Procès de l’attentat de Romans-sur-Isère : Entre terrorisme d’« atmosphère » et djihadisme, l’intriguant profil d’Abdallah Osman-Ahmed
L’attentat du 4 avril 2020 est un acte terroriste au couteau perpétré en France, le 4 avril 2020, dans le centre-ville de Romans-sur-Isère, tuant deux passants et en blessant cinq autres. L’auteur est un réfugié soudanais, Abdallah Ahmed-Osman, rapidement interpellé après les faits.
L’attaque a lieu durant la période de confinement en raison de la pandémie de Covid-19.
Le 4 avril 2020, vers 10 h 41, Abdallah Ahmed-Osman entre dans le bureau de tabac « Le Flash » de la place Ernest-Gailly à Romans-sur-Isère où, muni d’un couteau, il agresse le couple gérant[1]. Le mari reçoit des coups de couteau à la poitrine et sur le flanc et sa femme aux bras et aux côtes. L’agresseur poursuit son chemin pour entrer dans la boucherie Breyton, cours Pierre-Didier, où il se saisit d’un couteau de boucher pour blesser mortellement un client, Thierry Nivon, au thorax.
Sorti cours Pierre-Didier, il demande à un piéton s’il est maghrébin ; après que celui-ci lui a répondu qu’il est français, il le blesse en le poignardant dans le dos. Il blesse ensuite un autre piéton dans le dos puis porte des coups de couteaux mortels au thorax et à l’abdomen de Julien Vinson alors que ce dernier ouvrait les volets de son habitation. Il blesse ensuite un autre piéton au thorax et estomac et finit par une ultime agression boulevard Marx-Dormoy sur une passante en la poignardant à l’artère fémorale[1]. Ces attaques ont lieu sur une distance de 400 mètres et ont duré un temps total de 15 minutes

Ce mercredi 5 novembre au Palais de Justice de Paris, s’est ouverte une nouvelle étape dans le procès d’Abdallah Osman-Ahmed, auteur de l’attaque meurtrière survenue en 2020 à Romans-sur-Isère. Les experts psychologues et psychiatres ont été chargés d’éclairer la cour sur l’état mental de l’accusé. La question de sa responsabilité pénale, pourtant reconnue par une troisième expertise, est toujours centrale. Islamisme ou folie ? Peut-être faut-il désormais envisager l’intrication des deux, dans ce dossier où la limite entre délire et idéologie semble toujours plus floue.
Dans le box des accusés, Abdallah Osman-Ahmed est de nouveau là, escorté d’un policier. Sa chemise blanche d’homme respectable, qu’il arborait au début du procès, est depuis de nombreux jours cachée par un blouson noir. Il avait froid, semble-t-il.
Pendant deux semaines, la cour d’assises spécialement composée analyse l’évolution de sa personnalité à grand renfort de témoins et d’experts. L’enjeu : tenter de comprendre ce qui a déclenché une telle fureur meurtrière chez celui qui a des airs de “gros nounours”. L’intéressé, lui, reste constant dans sa posture et ses réponses laconiques. Quoi qu’il arrive, il a « tout oublié », répète-t-il depuis le début.
De « migrant parfait » à assaillant sanguinaire
Originaire du Soudan, arrivé en France en 2016, Abdallah Osman-Ahmed obtient son statut de réfugié l’année suivante. Il est formé en maroquinerie au sein de la maison Goyard, après avoir suivi une licence de droit en Afrique. Issu d’une famille d’agriculteurs — troisième de sept enfants — c’est un parcours déjà chanceux. Lors du rapport sur sa personnalité au début de l’audience, un enquêteur de la SDAT relève : « Il cochait toutes les cases : il avait un toit, un travail et de l’argent. »
En 2018, il boit et fume du haschisch, malgré sa conception rigoriste de l’islam qu’il doit à son contexte d’origine. « Quand je l’ai connu, il ne pratiquait pas bien la religion », raconte un proche. Pour certains, cette attitude en apparence incohérente pourrait relever de la taqîya, stratégie de dissimulation utilisée par les islamistes pour se fondre dans la société. Après son arrestation, les enquêteurs découvrent qu’il a menti à l’OFPRA : son récit de rebelle torturé par le régime soudanais était une invention pour accéder au titre de séjour. Maître Farelly, avocat de partie civile, observe « un profil complexe capable de manipulation, qui dit ce qu’il faut quand il faut ».
