Laurent Joly : «Tuer un dessinateur et tuer un juif, c’est s’attaquer à la liberté qu’ils symbolisent»

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Par Virginie Bloch-Lainé
Spécialiste du régime de Vichy, l’historien réaffirme le caractère antisémite de l’attentat contre l’Hyper Cacher en janvier 2015, et alerte sur la persistance de tels préjugés au sein de la société française.

Ce lundi, le procès des attentats de janvier 2015 doit aborder l’acte terroriste antisémite du vendredi 9 janvier, qui s’est déroulé dans l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Amedy Coulibaly, un délinquant qui se réclame de l’Etat islamique, a assassiné la veille une policière municipale à Montrouge. La police le recherche. Le vendredi, vers 13 heures, il pénètre dans l’Hyper Cacher et prend 17 personnes en otages. Lourdement armé, il en assassine 4. Auteur notamment de l’Etat contre les juifs, dont l’édition poche paraît chez Flammarion, l’historien Laurent Joly est spécialiste de l’antisémitisme sous le régime de Vichy. Il était aussi à l’époque un collaborateur occasionnel de Charlie Hebdo. Il analyse ici la place du procès de l’Hyper Cacher dans une succession de procès d’actes antisémites, et situe Coulibaly dans une lignée d’assassins.
Quels étaient vos liens avec «Charlie Hebdo» au moment des attentats de 2015 ?
D’abord ceux d’un lecteur et abonné fidèle. On oublie parfois quel journal extraordinaire était Charlie, avec des plumes comme Cavanna (mort un an avant les attentats), Bernard Maris ou Philippe Lançon, des dessinateurs géniaux, Cabu, Catherine, Riad Sattouf, Wolinski, etc. A partir de 2010, j’ai eu la chance d’écrire de temps en temps dans mon journal favori. Riss et Maris s’intéressaient beaucoup à Vichy, au drame de la Shoah. En décembre 2014, je préparais une double page sur l’affaire Dreyfus qui devait sortir courant janvier 2015, mais que Charb, par gentillesse, pour faire un peu de publicité aux deux ouvrages dont je parlais, avait accepté de passer juste avant les fêtes de fin d’année…

Qu’a de singulier ce procès par rapport aux autres procès d’actes antisémites ?
Avant tout, son dispositif, qui évoque celui des grands procès des années 80-90 pour crimes contre l’humanité (ceux de Barbie, Touvier et Papon) ou plus récemment contre les génocidaires des Tutsis (Simbikangwa, Ngenzi, Barahira). Sur le plan des faits jugés, c’est bien sûr le procès d’Abdelkader Merah [le frère du terroriste Mohamed Merah qui a assassiné sept personnes, dont trois enfants, à Toulouse en mars 2012 ndlr] et de Fettah Malki [qui a fourni une arme et un gilet pare-balles à Mohamed Merah, ndlr], en 2017 et 2019, qui s’en rapproche le plus. On y retrouve la même volonté de mettre en exergue le rôle obscur, minable mais décisif des seconds couteaux qui apportent l’aide indispensable à l’accomplissement du crime ; la même volonté de faire le procès d’une idéologie meurtrière. Ce procès est intégralement filmé, pour l’histoire, il s’étend sur plus de deux mois, bénéficie d’un écho médiatique exceptionnel. On est donc bien dans une configuration proche des grands procès pour crimes contre l’humanité, malgré la proximité temporelle, l’absence des principaux accusés.
Des victimes sont présentes…
Oui, et c’est d’ailleurs un troublant signe du destin de voir Riss à la barre croqué par des dessinateurs de presse : il est l’un des rares journalistes à avoir suivi, en 1997-1998, l’intégralité du procès Papon, procès cathartique s’il en fut – il en a tiré un formidable reportage dessiné, tout entier du côté des victimes, moquant les palinodies de la défense et le culot ombrageux de l’accusé. Les similitudes avec le procès Touvier me frappent aussi. Cet ex-voyou devenu catholique ultra, vaguement proxénète avant de trouver sa voie dans la Milice, a été jugé en 1994 à Versailles pour l’assassinat de sept juifs, abattus froidement en juin 1944 à Rillieux en représailles à l’exécution par la Résistance du propagandiste milicien Philippe Henriot. Ces sept hommes n’étaient pas résistants. La seule chose qu’on leur reprochait, et pour laquelle ils sont morts, est qu’ils étaient juifs. C’était juste sept juifs ordinaires, un commerçant, un maroquinier, un artisan, etc., qui attendaient fébrilement la Libération après quatre années de persécution. Ces sept juifs de Rillieux, c’était, à 70 ans de distance, les clients de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, c’était Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada… Pour Touvier, comme pour Coulibaly, ces parfaits innocents symbolisaient la figure honnie et fantasmée du juif, symbole par excellence de la démocratie détestée pour l’un, de l’Occident exécré pour l’autre…

