Djihad : l’imam Khattabi est-il dangereux ?

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« Dangereux » pour ses détracteurs, « bouc émissaire » pour ses partisans, le charismatique imam canado-marocain Mohamed Khattabi a été assigné à résidence par la Préfecture dans le cadre de l’état d’urgence, avant d’être relâché. Un épisode qui a paradoxalement contribué à renforcer la popularité de cet imam controversé, au discours ultra-conservateur.
« Je n’ai jamais entendu un prêche dans lequel il ait appelé à la violence », s’étonne Abdel, un ouvrier marocain en djellaba rencontré à la sortie de la mosquée Aïcha, dans le quartier Garosud, où il vient régulièrement prier. Un entrepôt transformé en salle de prière, où l’imam Mohamed Khattabi s’est exilé début 2014, avec ses fidèles, après avoir été viré de la mosquée Averroes, à la Paillade. Ce vendredi de février, cinq cents hommes de tous âges, dont de nombreux jeunes, viennent d’assister au prêche de cet imam canadien d’origine marocaine. Pour ceux qui acceptent de s’exprimer, aucun doute : l’imam a été victime d’un « règlement de comptes interne », c’est un « bouc émissaire » qui n’a « jamais tenu de discours indigne ».

Double langage. Pour ses détracteurs, au contraire, l’homme, volontiers provocateur, et un tantinet mégalo, flirterait régulièrement avec la ligne jaune. Il serait, pour eux, « dangereux » et adepte d’un « double langage ». Signe d’un climat tendu : ceux qui le critiquent préfèrent pour la plupart rester anonymes, rappelant le départ mouvementé de son successeur à la Paillade, l’imam Farid Darrouf, dont les prises de position progressistes ont exaspéré les partisans de Mohamed Khattabi.
Le 16 mars, l’imam Khattabi comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Montpellier. Pas pour terrorisme. Mais pour « blanchiment » d’une fraude présumée au détriment de la CAF, et « travail dissimulé » : des dons reçus à l’occasion de toilettes mortuaires, et non déclarés. Des peccadilles au regard des graves accusations lancées par le ministère de l’Intérieur pour justifier de son assignation à résidence, le 22 novembre, dans le cadre de l’état d’urgence.
Pour l’État, la dangerosité de l’imam ne fait alors aucun doute. « Compte tenu de son comportement, M. Khattabi Mohamed attire l’attention depuis plusieurs années en raison de ses prêches anti-occidentaux incitant au djihad et prônant l’usage de la violence », affirme une note blanche des services de renseignement, citée dans un jugement du tribunal administratif de Montpellier. Selon le ministère de l’Intérieur, « ses références proches de celles prônées par l’organisation terroriste Daech sont susceptibles de contribuer à faire basculer des fidèles vers la radicalisation ».
L’imam est alors perquisitionné par des gendarmes à son domicile de Saint-Georges-d’Orques. Le local de la mosquée Aïcha est également fouillé. Sans résultat.

Femmes. Pendant trois semaines, le religieux aura toutefois interdiction de sortir de Saint-Georges-d’Orques, et devra pointer trois fois par jour à la gendarmerie locale. Avant que l’État ne finisse, le 11 décembre, par lever l’assignation. Sans attendre l’avis du Conseil d’État, saisi par son avocat, Arié Alimi. « Ce que l’état d’urgence permet, c’est – quand on a une interroga- tion, ou un doute – d’aller vérifier », explique, quelques jours plus tard, le préfet de l’Hérault d’alors, Pierre de Bousquet. Il l’assure : « Personne n’a imaginé un ins- tant trouver chez l’imam Khattabi des kalachnikovs ou des ceintures d’explosifs. »
Un responsable du ministère de l’Intérieur indique aujourd’hui : « La dangerosité d’un individu ne se mesure pas seulement à sa capacité à déclencher des attentats. » Mohamed Khattabi serait surtout dangereux par ses discours qui « empêchent les musulmans de s’intégrer en les séparant de notre société ». De fait, s’il sait faire d’Internet une vitrine à sa gloire, diffusant sur la Toile ses prêches en français et en arabe, la conception de l’islam prônée par l’imam est tout sauf progressiste. « Peu importe tout le bien que vous ferez à une femme, elle le niera », lance-t-il le 8 mars 2015, pour célébrer à sa façon la Journée internationale des femmes. « Son égoïsme la poussera à le nier. Ceci est vrai pour toutes les femmes, qu’elles soient occidentales, arabes, musulmanes, juives ou chrétiennes », ajoute-t-il.
Plus inquiétant : « Soutiens tes serviteurs les moudjahidines (les combattants de la foi qui s’engagent dans le djihad), partout, ô seigneur de l’humanité ! », prêche-t-il le 13 novembre, quelques heures avant les attentats parisiens. Il compare, le même jour, le musulman à « un géant endormi ». « S’il se réveille, prévient-il, malheur à celui que se trouve dans les parages, car il rendra sa gloire à l’humanité. »

