«Place d’un grand homme»: Patrick Bruel rend hommage à Arnaud Beltrame

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Lors de la tournée qu’il a entamée, et qui va le mener à travers toute la France jusqu’à la fin de l’année, l’artiste fait chanter l’hymne français et applaudir le colonel Beltrame à des salles enthousiastes. Son quart d’heure citoyen. À bientôt 60 ans, aurait-il entamé sa mue?
Seul au piano, comme en surplomb sur une espèce de mini-estrade sortie de terre, il fredonne les derniers accords de Ce soir on sort . Puis glisse doucement vers une autre mélodie, aux notes universelles. La murmure. «Allons enfants de la Patrie, /Le jour de gloire est arrivé! / Contre nous de la tyrannie…» Les spectateurs, qui ont reconnu La Marseillaise , se lèvent comme un seul homme. Et se mettent à chanter, d’abord timidement, puis d’une voix de plus en plus assurée, comme étonnés de leur propre audace. Avant d’applaudir à tout rompre, emportés par ce moment d’émotion partagée.
C’était le 23 février dernier. Au Dôme de Paris-Palais des sports, devant une salle comble qui avait auparavant chanté tous les «classiques» de Patrick Bruel, de Casser la voix à Place des grands hommes. Et cela se reproduit depuis, tous les soirs, en province, lors de la tournée de 80 dates qu’a entamée «le boss», comme l’appellent désormais certains de ses amis. Bruel qui fait chanter La Marseillaise, après avoir donné une chanson dédiée aux héros anonymes, «à tous ceux qui se sont battus, qui ont gagné sans l’avoir su» – tandis que s’affiche en fond d’écran la photo du colonel Beltrame -, voilà qui ressemble à un véritable «quart d’heure citoyen». À ce qu’il présente comme un moment de «réconciliation», fort et intense.
Quand on le rencontre quelques jours plus tard, tee-shirt noir et baskets blanches, regard enveloppant, à la fois doux et inquiet, et sourire à l’avenant, au bar d’un hôtel situé à quelques mètres de l’Élysée, on l’interroge sur cette séquence. Cette apparente mue. Quoi! Lui, le champion toutes catégories des shows caritatifs et antiracistes, le chanteur engagé que l’on a si souvent comparé à Montand, et qui a longtemps épousé toutes les «grandes causes de gauche» se serait-il droitisé? Il ouvre des yeux ronds. Corrige le tir. Concernant Montand, il ne rejette pas la comparaison, même s’il préfère se définir comme «un artiste citoyen», attaché «à des valeurs humanistes». Il a connu l’interprète des Feuilles mortes. «Il venait me voir, m’encourageait beaucoup. On devait aller à Bari voir la Coupe d’Europe de foot, en 1990. Et, au retour, on a passé quatre heures dans un avion qui ne décollait pas et on a beaucoup parlé de Marilyn… Pour Montand, c’était comme un sapin de Noël, décrocher un trophée.» Concernant son hypothétique droitisation, il n’est pas d’accord, en revanche. Faire chanter La Marseillaise, c’est surtout une manière de «se la réapproprier», de dire qu’elle appartient à tous, assure-t-il. Un tournant apparu, selon lui, depuis les attentats du 7 janvier 2015. L’hymne français est «redevenu alors celui de tous les Français et non plus celui préempté par un parti d’extrême droite qui avait confisqué aussi la figure de Jeanne d’Arc». Une manière de «rappeler combien nous sommes attachés à nos valeurs républicaines» et, en la chantant, de faire finalement «un acte politique».
« On a vendu le dimanche, sur le marché, Pif Le Chien et “L’Huma“, puis le Programme commun»
Patrick Bruel
Rien d’étonnant venant de Bruel, qui est un véritable «Homo politicus». Qui baigne dans la politique et l’apprécie depuis sa plus tendre enfance, lui qui a grandi dans une famille très politisée. À gauche. Du côté de sa mère et de ses oncles. Puis, plus tard, du côté de sa belle famille. «On a vendu le dimanche, sur le marché, Pif Le Chien et L’Huma, puis le Programme commun». Selon sa mère, ses premiers souvenirs politiques remontent probablement à Mai 68, bien sûr. «Patrick avait 9 ans, il était à la garderie de Censier (où la mère avait repris des études de lettres) et voyait ce qui se passait dans la rue, les manifs. Comme on habitait à Argenteuil et qu’il n’y avait pas de transports, on venait en stop.» À Henri-IV, où il passe une grande partie de sa scolarité (mais il a passé son bac à François-Villon), la politique est aussi à l’honneur. Sa meilleure amie est Marion Suffert, la fille du journaliste Georges Suffert qui, à l’époque, vient de créer Le Point, avec Imbert et Chevrillon, «et n’a pas bonne presse chez les progressistes». «J’aimais bien le provoquer avec mon discours de gauche puis revenir chez moi où je provoquais ma famille avec des arguments de droite catho.»
