Pierre-André Taguieff : « Le nationalisme palestinien n’est qu’une variante locale de l’islamisme radical »

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Dans son dernier ouvrage, le philosophe et historien des idées revient sur les racines du conflit israélo-arabe et montre qu’il s’inscrit avant tout dans une stratégie islamiste de domination du monde.

Mickaël Fonton. Une question d’actualité, pour commencer : comment voyez-vous l’évolution du conflit en cours à Gaza ?

Pierre-André Taguieff. Israël poursuit sa guerre contre le Hamas et ses alliés. Il s’agit pour l’État juif, une fois de plus, d’une guerre de survie. C’est ce que refusent de reconnaître les « belles âmes » qui s’indignent et condamnent, au nom de « la morale », l’action à la fois défensive et préventive d’un État menacé explicitement de destruction par ses ennemis. Or, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, aujourd’hui comme hier. Cette guerre contre l’islamisme jihadiste ne peut être gagnée sans faire de victimes, ce qui scandalise les nouveaux bien-pensants qui, animés par un angélisme aveugle, osent exiger des Israéliens qu’ils fassent une guerre « propre » impliquant des interventions militaires scrupuleusement « proportionnées ». Bref, une impossible guerre qui se ferait sous le ciel de l’empathie et de l’altruisme. Revenons sur terre en méditant sur cette maxime : « Si les Arabes palestiniens déposaient les armes, il n’y aurait plus de conflit. Si les Israéliens déposaient les armes, il n’y aurait plus d’Israël. »
Ce qui caractérise l’après 7-Octobre, ce n’est pas une intensité croissante de la haine des Juifs-sionistes, mais son extension et surtout sa légitimation idéologique et sa banalisation. La haine vertueuse qui se déchaîne contre Israël se répand à grande vitesse, par contagion idéologique, dans différents milieux, y compris le milieu des Juifs de gauche, ceux qui se veulent « progressistes » et tiennent surtout – réputation oblige – à le faire savoir.
Pour en venir à la thèse centrale de votre livre, quel est le mécanisme qui, selon vous, donne historiquement naissance à cette « cause palestinienne » ?
La « cause palestinienne » est la cause commune de tous les mouvements islamistes. Si elle fonctionne aujourd’hui comme cause sacrée consensuelle dans le monde musulman, c’est parce qu’elle a été construite sur la base d’un total rejet des Juifs, qui est à l’origine de l’antisionisme radical ou exterminateur. Pour expliquer et comprendre le méga-pogrom du 7-Octobre, les réactions affectives et moralisantes, aussi justifiées fussent-elles, ont été des obstacles. L’indignation morale n’aboutit qu’à des imprécations. Il fallait d’abord situer cette attaque meurtrière dans l’histoire de l’islamisme au XXe siècle, dont la dimension antijuive n’a cessé de s’affirmer entre la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et la création de l’État d’Israël, avant de devenir l’un des moteurs du terrorisme jihadiste. Loin d’être l’expression d’un nationalisme palestinien, dit « de libération », ordonné au projet de créer un État palestinien, la « cause palestinienne » s’est construite sur la base d’une instrumentalisation de la cause antijuive dont le principal théoricien, dès le début des années 1920, fut le Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, qui jugeait intolérable la présence sur une « terre musulmane » (waqf) de Juifs qui ne seraient plus traités comme des « dhimmî », c’est-à-dire comme une minorité soumise et dominée. Telle est l’origine du refus de principe d’un État juif dans le monde arabo-musulman.
Qu’appelez-vous aujourd’hui le « palestinisme » ou l’ »islamo-palestinisme » ?
J’appelle « palestinisme » l’ensemble des représentations et des croyances qui composent le mythe politique fondé sur la croyance à l’existence immémoriale du « peuple palestinien », sur son droit inaliénable à former un État occupant le territoire « du fleuve à la mer », ce qui implique la destruction de l’État d’Israël, et sur sa sacralisation en tant que peuple-victime dont les bourreaux seraient « les sionistes » ou les Juifs membres de « l’entité sioniste » (avec leurs alliés). Mon livre revient sur la question de ce que j’ai appelé l’islamo-palestinisme, dans la perspective d’une histoire des idées politiques rompant avec les clichés idéologiques sur le « conflit israélo-palestinien » interprété comme le choc de deux nationalismes rivaux, l’un illégitime car « raciste » et « colonialiste » (l’israélien), l’autre (le palestinien) légitime car se confondant avec une révolte ou une « résistance » des « colonisés » et des « racisés ». Ce qu’on a pris l’habitude d’appeler, d’une façon trompeuse, le « nationalisme palestinien » n’est qu’une variante locale de l’islamisme radical et conquérant, dont l’objectif ultime est l’islamisation totale du monde.
