Jihadisme : l’ex-mentor des Kouachi change de bord

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Dounia Bouzar, figure controversée de la lutte anti-radicalisation, a décidé de travailler avec Farid Benyettou, ancien leader de la «filière des Buttes-Chaumont». Contre l’avis de Beauvau.

Un étrange duo. Lui, son débit posé et ses bouclettes brunes un peu clairsemées. Elle, sa gouaille du tonnerre et sa chevelure blonde peroxydée. Farid Benyettou et Dounia Bouzar nous ont donné rendez-vous dans une brasserie du VIIe arrondissement parisien, flanqués des policiers en civil qui assurent la protection de la quinquagénaire. Ils s’apprêtent à raconter comment un premier contact, il y a un an, les a menés à travailler ensemble auprès dejeunes attirés notamment par la propagande de l’organisation Etat islamique. Dans le domaine, Bouzar est connue. Elle fut l’une des premières à se lancer en 2014, tentant de fournir une expertise pour lutter contre l’embrigadement jihadiste et «désendoctriner» les potentielles recrues. Sa méthode, critiquée, ne l’a pas empêchée de travailler pour les pouvoirs publics jusqu’à la fin du mois d’août, financements gouvernementaux à la clé. Le profil de Farid Benyettou est plus inattendu. L’homme, né à Paris le 10 mai 1981, a été condamné en 2008 à six années de prison, reconnu comme un des chefs de la «filière des Buttes-Chaumont», qui recrutait des volontaires du jihad pour combattre en Irak. Parmi ses élèves, un certain Chérif Kouachi qui, accompagné de son frère aîné Saïd, a commis en janvier 2015 l’attentat contre Charlie Hebdo.

L’ex-mentor repenti est donc devenu «formateur en déradicalisation». L’évolution a de quoi surprendre. Notamment au ministère de l’Intérieur, où l’on assure avoir toujours opposé un «non» catégorique aux demandes de Bouzar de travailler avec Benyettou : «Son profil et son parcours n’en font pas pour nous un partenaire de confiance.» Quand Bouzar insiste, lors d’un comité de pilotage avec le ministère et le Comité interministériel pour la prévention de la délinquance (CIPD), en janvier 2016, pour faire intervenir l’ancien jihadiste auprès des jeunes suivis par son association (1), le même refus lui est signifié par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat). L’ex-éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse n’en a cure et décide de passer outre les consignes.
Bouzar assume : «J’ai discuté avec Farid pendant six mois avant de lui faire pleinement confiance.» Quand Benyettou intervient dans les ateliers, c’est d’abord bénévolement. Puis, en juin, elle décide de passer à la vitesse supérieure et de lui offrir un contrat à durée déterminée, mais cette fois pour une mission de rédaction de contenus pour le compte de sa structure. Au ministère de l’Intérieur, qui ignorait, jusqu’au coup de fil de Libération la semaine passée, l’existence de ces initiatives, on «prend acte» de la constitution de cette improbable doublette, même si l’on regrette que l’ancienne protégée ait désobéi. Une source policière témoigne de l’apparente «bonne foi» de Benyettou, qui «se dépense beaucoup» dans cette collaboration. Il faut dire que les moyens de rétorsion de la place Beauvau sont aujourd’hui peu nombreux. Depuis la fin du mois d’août, Dounia Bouzar n’est plus mandatée par les pouvoirs publics pour intervenir auprès de jeunes radicalisés et travaille à nouveau à son compte. Une rupture initiée au moment du débat sur la déchéance de nationalité.