Quel effet a, sur ce procès, son imbrication dans le procès de la tuerie de Charlie Hebdo ?
Les deux affaires sont évidemment liées. Elles l’étaient dans l’univers mental des tueurs. En s’en prenant à un journal satirique et à des juifs, c’est la liberté tout simplement qu’ils ont visée et qu’il faut défendre – la liberté de vivre sa religion pacifiquement (la plupart des victimes de l’Hyper Cacher se préparaient tranquillement à faire le shabbat) et celle de moquer, de critiquer les religions.
Mais pourquoi est-ce la religion juive qui a été visée au nom de la liberté de vivre sa religion ?
Le totalitarisme islamiste ne se limite bien sûr pas aux juifs, même si la figure du juif concentre sur elle le maximum de haines et de préjugés. Les chrétiens aussi sont visés. Rappelez-vous l’attentat de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray, dont les similitudes avec celui de l’Hyper Cacher sont frappantes. Le père Jacques Hamel a été assassiné et il s’en est fallu de peu que quatre autres fidèles pris en otages soient assassinés – l’un d’eux a été gravement blessé. Ailleurs dans le monde, de nombreux chrétiens ont été victimes de jihadistes et continuent de l’être.

Quelles sont, selon vous, depuis cinq ans, les conséquences de cette tuerie antisémite sur l’antisémitisme en France ?
On a fait grand cas en février 2019 de l’enquête Ifop pour l’hebdomadaire Marianne sur «les Français et l’antisémitisme». Elle révélait un résultat spectaculaire : 66 % des personnes interrogées approuvaient la proposition : «Les juifs sont injustement attaqués quand les choses vont mal», alors qu’elles n’étaient que 46 % à l’automne 2014 – enquête Ifop-Fondation pour l’innovation politique. Cet écart de 20 points est forcément significatif. Assurément, il atteste d’une prise de conscience liée à l’attentat de l’Hyper Cacher et à d’autres drames à caractère antisémite qui ont marqué l’actualité, comme l’assassinat de cette dame âgée, Mireille Knoll, à Paris en mars 2018. A part cela, le sondage de 2019 enregistrait une baisse sensible des préjugés antisémites. C’est un petit progrès. Encore faut-il noter que ceux-ci étaient en recrudescence selon les résultats de l’enquête de 2014. Par exemple, 21 % des sondés affirmaient leur hostilité à ce qu’un juif soit président de la République, contre 17 % en 2005 (sondage Sofres), tandis qu’environ 22 % des personnes interrogées considéraient que les juifs ont trop d’influence dans l’économie, la finance, les médias et la politique, contre 20 % selon la Sofres en 2002. En 2019, on obtient une moyenne de 18 %. Cela reste relativement haut, alors même que, dans les relations sociales concrètes et ordinaires entre les gens, l’antisémitisme paraît résiduel en France, si l’on se fie à ce que disent les sondés. C’est un phénomène bien connu des historiens, et qu’on a pu observer pendant la Seconde Guerre mondiale en France : la persistance des préjugés antisémites peut ne pas être incompatible avec un environnement social globalement favorable aux persécutés et une indignation largement partagée lorsqu’on porte atteinte à la vie des juifs.
Cette tuerie de l’Hyper Cacher confirme-t-elle ou pas, dans l’opinion publique, l’existence d’un antisémitisme musulman qui passe à l’acte ?
L’idée s’est enracinée dans l’opinion, et plus particulièrement dans la communauté juive, que l’antisémitisme islamique tue en France, alors que le vieil antisémitisme français d’extrême droite est devenu inoffensif. On oublie qu’au-delà de l’antisémitisme d’Etat de Vichy aux conséquences meurtrières bien connues, ce vieil antisémitisme avait engendré des monstres comparables à Merah, aux frères Kouachi, à Coulibaly, avec ces jeunes miliciens, voyous endoctrinés aux théories fascisantes, qui assassinèrent des dizaines de citoyens juifs dans la France de 1944 dans un contexte de quasi-guerre civile. Les crimes insoutenables de Merah en 2012, comme de Coulibaly en 2015, relèvent eux aussi de l’imaginaire et du projet de guerre civile. Dans les deux cas, il y a un terreau favorable. Encore aujourd’hui, quand on examine les options politiques des sondés, c’est dans l’opinion d’extrême droite que les préjugés antisémites restent les plus forts. Par ailleurs, c’est chez les sondés se déclarant musulmans pratiquants que les marqueurs d’antisémitisme sont de loin les plus élevés (chez les catholiques pratiquants, les marqueurs sont supérieurs à la moyenne, mais dans une proportion moindre que chez les musulmans pratiquants, les préjugés visant surtout les «étrangers» et les «Maghrébins»).