Les idéologues du projet islamiste ont emprunté aux pays européens l’une de leurs idéologies politiques, le nationalisme. Mais, pour les leaders arabes musulmans qui prétendent lutter au nom de la « cause palestinienne », le nationalisme n’est qu’un habit d’emprunt. On pourrait parler d’un national-islamisme dont la vérité est un panislamisme qui s’est constitué en assimilant le panarabisme. Les véritables raisons des mobilisations guerrières qu’ils lancent régulièrement contre les Juifs se trouvent dans la vision islamiste d’orientation jihadiste des leaders, qui savent pouvoir ainsi mobiliser de nombreux secteurs des populations musulmanes. Il leur suffit de citer quelques versets du Coran dirigés contre les Juifs.
La détestation d’Israël, du sioniste, du Juif, reste donc un marqueur très structurant au sein du monde islamique ?
Certainement, dans les pays arabo-musulmans et dans l’Iran des mollahs. Le jihad contre les Juifs est au cœur de l’antisionisme radical fabriqué par Amin al-Husseini, suivi par Hassan al-Banna, le cofondateur des Frères musulmans, puis par Sayyid Qutb. En témoigne l’appel au jihad énoncé en 1988 dans l’article 13 de la Charte du Hamas, héritier de ces trois idéologues islamistes : « Il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad. » En janvier 2002, Yasser Arafat dévoilait lui-même l’islamisation profonde de la « cause palestinienne » : « Gloire à Allah et à son prophète ! Jihad, jihad, jihad ! (…) Nous ne défendons pas la Palestine en tant que Palestiniens. Nous la défendons plutôt au nom de la nation arabe, au nom de la nation islamique. » L’objectif des antisionistes djihadistes est la destruction de l’État d’Israël, qui n’est qu’une étape dans la réalisation du programme de domination du monde par les combattants de l’islam.
Quel rôle joue l’extrême gauche dans la dynamique conquérante de l’Islam en France ?
Depuis les années 1990 l’activisme néo-gauchiste en France s’emploie à monopoliser l’antiracisme en le redéfinissant comme « lutte contre l’islamophobie » ou contre le « racisme anti-musulmans ». C’est là un puissant mode de légitimation de l’islam politique, dont les militants exploitent l’imaginaire victimaire qui est devenu une composante centrale de l’idéologie « progressiste », les nouveaux « révolutionnaires » jouant la carte de la compassion sélective, une compassion clairement islamocentrique. C’est aussi une manière de diffuser la vision mensongère d’une société française tout entière « islamophobe », opération de propagande qui a notamment pour objectif de criminaliser tous ceux qui se montrent inquiets face à la menace islamiste, dont on a pu établir qu’elle était liée de diverses manières à une immigration non contrôlée.
Cette focalisation exclusive sur le type du « musulman-victime », privilégiée notamment par les démagogues de La France insoumise, vise à détourner l’attention du public du terrorisme islamiste et à faire oublier la réalité des actions antijuives meurtrières, dues principalement à des jihadistes. Il faut y voir un grand retour de la « gauche morale », qui a professionnalisé la préférence pour l’autre et la repentance sur fond de haine de soi et de honte de soi, le « soi » désignant ici la nation française, sa souveraineté et son identité.
Pierre-André Taguieff, L’invention de l’islamo-palestinisme (Odile Jacob, 2025).
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2 Commentaires

  1. David92 dit :

    Le « nationalisme palestinien » et Israël sont une assurance pour l’unité des pays arabes du M.O .
    Sans les « palestiniens » et Israël ils s’entretueraient.

  2. David92 dit :

    Le « nationalisme palestinien » ne peut exister que dans l’extrémisme et la violences .
    Voilà pourquoi la paix est impossible et que j’approuve la politique de Bibi ….oui il faut les détruire.

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