C’est Benyettou qui a pris l’initiative du rapprochement. Il se souvient avoir appelé, peu après les attentats de janvier 2015, le numéro vert lié à la plateforme «Stop djihadisme». «J’ai dit que j’aimerais partager mon expérience, mais on m’a répondu que ce n’était pas le bon numéro.» A l’époque, son nom réapparaît partout dans les médias, qui cherchent à retracer le parcours des frères Kouachi. A Libération, l’homme qui suivait alors des études d’infirmier disait sa «condamnation» de l’attaque contre Charlie, «une folie meurtrière». Martelait le «dégoût» ressenti après la tuerie de Mohamed Merah en 2012. Et disait vouloir «changer de monde», «tourner la page» et déjà, de «casser» les discours radicaux dans un but de prévention.
Mais le passé ne s’efface jamais totalement. Le 7 janvier 2015, l’élève infirmier effectue son stage aux urgences de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Le lendemain, alors que l’hôpital accueille des blessés du massacre, il est interrompu. Diplômé quelques semaines plus tard, Farid Benyettou voit les portes de la profession se fermer devant lui. Il trépigne, lui qui, avant sa détention, n’avait «jamais» connu le chômage. L’homme veut agir. Une réflexion déjà entamée lors de discussions avec son ancien avocat. «J’avais émis l’idée qu’il essaye non pas de réparer, mais de se rendre utile», confirme Me Christophe Grignard. Le projet fait son chemin. A l’automne 2015, «avant le Bataclan», Benyettou a le déclic en voyant «une fille en niqab témoigner à la télé». «J’ai réalisé que moi aussi j’avais des choses à dire», explique-t-il aujourd’hui. Il envoie un mail à Dounia Bouzar dont il a suivi les nombreuses apparitions médiatiques, avec l’idée de lui «apporter des choses sur le plan théologique». Le duo dialogue de longues heures au téléphone. Benyettou, qui pensait «convaincre» son interlocutrice de la dimension «purement idéologique» de l’engagement jihadiste, finit par vaciller. «Au début, je n’arrivais pas à parler de moi, je conceptualisais trop les choses, raconte-t-il. C’était clair que j’étais sorti de mon embrigadement, mais je ne l’avais pas encore compris. Il me manquait tout le travail de rétro-analyse sur le fait que j’ai toujours été un peu à part, pas vraiment dans mes baskets. A partir de là, on rencontre des gens, les choses s’enchaînent…»

Chez Bouzar aussi, les doutes sont forts. «Tout le monde dans mon équipe avait peur et redoutait que Farid fasse de la taqiya», principe de dissimulation de ses véritables intentions, souvent utilisé dans les milieux jihadistes. Elle estime de son côté que quand «on commence à faire confiance, on ne peut pas y aller à moitié». Et de détailler : «Il faut laisser un espace aux repentis, sinon ils en crèvent.» Au printemps 2016, elle décide de se lancer et de faire intervenir Farid Benyettou lors d’une séance auprès d’un jeune majeur, tout juste sorti de quatre mois de détention pour fabrication de matériaux explosifs. «Angoissé à mort», l’ancien prédicateur du XIXe arrondissement accepte l’initiative. Pendant quatre-vingt-dix minutes, il raconte son parcours. «Au début, le jeune ne nous regardait même pas, se remémore Bouzar. Mais petit à petit, il s’est rendu compte que toute son histoire était dans la bouche de Farid, qu’ils avaient eu les mêmes motifs d’engagement.» Selon elle, l’homme est aujourd’hui «tiré d’affaire». Elle renchérit, jugeant même que Benyettou a «sauvé une trentaine» de jeunes prêts à basculer. Invérifiable. Mais pour elle, il est clair que personne n’a plus de poids qu’un repenti auprès de ce public si particulier. Elle reconnaît d’ailleurs qu’avant de le rencontrer, sa méthode de «désengagement», plutôt efficace pour les adolescentes, atteignait ses limites quand il s’agissait d’approcher des profils plus durs.
D’où le choix de passer outre les consignes de la place Beauvau. «Farid m’a fait entrer dans les finesses de l’univers théologique jihadiste», affirme Dounia Bouzar, avant de s’emporter contre ce qu’elle considère être de la frilosité de la part des pouvoirs publics. «Pourquoi m’a-t-on donné 600 000 euros [le montant de l’appel d’offres qu’elle avait remporté en 2015, ndlr] si on considère qu’un terroriste ne change pas ? Dans ce cas-là, on fait un Guantánamo en France !» Benyettou, lui, insiste sur la «pluridisciplinarité» de l’action menée avec Bouzar. «L’expérience avec les Kouachi m’a servi puisque je n’ai pas réussi à les empêcher de passer à l’acte, notamment quand Chérif est venu me voir quelques mois avant l’attentat. Il faut des regards croisés, on ne peut pas tout faire seul.» Il dit ne pas vouloir agir «en catimini» et pense qu’il «vaut mieux que l’Etat [le] surveille, voire [l]’encadre».