On décrit un homme très isolé, en proie à une fracture culturelle. Il aurait par exemple confié à propos des Français : « Ils disent que les gens ont créé Dieu, alors que c’est Dieu qui a créé les gens ».
Installé à Romans-sur-Isère fin 2019, dans un logement loué par l’association « Diaconat protestant », il s’enfonce dans l’isolement et les ruminations, le tout aggravé par la crise sanitaire. Quant au jour du 4 avril 2020, les experts psychiatres évoquent un processus de décompensation psychotique, tandis que la DGSI y voit un passage à l’acte djihadiste.
La menace d’un terrorisme sans structure
Le parcours d’Osman-Ahmed ne correspond pas à celui, maintenant bien connu depuis la vague d’attentats de 2015, de la radicalisation djihadiste « classique ». Aucun séjour sur les théâtres d’opérations, aucune appartenance à une cellule, aucun signe d’une organisation structurée. Comme d’autres auteurs d’attentats récents, en particulier celui qui a renversé plusieurs personnes sur l’île d’Oléron hier, il s’inscrit dans une menace terroriste endogène, celle d’individus isolés sur le territoire. Le « ventre mou » de nos sociétés — ces cibles molles, peu protégées, comme des clients de magasin ou des passants — est visé. Exactement les victimes d’Abdallah à Romans-sur-Isère.
Pris d’un sentiment d’insécurité extrême, il aurait agi pour se « prémunir » d’un environnement perçu comme hostile. « C’est lui ou c’est moi », selon ce que les experts décrivent comme un processus archaïque de néantisation. Son cri « Allah Akbar » relèverait, selon eux, du dernier repère structurant dans une vie en délitement : la religion.
Les témoins notent un contraste impressionnant : un homme déterminé, au regard noir, mais au comportement quasi normal avant et après les faits. La défense, elle, plaide le crime psychotique immotivé, sans cohérence apparente. S’il n’a présenté aucun trouble psychiatrique au Soudan, les médecins parlent désormais d’une schizophrénie paranoïde. La Cour devra trancher : crime psychotique ou acte terroriste ? Les deux hypothèses se mêlent, tant il est difficile de dire que le délire seul explique son geste.
« Il ne pense qu’à lui, à ses ressentis »
Pour l’un des psychiatres auditionnés, cette figure illustre le « terrorisme d’atmosphère ». Suivant le concept déployé par le politologue Gilles Kepel, des personnes vulnérables s’empareraient du terrorisme comme d’un moyen de donner sens à leur malaise.
Lors de son interrogatoire, pressé par la présidente sur ce qu’il attend de son procès, celui qui a donné la mort à deux pères de famille finit par lâcher : « J’aimerais bien une belle vie. Faire venir ma femme, avoir des enfants comme tout le monde. Devenir un père. » Quelques jours plus tôt, confronté à ses actes, il disait encore : « Je suis choqué, c’est une catastrophe qui s’est abattue sur moi. » Un égocentrisme persistant, selon Maître Fort : « Il ne pense qu’à lui, à ses ressentis. »
Au-delà du cas Osman-Ahmed, c’est un modèle qui interroge : celui d’un « réfugié idéal », apparemment intégré, qui a basculé dans un meurtre à caractère djihadiste. Mais s’il n’y a pas besoin d’être un soldat aguerri pour passer à l’acte, combien de profils similaires sont à décompter sur le sol français ?
Les deux victimes : Julien Vinson et de Thierry Nivon