«Patrick est différent de l’image de chanteur à minettes, relève son ami l’essayiste Mathieu Laine, qui l’invite souvent aux “dîners de têtes” qu’il organise. Il a une profondeur, une intelligence que les gens ne soupçonnent pas toujours. La politique le passionne et il a souvent de très bonnes intuitions. Il a un côté très animal, tout en étant très réfléchi. Il a un vrai instinct et sent les choses.» Anne Sinclair, qui l’a l’invité à son émission «7 sur 7» en 1991, confirme: «Patrick adore la politique» et, mieux encore, ajoute celle qui est devenue depuis une amie («Il est entier et sincère»), «le monde ne le laisse pas indifférent, ce qui n’est pas si fréquent chez les artistes. Quand il m’appelle, c’est très souvent pour discuter, comme il le faisait avec son tendre ami Guy Carcassonne.» Guy Carcassonne, le célèbre constitutionnaliste, disparu en 2013, connu lors d’un déjeuner chez Michel Rocard et à qui il a dédié une chanson de son dernier album. «Un coup de foudre amical qui a duré 27 ans. On déjeunait une fois par semaine, on se parlait tous les jours au téléphone. Il a été là dans les grandes étapes de ma vie, professionnelle ou privée. Pour choisir un restau en Toscane ou évoquer un problème constitutionnel. C’était le bon sens incarné. Avec lui, tout trouvait une solution, tout était synthétisé en 20 secondes. Personne ne l’a remplacé», lâche Bruel, ému.
«J’ai une maison à Los Angeles, mais je vis en France et j’y paie mes impôts, ce qui me donne le droit de dire ce que je veux. Et même de râler»
Patrick Bruel
Politique donc, Bruel l’est jusqu’au bout des ongles, et dans tous les sens du terme. Et lui qui a pratiquement connu tous les présidents depuis François Mitterrand jusqu’à Emmanuel Macron, croisé pendant la campagne présidentielle, a toujours un avis à donner sur la vie de la cité. Qu’on lui parle de Macron («Souhaitons qu’il réussisse»), des «gilets jaunes» («Quand je vois les forces de l’ordre se faire taper sur la gueule, caillasser, cela me fait mal. Ce sont les mêmes que l’on applaudissait après les attentats. Il n’y a aucun rapport entre ces gens qui sont sur les ronds-points qui expriment une douleur et veulent se faire entendre et ceux qui viennent uniquement pour casser») ou de la montée des populismes et de l’antisémitisme, il embraie au quart de tour: «J’ai une maison à Los Angeles, mais je vis en France et j’y paie mes impôts, ce qui me donne le droit de dire ce que je veux. Et même de râler.»
À côté de cela, il le reconnaît, il y a peut-être aussi «une forme de fascination réciproque» entre artistes et politiques, comme d’ailleurs entre toutes les personnes qui sont dans l’excellence. «J’aime les gens qui font de leur mieux quoi qu’ils fassent. Ce que je dis à mes enfants. Quelle tristesse de se planter sans avoir fait de son mieux, c’est pathétique.» Patrick Bruel essaie donc de «faire de son mieux». Et objectivement, il a plutôt «réussi», pourrait-on dire, comme en écho à sa chanson Place des grands hommes («T’as pas changé, qu’est-ce que tu deviens? T’as réussi»). Tout d’abord, parce qu’il est toujours là. Remplit les salles. Et pas seulement lorsqu’il chante, mais aussi lorsqu’il joue au théâtre, au cinéma ou au poker (il a été champion du monde de poker), mais aussi lorsqu’il fait des affaires, en investissant dans le poker en ligne ou la fabrication d’huile d’olive (l’huile de son domaine en Provence a été récompensée comme la meilleure huile d’olive de Paca).
«Le roi Midas»
«Bruel, c’est un peu le roi Midas: tout ce qu’il touche devient de l’or, juge en souriant son ami Jean-Paul Enthoven. Quand on est à côté de lui, il se passe toujours de bonnes choses. Il y a un coin de soleil.» Ses vrais échecs sont plutôt intimes, liés à sa vie personnelle. Aux femmes «qu’il adore et consomme, à la fois Don Juan et patriarche, père formidable» (de deux enfants qu’il a eus avec Amanda Sthers), juge encore Enthoven, mais aussi à ses failles et ses névroses. Sa course après le temps, son envie insatiable de plaire. En multipliant les conquêtes dans tous les domaines. Prêt, encore et toujours, à Tout recommencer, comme le titre de l’une de ses dernières chansons. À la fois léger et grave. Dilettante en apparence, mais travailleur obsessionnel, selon tous ses proches. Apparemment sûr de lui, un brin hâbleur, mais pouvant aussi se montrer gentil, attentif aux autres avec toujours comme une ombre inquiète dans le regard. Une angoisse tapie au fond de lui malgré un enthousiasme communicatif. «Il se donne toujours les moyens de son ambition, mais il a une forme de fragilité, est très sensible et vulnérable», assure sa mère. L’air du temps? La peur de la vieillesse alors qu’il va avoir 60 ans en mai prochain, mais conserve une allure étonnamment juvénile. On l’interroge sur ses secrets de jouvence. Même s’il s’entretient, fait du sport et fait attention à ce qu’il mange, il assure qu’il n’y a rien de «traficoté» chez lui. Et, comme pour étayer ses propos, baisse la tête pour montrer que sa chevelure brune est à peine parsemée de quelques cheveux blancs (on ne les voit pas): «Mais si, regardez, il y a quand même quelques cheveux blancs, je vous assure. Cela dit, cela pose un problème dans le film que je tourne avec Luchini, où l’on est censé avoir le même âge…»