Radicalisation. Alors qu’il se présentait, dans un reportage du Monde, paru en 2013, comme le promoteur d’un « islam de France citoyen, d’un islam de cohabitation », l’imam estime, dans ses prêches récents, que la religion passe avant le drapeau français, le Coran avant La Marseillaise. « Il radicalise les jeunes en prônant un islam isolé, dont l’identité serait en danger », dénonce un imam plus progressiste.
Une accusation partagée par la députée PS Anne-Yvonne Le Dain, pour qui l’imam Khattabi « a un vrai pouvoir d’influence sur des esprits jeunes et en formation. M. Khattabi n’est pas un terroriste, mais il peut influencer des gens un peu fragiles ou un peu perdus ».

Raphaël. Le ministère de l’Intérieur indique que l’imam « a été en contact avec des jeunes de Lunel qui se sont radicalisés ». Mohamed Khattabi admet avoir compté, parmi ses fidèles, le jeune Raphaël Amar, parti faire le djihad et mort en novembre dernier en Syrie. Mais il dit avoir été « menacé » par « un chef de Raqqa (1) » pour avoir tenté de le « raisonner », et avoir invité sa mère à contacter les autorités (2). Ce qui ne l’a pas empêché de condamner de manière ambigüe l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo : « Je condamne fermement et absolument (l’attentat), lance-t-il alors. Mais ne dites pas « on est tous des Charlie », parce que Charlie ne nous a pas honorés ! »
À Nîmes, où il a officié pendant un an et demi à la mosquée du quartier Valdegour, l’imam n’a pas laissé le souvenir d’un prédicateur radical. « Parce que l’association qui gère la mosquée avait fixé des règles très strictes : le rôle d’un imam n’est pas de faire de la politique », martèle son ancien président, Abderahim Berkaoui, en froid, aujourd’hui, avec l’imam Khattabi.
À Montpellier, les responsables de l’association qui gèrent la mosquée de la Paillade tenteront à plusieurs reprises d’écarter ce religieux au verbe haut, qui aimait trop la lumière et les relations avec les politiques pour ne pas les reléguer dans l’ombre. Première tentative en 2006, quand l’imam tient publiquement, pendant un prêche, des propos favorables au Hezbollah, un mouvement considéré par l’Union européenne comme une organisation terroriste.

Provocation. La troisième tentative, fin 2013, sera la bonne. La faute de l’imam ? Avoir présenté publiquement, pendant les municipales, devant les fidèles, le candidat du PS Jean-Pierre Moure comme le futur maire de Montpellier… Fidèle à son style, l’imam dénonce alors sur Internet « l’injustice, la tyrannie et la dictature » de ses détracteurs. Avant de partir fonder sa propre mosquée avec ses fidèles.
Ses références aux moudjahidines ou au djihad ? Elles n’auraient, assure-t-il, aucune connotation guerrière. « Le djihad, c’est le quotidien », affirme l’imam devant ses fidèles, peu après avoir recouvré sa liberté. « Le djihad est perpétuel. Marcher droit, dire la vérité, ne pas tricher, ne pas mentir, c’est du djihad. »
Pour l’islamologue Olivier Roy, ces termes peuvent « tout à fait être pris dans un sens uniquement spirituel ». Mais il le reconnaît : « Ce sont des mots prononcés dans un contexte très particulier, très chargé. » Pour les adversaires de l’imam, ce dernier se livre à une provocation, une de plus. « Il ne faut pas jouer sur les mots », estime Abdallah Zekri, représentant régional du Conseil français du culte musulman, un organisme décrié par Khattabi. « Les moudjahidines, ce sont bien des combattants, des gens qui prennent les armes. » À la mosquée Aïcha, les mésaventures de l’imam ne semblent pas avoir entamé son aura auprès des fidèles, bien au contraire. Quant à ses adversaires, ils y voient peu de raisons de se réjouir. « Il se prenait pour une star, glisse l’un d’eux. On en a fait un martyr. »
Henri Frasque
La Gazette de Montpellier n° 1444 – Du 18 au 24 février 2016
(1) Ville syrienne dont Daech a fait la capitale de son califat.
(2) « Le Figaro » du 9 décembre 2015.
source :
http://www.lagazettedemontpellier.fr/dossiers-gazette/article-35947/djihad-l%E2%80%99imam-khattabi-est-il-dangereux

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