Cette tuerie n’a-t-elle pas été oubliée ? Lorsqu’il est question des attentats de 2015, elle est parfois passée sous silence.
La tuerie de Charlie a marqué les esprits bien sûr, pour des raisons évidentes : l’impact mondial de l’événement, la personnalité des assassinés – presque tous les Français de plus de 35-40 ans connaissaient Cabu et Wolinski, qui étaient très populaires. Mais elle n’écrase pas tout. Les gens de Charlie sont les premiers à toujours parler des autres, les quatre assassinés de l’Hyper Cacher ainsi que les deux policiers et la policière abattus dans l’exercice de leurs fonctions. Ce procès-fleuve peut avoir la vertu de rappeler au grand public que tuer un dessinateur et tuer un juif, c’est la même chose. Dans les deux cas, c’est s’en prendre à des innocents, pour ce qu’ils symbolisent : les valeurs d’un pays qui, l’un des premiers au monde, a émancipé les juifs et promu la liberté de la presse.
Source :

https://www.liberation.fr/debats/2020/09/20/laurent-joly-tuer-un-dessinateur-et-tuer-un-juif-c-est-s-attaquer-a-la-liberte-qu-ils-symbolisent_1800016

happywheels

3 Commentaires

  1. Avi dit :

    C’est un historien rigoureux, ces travaux sont très précis.
    Son livre  » dénoncer les juifs » en dit long sur la période du régime de Vichy.

  2. Franccomtois dit :

    Moi qui aime lire et m´instruire sur l´histoire,je vais commander un livre de ce monsier et le commentaire d´Avi m´y encourage.
    Dans tout les cas bien content de retrouver les commentaires.

  3. benjamin dit :

    on vend des produits annoncès tres efficaces :antipoux destinès a exterminer les poux !des produits antimoustiques pour exterminer les moustiques!ou encore antimousses pour un resultat spectaculaire!et quid donc de tous ces mouvements ici en France annoncès: antisionistes !ouvertement et légalement installès dans le paysage français y inclus bien entendu chez la plupart des journaleux farnçais !!toujours aussi stupides dhimmis !!c est bien pour promouvoir l extermination totale des sionistes donc des quelque six millions de juifs israéliens TIENS TIENS CELA RAPPELLE QUELQUE CHOSE!a tous ces fichues salopes nostalgiques du grand marechal de France !!

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