Patrick Bruel cherche toujours à être adoubé. Et tout spécialement par ceux qui le regardent de haut : les « professionnels de la profession » – du cinéma, du théâtre –, les intellectuels…
Cette «fragilité» évoquée par sa mère est peut-être liée à sa quête éternelle et obligatoirement jamais satisfaite d’une forme de reconnaissance plus qualitative que quantitative. Bruel veut toujours être intégré à une famille dont il se sent exclu. Comme le petit garçon qu’il était, forcément regardé de travers quand il a débarqué d’Algérie avec sa mère, en 1962, à Argenteuil. Il cherche toujours à être adoubé. Et tout spécialement par ceux qui le regardent de haut, le méprisent: les «professionnels de la profession» – du cinéma, du théâtre -, les intellectuels certifiés conformes ou les caricaturistes. Il a en tête aussi quelques humiliations passées. Des récompenses qu’il aurait dû recevoir mais qu’il n’a pas eues. En a conçu de la peine, le sentiment de quelque chose d’injuste.
Injuste, c’est le mot qu’emploie d’ailleurs sa mère, Augusta Moreau, lorsqu’on la rencontre, dans un café en face du jardin du Luxembourg. On s’attendait à rencontrer un double de Marthe Villalonga. Une mère protectrice, exubérante, envahissante. Qui met son fils sur un piédestal. Une «mère juive» dans toute sa splendeur et ses excès. On se retrouve face à une dame tout en retenue, discrète, qui habite toujours dans le XIIIe arrondissement de Paris et veille à dire autant de bien de son fils le plus connu que des deux autres, qu’elle a eus avec son deuxième mari. Une femme forte, visiblement («sa mère est essentielle, elle a le pouvoir absolu, contrôle tout et lui a appris à aimer les belles et bonnes choses», selon Jean-Paul Enthoven), une institutrice exigeante avec qui il a vécu pratiquement en couple jusqu’à 12 ans, son père étant parti lorsqu’il avait 1 an.
Loin des clichés
«On a grandi ensemble», dit-elle drôlement, en racontant qu’elle a emmené son fils aîné partout: en voyage avec elle, au théâtre (il a vu L’Idiot à 6 ans), au spectacle pour écouter La Tosca à Rome, Aïda à Vérone mais aussi Barbara, Reggiani. Des références assez éloignées de ces clichés d’un Bruel nostalgique de la culture nord-africaine, même si après La Marseillaiseil enchaîne, dans son concert, sur les «Ya Lil Ya Habibi Ya» orientalisants de sa chanson Le Café des délices ; de cette image caricaturale du juif «sef» (séfarade), un peu bling-bling, couvé par sa mère, mélange de personnages d’Albert Cohen et d’Alexandre Arcady (réalisateur du Coup de sirocco, son premier film avec Roger Hanin).
C’est le problème avec Bruel, on croit le connaître mais on ne connaît que son image publique. Ses coups de gueule. Ses chansons les plus connues. Ses films. La mère de ses enfants, Amanda Sthers. Certaines de ses nombreuses conquêtes féminines. Son narcissisme. «Il a un ego monumental, c’est la phrase de Montherlant à un jeune romancier venu l’interroger: “Écoutez, assez parlé de moi, parlez-moi un peu de vous. Qu’avez-vous pensé de mon dernier roman?”», sourit l’un de ses amis qui préfère garder l’anonymat. On peut évidemment sourire de son désir d’être premier partout, mais il a pour lui un atout indéniable: il n’a pas perdu sa capacité d’admiration. Son désir de s’élever, d’être toujours dans une logique d’apprentissage. Il a gardé aussi une part d’enfance. Celle d’un gamin qui cherche toujours à épater ses aînés, lui qui a longtemps cherché à combler l’absence de son père par des pères de substitution. «J’ai une capacité d’émerveillement intacte, avoue-t-il, j’ai besoin d’admirer les gens, d’être étonné en amour, en amitié, je ne suis blasé de rien», lui qui à une époque offrait à tous ceux qu’il aimait l’autobiographie de Frank Capra, le réalisateur de La vie est belle et de Monsieur Smith au Sénat. Patrick Bruel ou le James Stewart de la chanson, on n’y avait pas pensé.
Source :
http://premium.lefigaro.fr/musique/et-patrick-bruel-entonna-la-marseillaise-20190326

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2 Commentaires

  1. Jacko lévi dit :

    Point trop n’ en faut………

  2. MAGUID dit :

    Il a estimé que sa vie valait moins que celle de qq’un d’autre.

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