racisme n’a pas disparu. Il faut étudier ses mécanismes et ses évolutions. Seulement nous ne sommes pas là dans un cadre de recherche scientifique mais dans un stage organisé par un syndicat qui prévoit de faire intervenir des militants d’extrême droite pour véhiculer une idéologie. Si cela était autofinancé, il n’y aurait pas grand-chose à en dire en dehors du débat contradictoire que nous mènerions afin de toujours lutter contre ce néoracisme. Mais ce stage est financé par cet État «raciste», destiné à des enseignants qui transmettront ces idées aux élèves. C’est ce qui est inadmissible et dangereux.
Les tribunes reconnaissent que les races biologiques n’existent pas. Elles affirment, recherches scientifiques à
Les tribunes affirment, recherches scientifiques à l’appui, que le racisme est social.
l’appui, que le racisme est social. Les mots dénoncés par le ministre auraient été choisis par des sociologues pour éviter le piège de l’essentialisation afin de rendre «dicible» l’objet étudié. Or, c’est bien l’inverse qui se produit et c’est bien là que le clivage se crée entre militants antiracistes.
Attribuer une couleur de peau, la «blanchité», comme dénomination à un système d’oppression supposé et étudié, lui coller un épiderme, ne peut qu’amener à des réactions épidermiques de la part de militants et intellectuels qui reconnaissent là une forme de racisme. Des réactions proviennent également de ce que j’appelle l’extrême droite traditionnelle (pour la différencier de la nouvelle extrême droite qui soutient ces thèses) dont les idées de ces tribunes nourrissent la matrice. L’utilisation des termes «blanchité», «racisé, «islamophobie» ou «racisme d’État», déforme et détourne l’attention de l’objet vers son emballage sémantique. Les scientifiques et les partisans de ces thèses devraient se poser la question du décalage créé entre signifiant et signifié par les dénominations utilisées pour définir les phénomènes étudiés. Au lieu de cela, ils pointent du doigt leurs détracteurs pour se dédouaner de cette faiblesse intellectuelle.
Ces termes inquiètent légitimement car la recherche scientifique est instrumentalisée à des fins idéologiques que nous retrouvons dans ce stage. Le concept scientifique, ayant choisi des dénominations inappropriées, devient un slogan politique par l’instrumentalisation de ces confusions. Nous passons d’un objet de recherche sur les mécanismes du racisme à une construction idéologique qui définit un racisme d’État structurel, pensé, organisé et légalisé par des «Blancs». Les Indigènes de la République et l’islamisme politique sont les fers de lance de cette construction. Leur objectif n’est pas de lutter contre le racisme. Il est de se servir des recherches universitaires, et d’investir l’université pour se donner une légitimité académique, afin de lutter contre la République et ses valeurs.
L‘objectif des Indigènes de la République et de l’islamisme politique est d’investir l’université pour se donner une légitimité académique, afin de lutter contre la République et ses valeurs.
Tous leurs maux trouveraient leur explication dans la «blanchité» et l’histoire coloniale. La couleur de peau d’un être humain devient l’unique explication de ce qu’il peut subir ou faire subir à autrui. Un Blanc est considéré comme comptable de toute l’histoire coloniale de ses aïeux… ou des aïeux des autres. Les féministes qui luttent contre les islamistes et le sexisme du voile seraient les représentantes du «féminisme blanc». Les militants antiracistes qui luttent contre cette nouvelle extrême droite seraient des racistes blancs néocoloniaux refoulés. Les musulmans ou «Maghrébins» qui préfèrent l’universalisme au communautarisme sont traités de «néoharkis», de traîtres, etc.
Ce détournement de la recherche scientifique vers un néoracisme victimaire se manifeste dans ce stage par les intitulés des ateliers proposés et la volonté d’organiser deux d’entre eux en non-mixité «raciale». Là encore cette démarche d’apartheid est uniquement idéologique à des fins racistes. Mais allons dans ce sens: aucun atelier n’est prévu pour réfléchir à la lutte contre l’antisémitisme dans les quartiers populaires. Aucun atelier séparé n’est prévu pour les «racisés» victimes d’actes et propos racistes d’autres «racisés». Il est vrai qu’il devient ici difficile de prendre le taux de mélanine comme critère… Ces discriminations intracommunautaires ne sont pas moins graves ni moins rares. Elles sont simplement taboues.
Il est juste de dire que le ministre maîtrise peu le sujet. Il ne s’est pas penché sur le profil des intervenants, élément tout aussi important que le contenu.