La collaboration Bouzar-Benyettou n’en est pas restée au stade des interventions bénévoles auprès de jeunes majeurs radicalisés. Embauché jusqu’en janvier prochain, l’ancien élève infirmier travaille notamment à la rédaction d’un «livre blanc» («gratuit sur Internet») narrant les succès de l’association depuis deux ans, et à l’élaboration d’un «e-learning», un cours numérique : «Sur ce qu’on a retenu de notre travail, sur des sujets comme la musique, la mixité, les lois humaines…» Le binôme a aussi entrepris de rédiger un livre à quatre mains, Mon djihad, dont la sortie est aussi prévue en janvier.
Une collaboration qui interpelle plusieurs interlocuteurs spécialistes des milieux jihadistes. «Utiliser Benyettou, c’est sacrément culotté vu l’histoire du personnage, souligne un universitaire. C’est une liberté à laquelle aucune administration publique ne se serait risquée. J’espère que Bouzar sait ce qu’elle fait.» Il évoque notamment une «littérature, dont font partie quelques e-book qui ont circulé sur Internet, dans laquelle les organisations terroristes conseillent à leurs recrues de passer pour des repentis pour refrapper ensuite». Le chercheur Romain Caillet, auteur du blog «Jihadologie» sur Libération.fr, juge l’initiative de Bouzar «pas bête», même s’il la trouve «contradictoire» avec le discours qu’elle a «longtemps tenu sur le fait que l’engagement jihadiste n’avait aucun rapport avec la religion». Le psychiatre Serge Hefez, qui travaille avec l’ancienne éducatrice, assure «comprendre les précautions prises par le ministère». Le praticien, qui a connu Benyettou lorsque celui-ci était stagiaire dans son service de pédopsychiatrie, le décrit néanmoins comme un personnage «captivant quand il retrace son parcours. Il n’est pas revenu de Syrie il y a trois semaines, on a plutôt envie de le croire et de l’aider». Pour Farid Benyettou, qui assure avoir mis «de côté» une éventuelle carrière d’infirmier, ce nouvel engagement auprès de jeunes radicalisés constitue une forme de retour d’ascenseur : «C’est un moyen pour moi de mettre en pratique ce à quoi j’ai été formé. […] Le contribuable ne pourra pas dire qu’il a payé pour rien.»
(1) Centre de prévention, de déradicalisation et de suivi individuel (CPDSI).
Sylvain Mouillard , Willy Le Devin

Source :

http://www.liberation.fr/france/2016/10/19/jihadisme-l-ex-mentor-des-kouachi-change-de-bord_1523046

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4 Commentaires

  1. Peuimporte dit :

    ennuyeux…..
    UNITED COLORS
    of
    BENYETTON

    avec lui, Douniya Bousarde en voit de toutes les couleurs

  2. roni dit :

    le groupe des Buttes Chaumont je m en souviens qu on avait eu plusieurs accrochages avec ce groupe dans le debut des annees 2000-2002 et que un de leurs membres on l a rendu un legume cetait un converti.

    • liguedefensejuive dit :

      Aux Buttes Chaumonts,des membres de la LDJ se sont opposés aux agresseurs antijuifs islamistes (parmi eux un certain Kouachi qui s’est fait connaitre lors de la tuerie de Charlie Hebdo.)

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