Patrick Klugman avocat de la famille juive empoisonnée par la nounou arabe exprime son amère déception
Le Point : Maître Klugman, quelle est votre réaction à chaud face à la non-reconnaissance de la circonstance aggravante d’antisémitisme par le tribunal ?
Patrick Klugman : Certes, il y a bien eu une condamnation, mais cette décision suscite déception et stupéfaction. Nous attendions que justice soit rendue ; elle ne l’a pas été.
Pourquoi estimez-vous que justice n’a pas été rendue ?
Ce qui permettait de comprendre le passage à l’acte – désormais incontestable – de cette intoxication perpétrée par la nourrice de la famille, c’était précisément l’antisémitisme. Sans la reconnaissance de ce mobile, nous nous trouvons dans l’incapacité d’expliquer pourquoi cette famille a été intoxiquée.
C’est profondément troublant, d’autant que nous ne nous appuyons pas uniquement sur un faisceau d’indices, mais sur des déclarations explicites formulées lors des perquisitions et réitérées en garde à vue : « Parce qu’ils ont de l’argent et le pouvoir, j’aurais jamais dû travailler pour une juive, elle n’a fait que m’apporter des problèmes. »
Même si elle a nié les faits, la prévenue a reconnu avoir tenu ces propos au cours du procès…
Absolument. Elle a reconnu ces déclarations, reprenant presque mot pour mot ces propos. Elle ne les a jamais reniés. Nous avons donc, d’un côté, le passage à l’acte et, de l’autre, une revendication claire. Pourtant, la justice nous explique, pour de très mauvaises raisons, qu’il ne faut pas lier l’un à l’autre.
Comment vos clients réagissent-ils à cette décision ?
Lors du procès, ils étaient déjà extrêmement fébriles quant à ce qui leur était arrivé et quant à leur futur en France dans ces conditions. Au cours des vingt dernières années durant lesquelles je me suis occupé de ce genre de dossiers, je pouvais au moins dire sereinement : « C’est difficile, nous sommes menacés, nous sommes en danger, mais nous pouvons avoir confiance en la justice. » Aujourd’hui, je ne peux plus tenir ce discours.
Pensez-vous avoir manqué quelque chose dans votre plaidoirie ?
Nous n’avons rien manqué. Les éléments étaient là, ils ont été soulevés pendant l’instruction, exposés au procès et plaidés avec force. Il ne faut pas prétendre que nous avons omis quoi que ce soit. Notre devoir professionnel consistait à faire exister cette affaire et à souligner ces éléments réellement inquiétants, dont évidemment l’antisémitisme. Nous avons accompli ce que nous devions accomplir.
Je remarque que ces propos sont purement et simplement écartés dans le jugement. À aucun moment la défense de cette femme, qui a disposé de trois avocats différents au cours de la procédure, n’a estimé nécessaire de revenir sur ces déclarations ou de les retirer.
J’éprouve le sentiment d’un devoir accompli, mais cela ne suffit manifestement plus. Je pense qu’il y a un problème de fond, d’autant que les décisions du même ordre commencent à s’accumuler. Nous avons connu exactement le même désastre à Bobigny dans l’affaire concernant la destruction de l’arbre mémoriel d’Ilan Halimi. On reconnaît bien la destruction et on punit pour cela, mais l’antisémitisme, non.
Quelles sont vos options juridiques désormais ?
Aujourd’hui, nous en appelons totalement, pleinement et complètement au parquet pour qu’il interjette appel de cette décision, puisque seuls le ministère public ou la mise en cause peuvent faire appel sur la question pénale.
Mais en l’occurrence, étant donné que le ministère public a requis la condamnation avec la circonstance aggravante, il serait logique, comme à Bobigny, qu’il fasse appel.
Dans quel délai cette décision doit-elle être prise ?
Dans un délai de dix jours.
Source Le Point