Nous avons Nacira Guenif, une sociologue qui considère qu’«espèce de juif» n’est pas une insulte, que cela relève du «langage courant». Nous avons également Fatima Ouassak, pur produit de la nouvelle extrême droite française, militante des Indigènes de la République. Elle tient des discours populistes et racistes envers les «Blancs» et les musulmans qui ne correspondent pas à son modèle. Musulmans censés être représentés dans ce stage par un autre militant d’extrême droite, Marwan Muhammad. Cet islamiste applique les théories des Frères Musulmans sur la racialisation de l’islam. Ces intégristes ont besoin des idées défendues par ces tribunes pour faire avancer leur idéologie. A travers cela, le musulman, fidèle d’une religion choisie, devient le Musulman, membre d’un peuple déterminé. «Les musulmans» formant un tout uniforme sont alors considérés comme à la fois victimes d’un «racisme d’État» comme le furent les juifs dans l’Allemagne des années 30 (sophisme pour comparer la France d’aujourd’hui au nazisme d’hier et hisser «l’islamophobie» au niveau de l’antisémitisme) tout en formant un peuple supérieur qui a vocation à diriger le monde. Marwan Muhammad interviendra lors de ce stage pour parler de «l’islamophobie dans l’Éducation Nationale»… Ce n’est pas un cas isolé. Les Frères Musulmans ont investi une partie du milieu universitaire. Les mouvements comme Sud Éducation 93 leur sont une aubaine.
Ils développent ainsi les clivages et les tensions dans la société. Ils créent une nouvelle forme de racisme tout en entretenant le racisme «traditionnel». Cela se manifeste sur les réseaux sociaux, dans leurs meetings et manifestations par des termes haineux envers les «Blancs», mais aussi envers les musulmans qui se désolidarisent de ce communautarisme. Les «bougnoules de services», «sale sioniste» (mot choisi pour ne pas dire «juif») et autre «rebeu fidèle à ses maîtres» (»beur fidèle aux Blancs») sont fréquemment utilisés par des «racisés» qui se présentent comme victimes d’un «racisme d’État néocolonial». A trop jouer les victimes, ils oublient qu’ils sont aussi des oppresseurs.
Ce stage résume toutes ces problématiques. Il véhicule une idéologie. Il n’expose pas un sujet de réflexion scientifique s’interrogeant sur des phénomènes. Les termes «blanchité», «racisme d’État», «racisé», «islamophobie» sont considérés comme acquis. Un autre effet pervers d’une telle approche est la hiérarchisation des luttes. On préfère occulter le racisme et le sexisme du voile pour donner la priorité à la lutte contre les discriminations envers «les musulmans» (dévoyée par le terme «islamophobie»). On préfère occulter l’homophobie et l’antisémitisme d’une partie des «racisés» pour les mêmes raisons. Le patriarcat religieux devient acceptable pour permettre la lutte contre le patriarcat «blanc». Les discriminations intracommunautaires sont étouffées pour uniquement mettre en lumière les discriminations ethnico-religieuses provenant des «Blancs», etc.
Cette extrême droite développe un néoracisme, par le bas, victimaire, qui considère l’autre comme oppresseur.
Cette extrême droite développe un néoracisme sous un nouvel angle, grâce au concept soutenu par les tribunes publiées dans Libération. Ce n’est plus un racisme par le haut où l’autre est considéré comme inférieur. C’est un racisme par le bas, victimaire, qui considère l’autre comme oppresseur.
Cette position adoptée par ce stage est dangereuse. Elle ne vise pas à construire des citoyens français à part entière. Elle vise à séparer les individus en fonction de leur «ethnie» (la religion devenant aussi une ethnie telle que souhaitée par les intégristes) et à la différentialisation des droits.
A travers ce type de stages destinés à des enseignants, où l’on fait passer l’idée qu’il existe des «racisés» éternelles victimes d’un «racisme d’État» où les «Blancs» sont des oppresseurs du «peuple musulman», vers quel genre de citoyenneté espérons-nous amener les élèves?
Ce débat dépasse donc la querelle sémantique. Il oppose deux modèles de société. Un modèle à l’américaine où chaque communauté supposée devrait lutter pour ses propres intérêts, vivre côte à côte avec les autres communautés en assignant les individus à un groupe, avec toutes les dérives que cela comporte et la satisfaction des islamistes. D’un autre côté il y a notre modèle universaliste français, un idéal à préserver car le seul respectueux de chaque être humain.
Source :
happywheels